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un seul, dans ces temps de désordre où le siége épiscopal était vacant, où tout s'égarait, où tout disparaissait, même les revenus de l'église et les actes qui les assuraient.

N'allons donc pas regretter inutilement des titres qui n'existent plus, ou, à leur défaut, ne croire qu'aux textes du XIe siècle. Il suffit, pour baser notre opinion, que les documents plus nouveaux ne soient pas en désaccord avec la science qui fixe au XIIe siècle la fondation de la cathédrale. Nous avons essayé de démontrer qu'il en est ainsi. A cette époque remonte donc la plus grande partie du monument. Le xive siècle laisse voir son œuvre dans la chapelle de la Vierge et dans la fenêtre rayonnante qui orne, entre les deux tours, la façade occidentale; les chapelles latérales de la grande nef sont aussi d'une date plus récente que le corps de l'édifice, sans qu'on puisse toutefois leur reprocher de nuire à la merveilleuse unité de ce superbe morceau d'architec»tecture qui se distingue parmi les plus beaux monuments >> religieux.

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On fera peut-être à cette Etude, qui finit ici, le reproche d'avoir trop multiplié les citations. Les écrits du passé et le témoignage des savants ont plus de valeur et sont plus autorisés que ma parole: voilà pourquoi je suis resté silencieux le plus possible. Je n'ai voulu contredire ni réfuter personne en particulier : mon but a été de dire quelques mots sur la cathédrale, lorsque l'occasion m'en était offerte, à moi comme à tout autre, par la publication d'un livre sérieux, qui doit, à tous les égards, exciter le plus vif intérêt. CH LEBRETON. »>

CHAPITRE XIII.

Hambye; son abbaye.- Gavray.

Nous employâmes la journée du 25 mai à aller visiter l'abbaye de Hambye, à quatre lieues et demie environ de Coutances.

En descendant un côteau, nous nous retournâmes pour jouir de la vue de la ville et de la cathédrale. Coutances est située sur une hauteur, et la cathédrale qui occupe la partie la plus élevée domine de ses tours majestueuses la cité qui lui fait cortége. Aux environs, la campagne offre des paysages pleins de charme et de variété; la végétation y est assez abondante, et la terre se couvre partout de verdure; `peu s'en fallait que nous ne nous crussions de retour en Angleterre.

Mais nous fûmes bientôt distraits de nos douces rêveries par l'incessante torture d'une route infernale, qui nous obligea de suivre à pied notre voiture. La campagne était toujours délicieuse, les champs bien cultivés; les maisons respiraient le

bon goût et l'aisance; mais cette route maudite empoisonnait les émotions que ce beau pays était bien propre à faire naître.

Eufin nous aperçumes la tour, seul reste du château de Hambye elle s'appuie sur une éminence qu'environnent de profondes vallées. On entrevoit dans le lointain des collines et des monticules couronnés d'arbres.

Le château de Hambye était la propriété des Paynel: une brauche de cette famille alla s'établir en Angleterre, et donna son nom à la ville de Newport, dans le Northamptonshire.

La tour, qui a survécu seule, appartient à la dernière architecture normande. Le moment n'est pas éloigné où elle partagera le sort du château qu'elle a vu périr, et où elle s'ensevelira dans la poussière.

Nous laissâmes notre cabriolet à la petite auberge de Hambye, et nous nous dirigeâmes vers le monastère qui n'est qu'à une lieue du village. Après avoir long-temps monté, nous entråmes dans un sentier pittoresque qui nous conduisit à un bois. Au milieu de ce bois, nous nous trouvâmes transportés sur la crête d'un mont qui domine une belle vallée; la petite rivière de Sienne se précipite en murmurant dans son sein et y décrit mille petits détours. Comme nous traversions le bois, en descendant la colline, nous entrevimes l'église ruinée de l'abbaye elle est située au pied de la montagne, dans une retraite ouverte entre les rochers et le ruisseau. Il est impossible de n'être pas frappé du contraste qui existe entre la situation du château et celle du monastère l'un se montre à nu sur le sommet orgueilleux d'une éminence; l'autre a préféré un site plus humble. mais aussi plus tranquille; à l'un l'éclat, le tumulte; à l'autre le mystère, le silence: pouvaient-ils être tous deux plus convenablement placés?

