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par la voix de Dieu, en arrivant à Etham (Zarou) ils revinrent sur leurs pas. Avant d'arriver à Zarou, par Faqous, les caravanes passaient sur un pont établi sur un canal dérivé du Nil. Ce pont, détruit par le percement du canal de Suez, a donné son nom à la région et au village moderne. Il était sur l'emplacement de la gare du chemin de fer, El-Qantarah.

De Zarou à Rhinocorura (El-Arîch) la route traversait la plaine basse du Djifâr, dans la zone méridionale du lac Sirbonis (Sabkhat el-Bardaouîl). A cause de l'affaissement du sol submergé une partie de l'année, les caravanes entre Qatieh et El-Flousiyeh (Ostracine) se sont tracé un autre chemin plus méridional; il évite aux hommes ainsi qu'aux animaux un passage très dangereux, souvent impraticable, auquel on ne doit pas se fier; rien de si traître que cette région boueuse. Où l'on passe aujourd'hui, demain il faudra choisir un nouveau chemin et faire un nouveau crochet. C'est le seul point de cette longue route ayant subi des variations depuis l'antiquité. Il faut dire toutefois que pendant les trois ou quatre mois de fortes chaleurs, les terres, suffisamment dures, permettent au courrier postal, et quelquefois aux caravanes pressées, de reprendre l'ancienne route, plus directe. L'ancien tracé est marqué par des ruines et des puits souvent comblés. L'absence d'eau potable en ces lieux est une des causes de son abandon.

A Ostracine la route joignait la mer. Cette ville forte, dont j'ai reconnu l'emplacement (1), était située à la pointe sud-est du lac Sirbonis. Elle s'était développée autour d'un vieux migdol égyptien, que j'avais supposé avoir été « la forteresse du Lion ». Ce rapprochement, comme le montre le tableau comparatif que je donne plus loin (p. 154), est impossible. Je crois maintenant qu'il vaut mieux y reconnaître l'emplacement de la khnoumit (puits ou réservoir) de Séti Ier, du tableau de Karnak, laquelle, suivant le papyrus Anastasi, se trouvait dans le territoire de Âînin. Ostracine, appelée par les Arabes Ouaraduh, fut pillée et ruinée au x siècle par les Francs. A ce moment la ville disparaît de l'histoire, mais le nom subsiste encore à la fin du xviu siècle. Il est mentionné dans une lettre de Bonaparte au général Vial : «Je suis instruit, Citoyen Général, qu'il y a à Varadeh, sur la côte entre Gaza et Damiette, un certain nombre de bateaux chargés de munitions ». Mais à l'époque de Bona

(1) Jean CLÉDAT, Fouilles à Khirbet el-Flousiyeh, dans Annales du Serv. des Antiq., t. XVI, 1916, p. 6-32; DE LA JONQUIÈRE, L'Expédition d'Égypte, vol. III, p. 147.

parte le pays était complètement désert et inhabité; seul le nom de Ouaradah était encore entendu par quelques indigènes.

A 2 ou 3 kilomètres d'Ostracine, la route traverse une large plaine, se dirigeant vers Suez, absolument rase, sans végétation, analogue à la plaine de Péluse; mais ici le sol est plus ferme et plus solide. Elle pénètre ensuite dans une région de dunes (1) et se poursuit au delà de Rafah, dernière limite de la frontière égyptienne. Ces dunes commencent à la petite forteresse romaine d'Abou-Mazrouh édifiée sur un mamelon de sable. Ses constructions, enveloppées et noyées dans le sable, paraissent en bon état de conservation. Avec le poste de Béni-Mazar, au sud d'Ostracine, celui d'Abou-Mazrouh surveillait l'entrée de la route qui allait de Rhinocorura à Suez.

C'est dans ces lieux, près d'Abou-Mazrouh, dans la plaine maritime, que la légende arabe place la merveilleuse aventure d'Abou-Zaid et du roi Baudouin Ier. Ce récit est un mélange de la légende de Samson et Dalila, du combat de David et du géant Goliath et de la mort du roi Baudouin Ier telle que la rapportent les historiens des Croisades. Le roi mourut avant d'arriver à ElArich, et l'endroit que l'on montre aujourd'hui serait le tombeau du roi.

C'est encore un lieu consacré, sur lequel les Arabes de passage ne manquent pas de jeter une pierre, d'où le nom de Hagiarat-el-Bardaouil « pierres de Baudouin» donné à cet endroit.

