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ICONOGRAPHIQUE

DE TROIS VERRIÈRES

DE L'ÉGLISE SAINT-MARTIN-ÈS-VIGNES,

PRÉSENTÉ AU CONGRÈS ARCHÉOLOGIQUE DE TROYES,

Le 9 Juin 1853;

PAR M. L'ABBÉ F. MÉCHIN.

MESSIEURS,

En entrant dans nos vieilles basiliques, ou même dans quelques-unes de nos humbles églises de village, n'avez-vous pas éprouvé souvent cette douce et ineffable mélancolie qui saisit l'âme tout à coup et la presse de s'épancher avec Dieu dans une tendre et amoureuse prière ! Comme la piété se trouve délicieusement excitée dans cette atmosphère divine, où tout ce qui frappe les sens respire un si doux parfum de foi, d'espérance et d'amour! Comme le cœur se sent à l'aise dans ce sombre et mystérieux sanctuaire, où le jour ne pénètre que pour refléter, sous les regards du suppliant, ces radieuses figures de saints qui s'unissent à lui dans le ciel pour fortifier sa prière! Et puis, là où nous prions, nos

pères avant nous ont prié; ce sont eux qui, de leurs mains patientes et désintéressées, ont dressé l'une sur l'autre ces pierres augustes qui composent le temple; ce sont eux qui ont élevé ces splendides verrières, où ils retracent à nos yeux cette admirable vie des saints, comme pour nous inviter encore au-delà de la tombe à imiter leurs vertus, dans ces pieux testaments qu'ils livrent chaque jour à nos méditations! Sur chaque pierre, dans chaque couleur, ils ont, pour ainsi dire, inscrit le nom de Dieu; et le sentiment qui animait leur cœur passe comme naturellement dans celui de leurs enfants.

Telle est, Messieurs, l'idée générale qui agite l'âme de ceux qui, pénétrés du véritable esprit qui préside à l'art chrétien, parcourent la plupart des vitraux de nos églises troyennes, et surtout, laissez-moi le dire, ceux de St.Martin-ès-Vignes, plus ravissants, peut-être, que tous les autres, pourtant déjà si riches et si beaux (1). Veuillez donc permettre que je m'arrête préférablement aussi à quelquesuns d'entre eux dans la description iconographique que je viens essayer devant vous vous serez indulgent pour un novice, de bonne volonté du moins, et votre bienveillance m'encourage plus encore que vos lumières m'imposent.

Si le cadre étroit où je dois me renfermer me le permettait, je vous dépeindrais successivement toutes ces belles verrières. Commençant par celles du chœur, je vous montrerais, dans ces brillants tableaux qui entourent le sanctuaire comme d'une couronne de gloire, la fidèle reproduction des touchants

(1) Quand Pierre Le Vieil disait : « Il n'y a peut-être pas de canton en France qui renferme des vitres peintes aussi précieuses et aussi en grand nombre que la ville de Troyes et ses environs. » J'estime, Messieurs, que, dans ces derniers mots, il songeait de préférence aux vitraux dé l'église de St.-Martin.

symboles que créa l'imagination naïve du moyen-âge; noble héritage des siècles de foi que l'école moderne de la renaissance a permis à la piété de nos pères de sauver du naufrage. A l'abside, la figure du Père Eternel dominant dans les hauteurs du ciel; un peu plus bas, le Dieu du calvaire, sur l'autel du sacrifice, étendant ses bras protecteurs sur la paroisse, comme autrefois ils les étendit sur le monde ; à droite et à gauche, dans les travées suivantes, la sainte mère du Sauveur, ses apôtres les plus aimés, son illustre précurseur, les saints patrons de la paroisse et les autres saints les plus vénérés au pays, placés là-haut et les plus près de la divinité, ainsi qu'ils sont au ciel les plus élevés en gloire. Comme cette sainte multitude rappelle bien la Jérusalem céleste; alors surtout que le soleil, montant sur l'horizon, illumine ces charmantes figures, tout en laissant au sanctuaire son mystérieux demi-jour, l'âme ravie ne s'envole-t-elle pas, sur l'aile de la foi, jusqu'au trône de l'Agneau de Dieu, où les élus, éclairés par sa gloire, aiment et contemplent les perfections divines !