L'église de l'abbaye est entourée de ruines assez nombreuses pour pouvoir revêtir un aspect pittoresque. Elle se compose d'une nef dépourvue d'ailes latérales, de transepts, d'un chœur isolé avec des chapelles derrière. La nef est longue et étroite. Ses murs sont d'une hauteur peu commune; son toit a disparu. Les arcades qui supportent la tour sont aussi très-élevées : elles reposent sur quatre grands contreforts de forme octogonale. Les fenêtres sont en lancette et d'une longueur remarquable.

Le chœur est environné de colonnes qui supportent des arcades très-étroites; les chapiteaux de ces colonnes sont décorés d'un feuillage dessiné avec goût et délicatement travaillé.

Les arcades qui donnent entrée dans les chapelles derrière le chœur sont circulaires. A l'extrémité de chaque transept on remarque une grande fenêtre en pointe. La tour a des fenêtres à têtes rondes; l'extrémité Est n'existe plus. A l'extrémité du chœur sont attachés des contreforts aériens unis.

On retrouve encore une portion considérable de la maison d'habitation du couvent, ainsi qu'une partie du cloître qui présente des arcades circulaires, et qui paraît être plus ancienne que le reste des bâtiments encore existants.

L'abbaye de Hambye fut fondée par Guillaume Paynel à qui appartenait le château situé sur la colline. Il signa l'acte de fondation en 1145 (1), en présence d'Algare, évêque de Coutances, et d'autres personnes respectables. - Si l'on en croyait les annales de Hambye, il faudrait attribuer cet honneur à Jeanne Paynel à les entendre, cette noble dame aurait entrepris ces pieux travaux dans la première moitié du XVe siècle. Mais nous ferons remarquer qu'un couvent et une église ne sont pas choses impérissables, et qu'il est possible et même probable que, dans l'espace de près de trois siècles, ils soient tombés dans un tel état de ruine, ou qu'ils aient tant souffert de la barbarie des temps, qu'aux jours de Jeanne Paynel, il soit devenu nécessaire de les rebâtir entièrement, ou du moins d'y faire des réparations considérables.

Le style du monument paraît, en général, antérieur à l'architecture du xve siècle, et comme il est certaines parties, les arcades qui donnent entrée dans les chapelles, par exemple, et les cloîtres, qui sont construites dans le style circulaire, il ́ en résulte une anomalie qui, il faut en convenir, est bien de nature à embarrasser. Cependant certaines portions de l'ancien édifice peuvent avoir survécu à sa ruine les cloîtres sont probablement du nombre, et quand il s'est agi de reconstruction, on a pu adopter des caractères d'architecture surannés, comme cela arrive quelquefois, pour mettre les nouveaux bâtiments plus en harmonie avec certaines parties, restes du monastère ruiné. Nous avons à opter entre le xie et le XIIe siècle, et il est impossible que nous hésitions un seul instant sur la question de savoir à laquelle de ces deux époques l'ensemble de l'édifice actuel doit être rapporté.

Jeanne Paynel, dernier rejeton de cette noble famille, porta dans la maison des d'Estouteville l'héritage de ses pères. Elle eut pour époux Louis d'Estouteville, chevalier d'une haute valeur, qui défendit avec succès le Mont-Saint-Michel contre les Anglais, en 1454. Ils furent enterrés tous deux dans le chœur de l'abbaye, où l'on voyait encore leurs tombes avant la révolution.

Non loin de l'abbaye de Hambye se trouve un pont; ce pont franchi, on arrive à un endroit où la route se divise en deux branches : l'une conduit à Gavray, l'autre à Percy. Ce dernier village, berceau des ducs de Northumberland, est à trois lieues environ de Hambye.

(1) Neustria pia.

Après avoir visité l'abbaye, nous revinmes au bourg où nous avions laissé notre cabriolet; nous y reprîmes nos places mais nous ne tardâmes pas à les quitter de nouveau, et nous nous vimes réduits à faire toute la route de Gavray à pied. Les chemins étaient pittoresques, et la campagne aux environs était charmante. En traversant le village de SaintDenis, nous fùmes tout étonnés de voir des maisons de bonne apparence, et même d'assez brillantes boutiques, dans un lieu dont il est presque impossible aux voitures d'approcher (1) Enfin nous arrivâmes à Gavray, petite ville située, sur la rivière de Sienne.

Là nous rejoignimes la grande route; nous remontâmes en cabriolet, et nous commençâmes un voyage plus paisible. Il nous fut impossible d'être de retour à Coutances avant minuit.

CHAPITRE XIV.

Saint-Lo; la cathédrale (2); Eglise de Sainte-Croix; Eglise de Saint-Thomas de Cantorbéry. Cerisy.