Vingt kilomètres après Abou-Mazrouh, la route atteint El-Arìch, l'ancienne Rhinocorura. Le village d'El-Arîch s'étale sur le flanc septentrional d'une colline de sable dénudée, face à la mer, qui est à une distance de 3 kilomètres. La forteresse actuelle, sur l'emplacement de l'ancienne, occupe le sommet de la colline. Les environs du village, principalement vers le Ouâdî el-Arîch, sont très riches; on y voit un grand nombre de jardins superbes, de nombreux puits, une vaste forêt de palmiers, et nombre de figuiers géants. L'histoire de cette localité est très obscure. Son nom égyptien est encore ignoré. Cependant, mais je dis cela sous toute réserve, il se pourrait qu'El-Arîch représentât l'emplacement de la forteresse de Charoḥana, n, conquise par Ahmès Ier, puis par Thouthmès III, que le tableau de Karnak appelle du nom

(Les caravanes peuvent suivre, au choix, le rivage de la mer ou l'intérieur de la dune. A cause de l'eau et des localités rencontrées, El

Arich, Cheikh Zouède, Rafah, cette dernière voie est généralement adoptée. Elle est à 3 kilomètres de distance et parallèle à la mer.

vague :

DIEH «la khnoumit de Men-mâ-Râ, la très

puissante (voir plus bas la liste des Itinéraires).

Rhinocorura était certainement une localité très ancienne, située près de la mer et de l'embouchure d'un très important ouâdî portant aujourd'hui le nom de Ouâdî el-Arîch et que la Bible appelle nahar Misraïm le fleuve d'Égypte»; il ne faut pas le confondre, comme on l'a fait fréquemment, avec Chihór ou lac de Ballah (). Diodore de Sicile (liv. I, 60) raconte que Rhinocorura est presque entièrement dépourvue des choses nécessaires aux besoins de la vie. Le pays environnant est couvert de sel; les puits qui se trouvent en dedans de l'enceinte de la ville contiennent peu d'eau, et encore elle est corrompue et d'un goût salé.» Le jugement de l'historien grec est exagéré. Si, comme je l'ai dit, El-Arìch offre des parties arides et improductives, il y en a d'autres extrêmement fertiles et productives. Les arbres fruitiers y sont prospères, la culture des légumes y est abondante. C'est le seul endroit où l'on conserve les pastèques d'une saison à l'autre, et elles sont délicieuses. Et si l'eau est mauvaise, en revanche je n'ai jamais vu cette nappe de sel dont parle le géographe. Il y a une erreur. Cette description conviendrait mieux à Ostracine.

La forteresse domine le village dont les maisons se déploient devant sa façade, sur le flanc de la colline. Elle a été maintes fois prise et reprise, démolie et reconstruite. Celle que nous apercevons aujourd'hui est une construction carrée en pierre, flanquée de quatre tours hexagonales. La porte d'entrée en plein cintre, accostée de deux tours rondes, est percée au milieu de la façade nord. Au-dessus est une belle inscription arabe. De chaque côté, encastrés dans le mur, on peut voir des fragments de sculpture et deux colonnes byzantines renversées.

La ville à l'époque romaine était entourée d'une muraille, dont il ne reste aucune trace. Elle possédait sous les Romains un corps de cavalerie, nommé Ala veterana rasa Gallorum Rhinocorura (2). A l'époque chrétienne elle devint le siège d'un évèché, dépendant d'Alexandrie. On compte comme évêques de cette ville, Hermogène, qui assista au concile de Nicée, et Mélas qui vécut également au ive siècle, sous les empereurs Valentinen et Valens.

Jean CLEDAT, Notes sur l'isthme de Suez, chap. xIII, Chîhôr, dans Bull. de l'Inst. franç. du Caire, t. XVIII, p. 169.

(2) Notitia dignitatum, p. 86 recto et p. 88

verso.

La position de Rhinocorura à proximité de la mer lui a valu une certaine importance. Les Romains y avaient établi une marine ("). C'est par là que les Nabathéens exportaient dans la Méditerranée une partie de leurs marchandises, se composant principalement des produits de l'Arabie. Les restes de la ville maritime, maïouma, se voient à droite de l'embouchure du ouâdì; ils forment une petite colline allongée parallèlement à la mer. Au sommet du tell, couronnant les ruines, se dresse le tombeau du cheikh Iézak.

Après El-Arîch, la route franchit le Ouâdî el-Arích. Son embouchure a 1.500 mètres de largeur environ. Ses bords sont occupés par de splendides palmiers, et à la saison, le lit du fleuve se couvre de champs d'orge qui s'étendent très loin dans le sud.

