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lent, bien, etc. Quant au sens technique, il n'en était point question, ou bien les auteurs proposaient des sens à notre avis erronés.

Le premier en date, Champollion (1), donnait les équivalents suivants : «for

mare,

dare formam, fingere, former, donner une forme, travailler». Si tels sont les sens de la racine menkh, on ne s'explique pas pourquoi son déterminatif est un bédane, à moins que l'auteur, et c'est probablement le cas, ne considère l'outil comme un ciseau de sculpteur; nous avons vu qu'il n'en était rien, et qu'il s'agit bien d'un outil de menuisier.

Le Dictionnaire de Brugsch (2) consacre à la racine menkh un article assez considérable. L'auteur propose, en français, les équivalents suivants : « exécuter un ouvrage, former un ouvrage à l'aide d'instruments". Voilà des sens bien généraux pour une racine dont le déterminatif est parfaitement précis; ou bien il faudrait supposer que le signe ↑ a une portée très générale et synthétise à lui seul la notion d'instruments quelconques: il ferait fonction de déterminatif collectif; or, il nous semble beaucoup plus logique d'admettre que le est + un outil bien défini, servant à effectuer un travail également bien défini. Mais ensuite l'auteur passe brusquement du sens de «former un ouvrage à l'aide d'instruments" au sens de bien travailler»; évidemment, entre le premier sens et le sens de travailler, il y a un rapport étroit, mais il est arbitraire d'ajouter l'idée bien. Enfin, comme sens tout à fait dérivés, l'auteur propose : faire de bonnes œuvres, être bienfaisant, généreux", avec l'équivalent grec evɛpyɛtéw, donné en effet par le décret bilingue de Canope, et sur lequel nous reviendrons.

Quant à M. Pierret (3), il commence par où finit le Dictionnaire de Brugsch, c'est-à-dire qu'il donne en tout premier lieu l'équivalent grec svepyeola; ensuite, il dit que menkh a le sens propre de «former, exécuter»; il encourt les mêmes critiques que Champollion.

Enfin, M. A. Erman (4), dans son glossaire, néglige complètement les sens concrets de la racine et se borne à donner les sens abstraits de récompenser, rétribuer, être excellent".

(1) Dictionnaire égyptien, Paris, Firmin Didot, 1841, p. 234.

(*) Dictionnaire hieroglyphique et démotique, Leipzig, 1867, p. 660 et 661.

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(3) PIERRET, Vocabulaire hieroglyphique, Paris, Vieweg, 1875, p. 214-215.

(4) A. ERMAN, Aegyptisches Glossar, Berlin, Reuther und Reichard, 1904, p. 51.

Il y a longtemps déjà, M. V. Loret, dans un très riche Dictionnaire entièrement écrit de sa main, a découvert pour menkh les sens techniques que nous avons proposés, c'est-à-dire, d'abord, l'outil de menuisier, le bédane"; puis, le nom de l'ouvrier qui s'en sert, et enfin, pour la racine employée verbalement, «percer un trou, mortaiser ». Il propose ensuite la gradation suivante : « mortaiser pour faire un assemblage solide, assembler solidement; solide, durable; solide de cœur, fidèle, constant, sûr, digne de confiance".

Nous croyons avoir donné, dans le présent travail, des arguments assez nombreux et probants pour faire admettre cette gradation comme représentant l'histoire du sens de la racine menkh dans la langue égyptienne. Ajoutons d'ailleurs que, pour les sens métaphoriques de la racine, nous n'avons ici qu'à peine défriché le chemin, laissant à d'autres, ou même nous réservant plus tard, le soin d'approfondir cet intéressant mais très vaste sujet.

:

Nous rechercherons enfin si ce mot, avec son sens fondamental, s'est conservé en copte. Les auteurs que nous avons cités admettent, sauf Pierret, que le mot menkh s'est conservé dans le mot мoynк, ou, du moins, ils proposent un rapprochement entre les deux mots dans le Dictionnaire de Brugsch, l'auteur écrit même, en tête de l'article: «menkh, une racine qu'on rencontre très fréquemment, et qui s'est conservée en copte sous la forme MOYNK...". M. Erman, de son côté, n'identifie pas délibérément les deux mots, mais se contente de proposer leur rapprochement: comparer MOYNK”, dit-il prudemment (1).

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S'il nous est permis d'émettre un avis sur la question, nous dirons que ce rapprochement ne doit nullement être fait; ces deux mots n'ont entre eux aucun rapport; en se plaçant au point de vue de la phonétique pure, et a priori, l'échange du égyptien en κ copte est inadmissible. M. Erman luimême, en tête de sa Grammaire (2), admet pour le changement en 2 : h ou en, mais ne parle pas d'un changement en K. M. Sethe (3), d'autre part, admet également le changement de o en 2 : ou en a); il ajoute qu'exceptionnellement le peut se changer en к, mais il s'appuie, dans cette affirmation,

(A. ERMAN, Aegyptisches Glossar, p. 51. (3) A. ERMAN, Aegyptische Grammatik, 3° édit., p. 65, S 111.

(3) K. SETHE, Das ägyptische Verbum im Altägyptischen, Neuägyptischen und Koptischen, t. I, p. 153, S 255, 3.

sur quatre exemples peu convaincants, dont précisément le mot MOYNK lui-même...

