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J'ai tâché de montrer, dans le chapitre précédent, les conditions du développement économique du territoire syro-égyptien, les nombreuses transformations des parties fertiles de ce territoire au cours des siècles. J'ai dit que ces transformations ne tenaient pas à des phénomènes géologiques, mais à des mouvements sociologiques et civilisateurs. Puis, grâce à la construction de canaux répandant à profusion l'eau douce dans les régions basses et marécageuses, on est arrivé peu à peu à assainir le pays et, par suite, à rendre très active la culture de ces terrains.

Le territoire syro-égyptien n'a pas dû seulement sa célébrité à la fertilité de ses terres. Sa position, resserrée entre deux mers, au carrefour des grandes routes de commerce lui donnait dans le monde une importance extraordinaire.

En conséquence il résulte que, à côté de la question purement économique, la question des voies de communication est de tout premier ordre dans la vie de cette région. Elle porte sur tout le territoire sans exception, et non pas seulement, comme on pourrait le supposer, sur les terres arables, peu étendues en comparaison des terres désertiques.

Les voies de communication sont de deux sortes les voies d'eau et les voies de terre. Les unes et les autres sont parfaitement connues aujourd'hui, grâce à l'identification, presque toujours certaine, des localités traversées par elles.

() Voir les paragraphes I-XVIII de cette série aux tomes XVI (p. 201), XVII (p. 103), XVIII (p. 167) et XXI (p. 55 et 145) du présent Bulletin.

Les voies de terre naturellement sont les plus anciennes; mais certaines voies d'eau peuvent aussi prétendre à une très haute antiquité. Elles étaient, dans cette région de grand trafic commercial, le complément nécessaire des routes de terre. C'est pour cela que nous voyons les grands monarques égyptiens, dans les travaux d'utilité publique, s'intéresser tout particulièrement au développement de ces voies pour faciliter les transports commerciaux. Nous avons vu également que les souverains des XVIIIe et XIX dynasties firent de Zarou leur ville préférée de plaisance et de repos. Était-ce là l'unique raison qui a conduit les rois du Nouvel Empire dans cette cité, centre militaire fort important, camp retranché et place de commerce très actif? Qu'on me permette d'en douter.

Toutes ces routes assuraient la vie de l'Égypte en même temps que les communications avec les pays étrangers. Dès lors, on comprend pourquoi les Égyptiens ambitionnèrent de tout temps la possession de cette terre, qui a joué un si grand rôle dans leur vie politique. Toutefois sa grande transformation n'est pas l'œuvre des Égyptiens. Et si l'Égypte a bénéficié pour une très large part dans cette métamorphose, c'est à l'activité grecque qu'elle le doit. Son action civilisatrice rendit fameuses certaines cités fondées par elle, parmi lesquelles on doit citer en tête Péluse, dont le luxe a fait dire aux anciens : Farma (Péluse) est plus riche que Memphis en merveilles, en monuments, la plus abondante en souvenirs du passé. Cette ville fameuse ne devait être supplantée que par la fondation d'Alexandrie (1).

ROUTES DE TERRE.

Avant le règne des Ptolémées les voies de terre étaient simplement des pistes tracées par le passage fréquent des hommes et des animaux. Dans ces régions marécageuses ou sablonneuses, une tempête de vent, une forte pluie, l'inondation annuelle du Nil, qui couvrait toutes les terres littorales, étaient suffisantes pour détruire les marques fragiles de la piste. Dans certains

(M. Sourdille pense que Péluse est postérieure à la fondation de Naucratis (La durée et l'étendue du voyage d'Hérodote en Égypte, p. 94). Je ne le crois pas. Du reste Hérodote dit for

passages

mellement que les Grecs s'installèrent à l'est de la branche Pélusiaque, sous Psamétiq, avant d'être déportés à Naucratis par le roi Amasis.