Le Ouâdî el-Arîch est la limite normale de l'Égypte (pl. I, fig. 2). De l'autre côté commençait le territoire de la Philistie. L'aspect du pays, jusqu'à Rafah, est semblable à celui que nous venons de traverser. En bordure de la la plaine, sahel, large de 1.500 mètres, est couverte de palmiers; elle est limitée par une forte ligne de dunes de sable, parallèle à la mer, d'épaisseur très variable. De l'autre côté de la dune, une étroite bande de terre arable, riche et fertile, au milieu de laquelle serpente la route. Cette petite vallée est bordée par le désert aride, sec et pierreux; c'est l'Arabie Pétrée.

Le territoire compris entre El-Arich et Rafah est d'un intérêt exceptionnel pour l'histoire de l'époque romaine. Nulle part en Égypte je n'ai vu autant de ruines accumulées dans un espace si restreint. Dans un compte rendu de fouilles exécutées à Cheikh Zouède, petit village du territoire, j'ai signalé un certain nombre de ces monticules représentant soit des forteresses, soit d'anciennes cités, dont quelques-unes étaient très développées (2). La plupart des constructions sont en briques séchées au soleil, mais beaucoup d'entre elles sont édifiées en pierres de taille ou en moellons. Il semble les Romains, dans le but de protéger la frontière, aient adopté un système particulier de défense qu'il serait utile et intéressant d'étudier sur le terrain même.

que

que

Il résulte, de l'ensemble de mes recherches sur le territoire syro-égyptien, les Romano-Byzantins avaient établi une triple barrière pour défendre l'entrée de l'Égypte. La première, que j'ai étudiée, s'étendait le long de l'isthme, Annales du Serv. des Antiq., t. XV, 1915, p. 1548.

(1) STRABON, liv. XII, 19.

(2) Jean CLÉDAT, Fouilles à Cheikh Zouède, dans

de Péluse à Suez (1); la deuxième courait le long du Ouâdî el-Arîch, jusqu'au Djebel Tih; plusieurs des constructions de protection s'élevaient dans le ouâdî, à l'entrée des principaux passages et souvent sur le sommet des montagnes. Ces bâtisses sont généralement construites en pierres sèches, dont la montagne et les nombreux ouâdîs sont couverts. La troisième ligne de défense partait de Rafah et se dirigeait sur la Qalaat d'El-Aqabah, au fond du golfe oriental de la mer Rouge. Ce château avait appartenu pendant quelque temps aux pharaons; ils y avaient installé une garnison égyptienne. Plus tard, les rois de Juda s'en rendirent maîtres, et le roi Salomon établit un port près du château. Les rois francs, Baudouin [er, Renaud de Châtillon, l'occupèrent également. Enfin elle demeura, jusqu'à la délimitation turco-égyptienne, en 1906, entre les mains du khédive d'Égypte, qui y entretenait une petite garnison. Nous connaissons peu ce limes. Apparemment il n'a été fortifié régulièrement qu'à partir de l'occupation romaine; mais de sérieuses mesures de défense, de ce côté, furent prises par les Byzantins. L'exploration des lieux, à ce point de vue, serait instructive. A Aoudjeh (2), situé dans la partie centrale nord de cette ligne, on a signalé les vestiges d'une ville considérable, d'une église et d'une forteresse. A défaut d'autres ruines antiques, on a constaté sur divers points de la ligne Rafah-El-Aqabah de nombreux puits, dont la plupart sont revêtus de maçonnerie; parmi les principaux on cite Aïn Qeseimeh, Aïn Qedeis (peut-être l'emplacement de la Qadès de l'Exode), Aïn el-Qedeirat, Bîr Mâyîn, etc. Il est certain que tous ces lieux étaient défendus par des « soldats de frontières», ou limitanei. De loin en loin, aux principaux passages des routes, dans les défilés sur le haut des collines, enfin partout où cela était nécessaire, il y avait des postes de surveillance, peut-être disparus aujourd'hui, ou bien qui n'ont pas encore été signalés par les voyageurs. Les Romains, pour mieux assurer cette ligne de défense, se préoccupèrent d'élever une ligne continue de forteresses, que j'ai signalée autre part, et parallèle à la Méditerranée, allant de Rafah à El-Arich. Il semble que cette partie du système défensif, construit par les Romains, fut délaissée par les Byzantins; l'étude des ruines tendrait à le prouver. Rafah était le nœud de cette organisation.

(1) Voir mes Notes sur l'isthme de Suez, chap. xv, Anbou-heq, dans Bull. de l'Inst. franç, du Caire, t. XVIII, p. 176.

(2) E.B. H. WADE, A report on the delimitation of the Turco-Egyptian boundary between the vilayet of the Hejaz and the Peninsula of Sinai, 1908, p. 73.

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