Si on se place au point de vue de la sémantique, on constate que d'une part la racine menkh signifie «percer un trou, mortaiser, assembler solidement"; d'autre part le mot copte мOYNK signifie «former, façonner, sculpter", et de là viennent probablement les acceptions données par Champollion et Brugsch pour le mot égyptien. Mais comment peut-on admettre comme sens premier d'une racine égyptienne le sens d'un mot copte dont le rapport de filiation avec cette racine n'est même pas prouvé? D'ailleurs, on ne saurait trop s'étonner de la persistance avec laquelle les égyptologues ont tenu à rapprocher menkh de мoynк, mots qui n'ont entre eux aucune analogie de signification, tandis qu'ils ont presque toujours passé sous silence le verbe qui, lui, présente exactement le même sens que le copte MOYNк et en offre, de plus, la transcription littérale.

X

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au sens maté

Il est enfin une donnée dont il nous faut tenir compte : c'est l'équivalent grec de menkh dans le Décret de Canope. Cet équivalent, nous l'avons vu dans Brugsch et dans Pierret, c'est εὐεργεσία. Or, ce mot grec vient de ενεργής, qui, selon le Dictionnaire de Bailly, signifie « bien travaillé riel (char, navire, vêtements). Il., V, 585; 24, 396; Hés., O. 627; Od., XIII, 224, etc." On peut également rapprocher de ce mot le mot evɛpyós, qui, dans Théocrite (10, 43) et dans les Géoponiques (2, 46, 1), signifie aussi «bien travaillé». Il est infiniment curieux de constater que cette évolution du mot grec est presque exactement la même que celle du mot égyptien par lequel il est traduit à l'époque ptolémaïque. Le mot evspyns est en effet employé, avec son sens concret, presque technique, par Homère et Hésiode, les deux plus anciens auteurs grecs connus, de même que menkh est employé dans les textes des premières dynasties, et avec un sens analogue. Avec l'action du temps, ces deux mots ont pris, chacun de son côté, une signification de plus en plus abstraite et tellement identique qu'on s'est servi des deux termes, dans le Décret de Canope, pour exprimer la même idée. Ce parallélisme absolu dans l'évolution des deux mots est tout à fait remarquable et méritait d'être signalé.

Sans insister davantage sur les sens métaphoriques de menkh, dont l'étude approfondie, étant donné le nombre considérable des exemples, nécessiterait

Bulletin, t. XXII.

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un mémoire spécial et dépasserait de beaucoup le cadre de ce travail, nous retiendrons ici, comme conclusion, que la racine menkh a eu dans la langue égyptienne, soit successivement, soit simultanément, les sens suivants :

1° Sens technique: ciseau, bédane; menuisier, ouvrier en bois.

2o Sens verbal se servir du bédane, percer un trou, mortaiser; faire un assemblage solide par tenons et mortaises, assembler solidement, monter.

3° Sens passif solidement assemblé, solide.

:

4o Sens abstrait durable, fidèle, constant, loyal (1).

Lyon, le 11 juillet 1920.

(1) Depuis que ces lignes ont été écrites, a paru le Koptisches Handwörterbuch de W. Spiegelberg (Heidelberg, 1921). Le verbe menkh y est rapproché, non pas de мOуNк, mais bien MOYNK, de мOYA MOYλh, zusammenfügen, verbinden, befestigen (p. 59). L'identification des deux mots, égyptien et copte, est absolument indiscutable, et le sens originel que nous proposons

H. LALLEMAND.

pour la racine menkh vient la confirmer complètement. Nous devons ajouter que M. V. Loret, dans son Dictionnaire manuscrit, avait depuis longtemps fait le même rapprochement que M. Spiegelberg. Mais il ne nous avait pas autorisé à en faire état dans ce travail, se réservant d'en tirer lui-même, à l'occasion, le sujet d'une étude spéciale.

INSCRIPTION ARABE

DU KHÂN AL-AHMAR À BEÏSÂN

(PALESTINE)

PAR

J. A. JAUSSEN.

La publication d'un document épigraphique provenant de Beïsân ne manque pas d'intérêt au moment où les fouilles, si habilement conduites par M. Fisher, montrent, avec l'évidence la plus claire, l'importance du site de cette ville dans l'antiquité. On peut lire dans la Revue Biblique, 1922, p. 1 1 1 et seq., l'exposé succinct fait par le Père Vincent des premiers résultats obtenus par les travailleurs infatigables décidés à arracher au sol les secrets de l'histoire et de la civilisation du passé. D'autres communications sur les découvertes plus récentes donneront satisfaction à une curiosité légitime et projetteront un nouveau rayon de lumière sur le rôle historique de cette ville de passage, dans les dans les temps anciens.

L'histoire de Beïsân a été fort bien résumée par le Père Abel, dans la Revue Biblique, 1912, p. 409 et seq. L'inscription que nous publions, encore inédite, du moins à notre connaissance (1), apporte une petite contribution à l'histoire de cette localité.

La pierre sur laquelle est gravée l'inscription est coupée en deux, et les deux morceaux, éloignés l'un de l'autre, ont été estampés séparément. La cassure a fait disparaître une ou deux lettres, mais sans porter préjudice au déchiffrement. La seconde ligne d'écriture se prolonge à droite et à gauche dans les

(1) Van Berchem devait avoir connaissance de cette inscription: il en cite quelques mots dans C. I. A., p. 225, mais il ne l'a pas publiée. M. Guy, le sympathique sous-directeur du Dé

partement des Antiquités en Palestine, s'est donné la peine de prendre un estampage de cette inscription et a eu l'extrême obligeance de me le communiquer.

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