difficiles, ainsi que le dit Pline, les caravaniers fichaient en terre des roseaux pour marquer le chemin. Les Bédouins utilisent encore ce système aujourd'hui dans les régions sablonneuses. L'emploi de la charrerie dans les guerres, à la XVIIIe dynastie, a nécessairement obligé les rois égyptiens à modifier le tracé des grandes routes, principalement celle de Syrie. Néanmoins c'est toujours la piste qui est d'un emploi régulier. Les routes amendées devaient présenter l'aspect des voies funéraires en terre battue, qui existent encore sur divers points de la vallée du Nil; elles servaient au transport des lourds sarcophages en pierre, de la carrière à la nécropole, des statues et du mobilier funéraire. Mais il faut au moins descendre jusqu'aux Ptolémées pour trouver des routes construites suivant une règle et un plan conçu par les ingénieurs. Ce n'est surtout qu'à partir de la domination romaine que l'on trouve des informations précises sur le réseau routier de l'isthme. Quelques restes découverts dans la partie méridionale nous ont donné des renseignements exacts sur leur mode de construction. Ce sont de larges voies de 10 mètres de largeur, d'autres de 6 mètres, tracées sur un sol dur et rocailleux. Le procédé de construction appelé par Ulpien viæ glarea stratæ consiste à recouvrir la chaussée de cailloux et de graviers pilés ensemble, et à la rendre parfaitement unie et nivelée (1). Les limites en sont marquées par une bordure de gros cailloux roulés pris sur les lieux. J'ai décrit au chapitre x de ces Notes les vestiges de ces routes; je n'y reviendrai pas (pl. I, fig. 1).

Jusqu'à l'établissement des Grecs en Égypte, c'est-à-dire jusqu'à la XXVI® dynastie, le réseau routier est très simple. Deux routes, traversant l'isthme de Suez, suffisent à entretenir les relations avec les pays asiatiques. Il ne paraît pas qu'il y ait eu, avant cette époque, de transactions commerciales directes entre les deux mers. Si une voie existait entre ces deux points, ce ne pouvait être qu'un chemin militaire reliant entre elles les forteresses de la frontière, dont l'ensemble était appelé « le mur du Prince (2)». De nouvelles voies furent créées par les Ptolémées, et le réseau complètement terminé par les Romains. Plus tard — on ignore exactement la date, probablement un peu avant la conquête arabe suite de l'effondrement du sol et de la transformation

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par

(1) Cité dans DAREMBERG et SAGLIO, Dictionn. des Antiq. grecques et rom., au mot Via, p. 785. (2) Voir Jean CLÉDAT, Notes sur l'isthme de Bulletin, t. XXII.

Suez, chap. xv, Anbou-heq, dans Bull. de l'Inst. franç. du Caire, t. XVIII, p. 176.

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de grandes étendues de terres en lacs, la route du littoral est coupée, et tend par la suite à disparaître, ou bien à se modifier. Tous ces changements seront notés dans la description de chacune des routes.

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Cette voie était la plus importante, peut-être la plus ancienne, des routes du territoire syro-égyptien. Les Égyptiens la désignaient sous le nom de # Ouatou-Hor(1) les Chemins d'Horus"; la Bible (Exode, XIII, 17) l'appelle Route des Philistins", et les Arabes Darb el-Soultán route du Sultan» (pl. IV) (2). Son nom égyptien, suivant une légende, est un souvenir du passage en ces lieux du dieu Horus poursuivant son frère Seth. Ce dieu alla se noyer dans le lac Serbonis, appelé pour cela, par Plutarque (Vie d'Antoine, chap. ), le soupirail de Typhon ». Arrivé à la frontière, Horus cessa sa poursuite contre son frère, et le lieu où devait s'élever Zarou prit aussi le nom de Ouatou-Hor. Il faut noter que Zarou, comme aujourd'hui El-Qantarah, représentent la ligne de séparation des terres cultivées et du désert, de la civilisation et de l'état sauvage; le mythe d'Horus et de Seth est le symbole de ces deux états, Horus étant le principe du bien, la puissance bienfaisante, Seth le principe du mal et des forces vaincues. Donc la légende égyptienne caractérise la nature des deux régions, le Delta et le Désert, dont la limite est l'isthme de Suez.