Que si maintenant, Messieurs, des fenêtres du chœur, nous abaissons les regards sur celles des deux nefs latérales, vous admirerez avec moi, ici, la création du monde et la rédemption des hommes, les mystères de l'Apocalypse, la naïve légende de sainte Anne; là, le châtiment de Jérusalem infidèle, les traits les plus saillants de l'histoire d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, la vie glorieuse des deux saints patrons de la paroisse, saint Martin et saint Jules, tant aimé de mes compatriotes; plus loin, la pieuse légende de la vraie croix, la cène eucharistique; puis, enfin, les derniers articles du symbole des apôtres, mis en action et commentés d'après l'Ecriture et les Saints Pères, par le plus beau pinceau catholique. Tous sujets dogmatiques ou moraux, légendaires ou historiques, placés là aussi, comme sur le chemin de la

vie chrétienne, sous l'œil même des fidèles qui vont s'instruire et s'édifier avant de pénétrer au sanctuaire, image du ciel, où l'on ne fait plus qu'aimer et jouir, dans les douces extases de la contemplation.

Tel est, Messieurs, le sujet de toutes les verrières de l'église St.-Martin. Leur origine ne remonte guère qu'au commencement du XVII. siècle. Sans doute, elles sont jeunes encore, mais la main qui les a faites semble leur avoir communiqué une fraîcheur qui ne doit pas se flétrir. Honneur à ces nobles fils des pieux logeurs du bon Dieu, qui, comme leurs pères, ne travaillaient pas pour une vaine renommée. Le ciel et Dieu, telle était, avant tout, leur devise. C'est pourquoi leurs œuvres seront immortelles, je dirais presque comme la pensée qui les conçut; car c'est une vérité incontestable que non-seulement la perfection artistique de tous ces chefs-d'œuvre, mais encore leur solidité, leur durée, ont leur cause première dans la foi qui guida le pinceau des peintres.

Aussi Jean Blondel, de délicieuse mémoire, le modeste auteur de la plupart des vitraux de St.-Martin, sans doute l'un de ces rares élèves du fameux Linard-Gonthier, qui parfois ont atteint le mérite du maître, outre un grand amour pour l'église où il avait été baptisé, avait encore une foi vive et ardente (1).

La richesse du coloris, la perfection du dessin, le bel agencement des groupes, voilà peut-être ce qui, de prime

(1) Tel est, suivant une tradition respectable, le nom du principal peintre-verrier, natif de St.-Martin même. Pieux imitateur des peintres chrétiens du moyen-âge, il n'a pas inscrit son nom au bas de ses œuvres; nous n'y voyons que des memento mei et des prières pour lez trespassez. Deux ou trois verrières seulement sont généralement attribuées à Linard-Gonthier, entr'autres celle de sainte Anne.

abord, fixera le regard d'un touriste ordinaire; mais cette grâce extérieure n'est, à vrai dire, relativement à l'art religieux surtout, qu'un beau corps privé de son âme ; le visiteur chrétien n'arrêtera donc pas là son admiration. Tout en considérant la noble vigueur des tons, la gracieuse harmonie des couleurs, le naturel des poses, la pureté des traits, le luxe et la souplesse des draperies, il ne peut manquer d'apercevoir dans ces pages sublimes, le cachet de la plus insigne piété. Plus il les étudie, plus il est ravi et enchaîné; il y a, surtout dans quelques-unes de ces figures si vives d'expression, comme un rayonnement de foi qui saisit la pensée, et l'âme, doucement ravie, se sent entraînée peu à peu, et je dirai même avec amour, jusqu'au cœur du peintre, où elle participe en quelque chose à ce feu sacré qui enflammait son zèle, illuminait son front et dirigeait sa main, à ce sentiment intime qu'on pourrait justement appeler l'inspiration. C'est alors, et alors seulement, que nous comprenons la véritable idée de l'artiste qui nous fait, pour ainsi dire, communier à sa vie, à sa flamme, à son génie. Car la foi, Messieurs, tel est le foyer où s'inspire le vrai talent, la source première d'où émanent les plus nobles créations de l'art; suivant même une belle parole entendue naguère avec tant de plaisir au Congrès de Reims : notre art chrétien tout entier est né d'un acte de foi (1).

Après ce préambule, trop long déjà pour un temps aussi précieux que le vôtre, j'entre de suite dans l'explication iconographique de trois principales verrières: la création du monde et la rédemption des hommes, la légende de la vraie croix, et la ruine de Jérusalem.

(1) M. l'abbé Tridon.

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