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qui portent les caractères du style en pointe. Il y a dans la nef des contreforts complexes, et sous la tour des arcades décorées d'une grande quantité de moulures très-prononcées. Le chœur est environné de piliers. On trouve des colonnes dépourvues de chapiteaux, mais qui ont des moulures à la base. L'extrémité Est est dans le style du XIVe siècle (4).

A Sainte-Mère-Eglise, nous rencontrâmes un monument religieux qui se rapproche beaucoup de celui de Carentan. A Montebourg se trouve une abbaye que nous allâmes visiter. On sait que son église fut consacrée en 1152; mais il n'en reste aujourd'hui aucun vestige debout. Le couvent fut, comme tant d'autres, à la révolution, vendu par parties à un certain nombre de petits propriétaires qui, pour recueillir de bons matériaux, menèrent grand train l'œuvre de destruction. On ne retrouve en sa place que des fondations et des décombres, et rien n'indique à quel style il pouvait appartenir. Il en existait encore des restes importants en 1817. A cette époque, un membre de la Société des Antiquaires de Normandie (2) visita ces lieux, et comme s'il avait un pressentiment que ce qui restait de l'édifice allait bientôt disparaître, il résolut d'en conserver au moins le souvenir. Il publia dans la suite une description et une histoire du monastère de Montebourg, et enrichit son ouvrage de trois vues de l'église, dessinée au milieu des ruines (3). Ces planches nous apprennent que le monument était construit dans le style circulaire, à l'exception des arcades sous la tour centrale, et de cette tour elle-même, qui révélaient le style en pointe; mais ces portions peuvent avoir été rebâties à une époque bien postérieure à la construction primitive.

C'est Baudouin de Reviers, comte de Devon, qui fit

(1) La mémoire de M. Gally-Knight est ici en défaut, car la plus grande partie de cette église appartient au style ogival de la troisième époque (Note de M. de Caumont).

(2) Ce membre de la Société des Antiquaires de Normandie, qui n'existait pas en 1817, qui ne fut fondée qu'en 1824, est M. de Gerville, dont nous avons imprimé la biographie dans l'Annuaire de la Manche pour 1855.

(3) Ici l'auteur se trompe. L'Atlas des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, joint au volume de 1825, dans lequel se trouvent les Recherches sur les abbayes de la Manche, adressées en 1821, à M. Esmangart, alors préfet, par M. de Gerville, ne donne qu'une vue de l'abbaye de Montebourg. C'est la troisième du recueil. Les deux premières sont consacrées aux raines de l'abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte; la 4a, à l'abbaye de Blanchelande; la 5o, à celle de Lessay; la 6o, à celle de Cerisy. Enfin la 7 planche est consacrée à des fragments d'architecture de l'église SainteCroix, à Saint-Lo. Nous le consignons ici pour qu'on y puisse recourir au besoin, et nous signalons en passant la rareté de ces planches qui, détachées du volume, n'ont pas été conservés avec le même soin. Elles sont bien dessinées mais on a eu recours à la lithographie, qui était loin d'être arrivée à sa perfection.

presque seul les frais de l'érection du monument. Comme il avait embrassé le parti de Geoffroy de Plantagenêt, il s'était vu forcé de se retirer en Normandie pour se soustraire au ressentiment d'Etienne de Blois, à qui était restée la victoire. L'église fut consacrée en 1152 par l'archevêque de Rouen, en présence de Henri, alors duc de Normandie, et qui régna ensuite en Angleterre sous le nom de Henri II.

De Montebourg nous gagnàmes Valognes, petite ville fort agréable. On y rencontre quelques maisons spacieuses avec une cour devant et un jardin derrière, deux choses qui, en France, sont considérées comme les accessoires indispensables de l'hôtel d'un gentilhomme (1).

CHAPITRE X.

Cherbourg-Octeville.-Martinvast.-Bricquebec.-Valognes.

Le Ham.

La contrée que nous traversâmes pour arriver à Cherbourg est semée de bois et de collines, et ornée de verdoyantes prairies; elle offre beaucoup de ressemblance avec les provinces intérieures de l'Angleterre. Sur le rivage français, la végétation ne semble en aucune manière souffrir du voisinage de la mer (2).

Cherbourg est dominé par des rochers hauts et escarpés au pied desquels il est situé. C'est une ville qui a peu d'importance par elle-même; ce qui lui donne de l'intérêt, ce sont les chantiers et les arsenaux dont elle est pourvue (3).