Depuis la plus haute antiquité le tracé de cette voie n'a pas varié dans sa ligne essentielle; elle est encore pratiquée de nos jours par les caravanes et par les voyageurs qui se rendent de Syrie en Égypte et vice versa. La ligne télégraphique, comme celle du chemin de fer, établie durant la dernière guerre, suivent à peu près sa direction. Pour des raisons stratégiques et commerciales, les Grecs et les Romains abandonnèrent cette vieille voie et la remplacèrent par une autre route longeant le littoral maritime. Les routiers romains ne connaissent que celle-là et ignorent complètement l'ancienne. Au fond, l'abandon des Chemins d'Horus n'a jamais eu lieu, et pour des raisons géogra

(Après examen, la lecture Ouatou-Ḥor au lieu de Herou-Hor me paraît la plus évidente. J'étudierai ailleurs ce petit problème. Ouatou

Hor est la lecture admise par A. Gardiner, et celle de Herou-Hor a été proposée par Maspero. (2) C'est encore le nom usité par les Arabes.

phiques il était matériellement impossible qu'il en fût autrement. Par son peu de largeur, la route côtière ne pouvait se prêter au libre passage d'un corps d'armée ou d'une importante caravane. Du reste, l'étude des expéditions contre l'Égypte paraît confirmer cette assertion. Nous ne voyons, sauf Péluse « clef de l'Égypte, aucune ville du littoral jouer un rôle dans la conduite des armées. Évidemment, à partir de Rhinocorura, souvent cité dans les guerres, les troupes prenaient la voie méridionale avant d'atteindre Péluse. La route de Syrie, après celle du Nil, était certainement la plus importante de l'Égypte. C'était la grande voie des invasions. C'est par elle les que armées assyriennes, perses, grecques, romaines, puis celles des Arabes et des Francs envahirent l'Égypte. Ce fut également la route suivie, en sens contraire, par Ahmès Ier, Thouthmès III, Séti Ier, Ramsès II, Ramsès III et Chéchanq Ier, pour ne citer que les principaux monarques égyptiens, marchant à la conquête de l'Asie. Les troupes égyptiennes étaient rassemblées à la frontière, dans le grand camp retranché de Zarou ("), situé précisément à la tête de la route.

Comme toutes les grandes voies égyptiennes, la route de Syrie partait de Memphis, ancienne capitale de l'Égypte. En réalité, Memphis se trouvant sur la rive occidentale, c'était de la rive opposée que s'effectuait le départ des caravanes, probablement sur l'emplacement actuel de Hélouan. De là, en se dirigeant droit au nord, la route longeait le Nil jusqu'aux environs du Caire, elle inclinait légèrement à droite pour passer à Héliopolis. A partir d'Héliopolis jusqu'à Faqous, après avoir traversé le Ouâdî Toumîlât, «vallée de Gessen», aux environs d'El-Abbâssah, la route obliquait vers l'est et atteignait Zarou. De Faqous à Zarou (El-Qantarah) le trajet s'effectuait d'une seule traite, à travers le plateau argileux d'El-Ferdan. Les caravanes empruntaient aussi le Ouâdî Toumîlât, jusqu'à Tekou (Tell el-Maskhoutah); à cet endroit, elles quittaient le ouȧdi et gagnaient Zarou, en traversant obliquement le plateau d'ElFerdan. Le chemin par le ouâdî était plus long, mais préférable et surtout plus commode. Il était peuplé et bien approvisionné d'eau et de vivres. Dans les localités traversées les caravanes pouvaient encore se livrer au commerce. Ce fut le chemin choisi par les Hébreux en quittant l'Égypte. On sait comment,

(1) D'où son nom de Aat-ouârt «le Château du départ» que lui donnent les textes de la période dite Hyksôs et ceux du Nouvel Empire (Jean CLÉDAT, Le site d'Avaris, dans Recueil Champollion, p. 185-201).

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