26 mai. Coutances, comme nous avions pu le voir en descendant une colline sur la route qui mène à Hambye, est avantageusement située sur une éminence, et commande une campagne aux paysages romantiques et variés. Elle n'est éloignée de la mer que d'une lieue et demie environ, mais un rideau de montagnes lui en cache la vue. La ville actuelle n'est qu'une ombre de l'ancienne cité, et ses magnifiques églises contrastent énormément avec les habitations négligées qui les entourent. C'est par le commerce que les villes vivent et prospèrent, et Coutances n'est pas commerçante; ce qui n'empêche pas qu'elle n'ait de vastes promenades publiques (3). Mais toutes les villes de France ont les leurs : le peuple y respire un air qui entretient la santé, et y trouve de nombreuses distractions à ses peines et à ses travaux. Je m'étonne

(1) Rien de plus judicieux que les plaintes de M. Gally-Knight sur l'état des routes dans nos campagnes à l'époque où il les parcourut. Depuis lors, elles ont bien changé. L'amélioration est telle que bientôt elle ne laissera rien à désirer. (Voir la note supra pag. 15.)

(2) L'auteur dit la cathédrale. On ne désigne par ce mot que la principale église d'un évêché. La grande église de Saint-Lo, dite église NotreDame, fút-elle et plus grande et plus belle que la cathédrale de Coutances, ne pourrait être qualifiée de cathédrale.

(3) M. Gally-Knight n'a pu voir le charmant Jardin des plantes, donné à la ville de Coutances par M. Quesnel, il y a peu d'années. C'est le don le plus patriotique que pút lui faire un de ses plus honorables citoyens,

qu'on n'ait pensé à créer rien de sembiable dans aucune ville provinciale d'Angleterre (1).

En quittant Coutances pour gagner Saint-Lo, la campagne que nous traversâmes nous procura par sa variété une foule de sensations délicieuses : des bois, des vergers, des pâturages, des haies fleuries composent sa riante parure. Dans l'église du village de Saint-Gilles, nous observâmes encore ces fenêtres à lancettes, dont la longueur avait déjà excité notre étonnement.

La ville et la cathédrale de Saint-Lo, lorsqu'on s'y dirige par le Sud, se recommandent à l'admiration du voyageur par leur majestueuse perspective. La ville est en grande partie située sur une éminence que borne de trois côtés un ravin à travers lequel la rivière de Vire se fraye un passage (2). La cathédrale occupe le sommet de la hauteur: c'est l'église de Durham en miniature. Cette position si imposante est souvent tombée en partage aux cathédrales, et la raison en est facile à comprendre. Elles étaient, pour la plupart, dans l'origine, des chapelles de châteaux ; et comme ceux-ci, pour des motifs de sûreté, étaient construits sur des hauteurs, les chapelles avaient nécessairement la même position. A SaintLo, la forteresse féodale s'est écroulée dans des temps orageux, et sa chapelle, qui avait partagé son sort, renaissant bientôt sous une forme plus ambitieuse, posséda seule une place dont elle n'occupait autrefois qu'une modeste partie.

Saint-Lo est une ville dont la célébrité remonte aux premiers jours du moyen-âge. L'escarpement naturel des lieux où s'élève la cité actuelle engagea d'abord Charlemagne à y bâtir une forteresse pour la défense de la province. Il fonda en même temps, hors des murailles du château-fort, l'église et le couvent de Sainte-Croix. Le château, la maison religieuse et les habitations privées qui vinrent se grouper à l'entour, formèrent bientôt une ville qui fut placée sous l'invocation de la Sainte à laquelle avait été dédiée l'abbaye. Mais, dans la suite des temps, comme saint Lo était en grande vénération parmi les habitants de la province, la ville abandonna son premier nom pour prendre celui qu'elle porte aujourd'hui.-Saint Lo ou Laud, qui vivait dans le vie siècle, était natif de cette partie de la Normandie. La séduction des richesses ne put vaincre son penchant pour l'état ecclésiastique il prit les

(1) L'auteur se serait moins étonné, s'il avait réfléchi au peu d'intérêt véritable que porte au peuple l'aristocratie anglaise.

(2) L'auteur, de retour en Angleterre, préoccupé de la grandeur de la Tamise, a perdu l'idée de l'impression qu'il avait reçue. Quiconque a vu la charmante vallée que traverse la Vire avant d'arriver à Saint-Lo, n'y reconnaîtra jamais un ravin à travers lequel la rivière de Vire se fraye un passage.

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