(1) Ces hôtels attestent l'état brillant de Valognes au siècle dernier. C'était une ville de garnison, de noblesse, de luxe, de mouvement: aujourd'hui c'est une ville morte, qui n'a point d'emploi pour les enfants d'intelligence qui lui naissent et qu'elle exile. Du reste, ils prospèrent assez hors de ses murs, et nous remarquons qu'elle a donné le jour à des hommes qui n'ont pas oublié leur berceau, mais qui doivent s'applaudir de s'en être éloignés. Nous citerons, parmi ceux que nous connaissons particulièrement, M. Boulalignier, conseiller d'Etat; M. Bertrand, doyen de la Faculté des lettres et maire de Caen; M. Pelouze, membre de l'Institut de France, directeur de la Monnaie; M. Vastel, directeur de l'Ecole de médecine de Caen; M. Delamarre, archevêque d'Auch; M. Hue de Caligny, lauréat de l'Institut; Edélestand Duméril, Anquetil, traducteur en vers des odes d'Horace, etc.

(2) Si l'auteur avait traversé une partie de la Hague, s'il avait vu la campagne voisine des côtes de Jobourg, il aurait vu les ravages permanents des vents d'Ouest. Ces vents qui soufflent de l'Angleterre désolent fréquemment cette côte que ne cesse d'attrister la vue de Jersey, de Guernesey et d'Aurigny, Iles qui touchent à la France et qui n'auraient jamais dû cesser de lui appartenir. C'est une de nos douleurs que de mourir en les sachant encore anglaises.

(3) Cherbourg a, depuis le voyage de l'auteur anglais, acquis beaucoup d'importance, et doit en acquérir davantage encore dans un prochain avenir.

Nous ne tardâmes pas à la quitter, et nous nous mîmes à gravir une montagne dont la longueur nous fatigua beaucoup. Arrivés au sommet, nous trouvâmes le village d'Octeville, qui renferme une vieille église normande dont la tour, de forme octogonale, est bien faite pour éveiller la curiosité. Nous descendimes le côté de la montagne opposé à celui qui nous avait conduit au sommet, tout en payant notre tribut d'admiration à ces forêts et à la fraîche verdure de ces côteaux qui embellissent la campagne sur laquelle planait notre vue, et nous atteignîmes le village de Martinvast qui est situé dans la vallée. Une prairie défendue par une clôture conduit à l'église. Cet isolement dans lequel se trouve le monument a quelque chose de religieux; le petit cimetière est planté d'ifs antiques et vénérables. L'église appartient à l'ancien style normand. A l'extérieur de l'extrémité semi-circulaire, à l'Est, on remarque des demi-colonnes sveltes et déliées, surmontées de chapiteaux de forme ionique. Sous le toit se trouve une corniche composée de têtes grotesques. A l'intérieur, l'édifice a une élévation imposante; il est voûté en pierre. Les arcades qui supportent le toit révèlent la forme bizarre du fer à cheval.

Nous retournâmes à Valognes par une route différente de celle que nous venions de suivre; mais c'étaient toujours la même campagne couverte de bois, les mêmes tableaux, la même variété; c'est l'âme déjà pleine des douces émotions que faisaient naître la beauté de ces lieux que nous arrivâmes à Bricquebec.

Il existe encore dans ce village des vestiges considérables d'un château qui a successivement appartenu aux Bertram, aux Paynel et aux d'Estouteville. Situé à l'une des deux extrémités du bourg qui a grandi sous sa protection, ce château occupe un terrein élevé et commande une vaste étendue de pays. Le donjon et les murs de circonvallation sont encore debout, mais ils n'ont pu échapper tout-à-fait aux ravages du temps. Le donjon est octogonal, et le sol sur lequel il s'appuie est plus élevé que le reste. Dans une partie des murailles de la cour, on rencontre des traces du XIe siècle; le donjon date du xive, et une autre partie du château ne peut remonter audelà du XVIe siècle.

A notre retour à Valognes, après un déjeuner que nous. offrit M. de Gerville, nous nous dirigeâmes vers le village du Ham. C'est un groupe d'habitations qui s'abritent au milieu de nombreux bouquets d'arbres; il touche à l'un de ces vastes pâturages si communs dans la Basse-Normandie.

Nous y vimes une vieille église qui est construite en partie dans le style circulaire, en partie dans l'ancien style en pointe. Les fenêtres étroites en lancettes ont une longueur vraiment extraordinaire; je ne me rappelle pas en avoir jamais vu de pareille dimension. On conserve dans cette église

un objet fort curieux, qui est tout ce qui reste d'une chapelle qui existait autrefois dans les environs. C'est une pièce de marbre qui formait autrefois le dessus d'un autel chrétien; elle porte une inscription qui date du temps de Théodoric dont le règne remonte au vie siècle. Les caractères qui la composent sont pour la plupart romains; on y rencontre cependant quelques innovations (I).

Non loin du village se trouve un antique manoir seigneurial très-vaste, et une tour à toit cônique qui renferme l'escalier. Le nombre des vieux châteaux déserts que l'on trouve dans les environs de Valognes est considérable; les propriétaires les ont abandonnés pour venir résider dans la ville.

CHAPITRE XI.

Colomby.-Saint-Sauveur; le château; l'abbaye.-Blanchelande.-La

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Après que M. de Gerville nous eut tracé l'itinéraire qui devait nous faire rencontrer une foule d'objets intéressants, nous louâmes un cabriolet, et nous envoyâmes notre équipage nous attendre à Coutances. C'était par des chemins de traverse que nous devions voyager, et nous ne pouvions songer à nous y aventurer dans une voiture à ressorts.

En sortant de Valognes, nous n'eûmes aucune raison pendant trois lieues de nous plaindre de la route. La seule chose remarquable qui s'offrit à nous, ce fut la belle église en pierre de Colomby, où sont pratiquées des fenêtres à lancette, d'une longueur encore plus extraordinaire que celles de l'église du Ham.

Lorsque nous fùmes arrivés au sommet d'un long côteau, notre vue plana sur le bourg de Saint-Sauveur et sur le château démantelé et l'abbaye en ruines qui lui donnent de l'importance. Ces restes, si pleins d'intérêt, sont situés sur le penchant d'une petite colline au pied de laquelle s'étend un tapis de verdure où serpente un étroit ruisseau aux mille détours la distance qui les sépare les uns des autres est fort peu considérable.

C'est dans la première moitié du xe siècle que l'un des chefs normands à qui Rollon avait donné, comme récompense de leurs services, le pays que nous visitions alors, jeta les fondements du château de Saint-Sauveur. Ce château demeura dans la famille du fondateur jusqu'au XIIe siècle, où il

(1) Cet autel curieux a été transporté à Valognes et déposé dans la bibliothèque publique. (Note du Traducteur.)

devint, par suite d'un mariage, la propriété des Tesson. Vers la fin du même siècle, l'héritière de cette dernière famille accorda sa main et son château à un d'Harcourt. En 1328, Geoffroy d'Harcourt fit du manoir seigneurial une forteresse imposante. Après lui, Edouard III, roi d'Angleterre, en apanagea Chandos. En définitive, à la suite de bien d'autres vicissitudes, le château a été transformé en un hôpital.

On retrouve des murailles, des portes et des tours. Ce qui nous frappa le plus, c'est une grande tour carrée, bâtie par Chandos, à qui est due aussi la construction d'une des portes de la forteresse.

Quand nous eûmes visité le château, nous traversâmes le bourg, où nous ne vîmes que quelques maisons d'assez bonne apparence, qui appartiennent à de petits gentilshommes de campagne. Parmi eux on remarque le représentant d'une noble race, l'abbé de Percy, qui descend de la branche normande de cette famille dont le nom est devenu si fameux en Angleterre. On ne peut s'empêcher de se sentir pris d'une sorte d'étonnement mêlé de respect, à la vue de ce débris d'une race qui a traversé tant de siècles, encore debout sur le sol natal.

A deux lieues de Saint-Sauveur se trouve le hameau de Pierrepont; c'est le berceau d'une autre noble famille d'Angleterre. La Normandie abonde en souvenirs pareils; et c'est ce qui donne à ses vieux châteaux, à ses antiques abbayes tant d'intérêt aux yeux d'un Anglais. Tout ici lui rappelle ou sa propre famille, ou de glorieuses maisons dont le nom a retenti bien des fois à ses oreilles.

Nous sortimes du bourg pour aller visiter l'abbaye.

Les bâtiments du couvent sont encore debout, mais leurs toits n'abritent plus de moines; ils ont changé de maîtres, et sont tombés dans un délabrement pénible à voir.

L'église est en ruines, et il n'en restera bientôt plus de traces. Nous aperçûmes l'individu qui en est actuellement propriétaire, perché sur ses murailles, et occupé à en enlever les pierres pour les faire servir à ses propres constructions.

Cette abbaye fut fondée par les Tesson, au temps où ils étaient seigneurs de l'endroit. On la commença en 1067. L'église ne fut consacrée qu'en 1160; elle resta inachevée jusqu'au commencement du XIIIe siècle. A cette époque, la famille d'Harcourt, qui avait succédé aux Tesson dans la seigneurie de Saint-Sauveur, entreprit de la terminer, et on retrouve encore ses armes sur quelques-unes des clefs de pierre du transept Sud. Il s'écoula donc 200 ans entre l'instant où l'édifice fut commencé et celui où on y mit la dernière main. Il n'y a rien de bien extraordinaire dans cette circonstance; mais il ne faut pas oublier qu'elle a conduit à des conclusions erronées. On témoignait une certaine répugnance à imaginer

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