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Une voix plus puissante, celle de notre président, indiquait aussi au récipiendaire l'importance d'une étude qui devait avoir d'autant plus de prix, qu'aucun travail du même genre n'avait été entrepris par les sociétés savantes.

La nouvelle livraison qui vient de paraître de la grande publication que poursuit M. Bouthors, me dispenserait de vous parler de l'esquisse topographique et féodale du comté d'Amiens au XII. siècle, à laquelle elle sert d'introduction, si ce travail n'était un des plus intéressants pour la société.

Après avoir jeté un coup-d'œil rapide sur l'organisation féodale et les institutions judiciaires de l'Amiénois, l'auteur s'efforce de montrer la part d'influence que les abbayes y ont exercée. Et d'abord parlant des abbayes royales, il rappelle le rôle qu'elles ont joué sous les rois de la première et de la deuxième race. Ce sont les fondateurs en effet et les chefs de ces abbayes qui ont aidé les conquérants de la Gaule à y cimenter leur puissance. Mais à l'arrivée des Normands, vint avec eux l'annéantissement du pouvoir royal et pour l'église la perte de son crédit et de son influence, M. Bouthors fait voir alors comment la société ecclésiastique a dû renouveller au milieu de la société féodale du xr siècle, le système quelle avait suivi au milieu de la société barbare du vre siècle. Il explique par les avantages qu'en retiraient les seigneurs les libéralités excessives faites aux abbayes pendant le cours du XIIe siècle, et pourquoi les établissements religieux sont l'un des signes caractéristiques du fief de dignité c'est que le droit de fonder même une simple prébende suppose la possession du droit d'amortissement, car ce

lui-là seul pouvait mettre à l'abri de l'éviction, qui ne craignait pas le contrôle d'un seigneur dominant. L'intérêt qu'avaient les hauts barons à se faire les protecteurs des églises, s'explique par le besoin de légitimer leurs usurpations, et les églises par un juste retour s'obligeaient a mettre sous la protection ecclésiastique ceux qui les avaient placés sous la sauve-garde de l'autorité temporelle. Sans l'église jamais la société féodale n'eût pû surmonter les obstacles que sa constitution, image du chaos, opposait à sa régénération politique, c'est couvrant de son droit d'asile et du privilége de ses immunités, les malheureux qui avaient besoin de son appui, que l'église est parvenue à s'environner de l'amour des peuples et à conquérir le sceptre de la domination universelle.

M. Guérard vous a fait connaître l'ouvrage de MM. Brun Lavaine et Elie Brun, ayant pour titre. Les sept Sièges de Lille. Il a signalé le mérite incontestable de cette œuvre dont les auteurs, par des récits clairs, succincts et rapides des faits qui y sont rapportés, ont su rendre populaires le principales particularités de cette histoire.

Mais un travail plus important a fait l'objet des études de notre collègue je veux parler de la Notice sur quelques circonstances de la vie de St.-Geoffroy, évêque d'Amiens, et sur l'époque de sa mort, qui doit faire partie de votre 6. volume; et qui déjà a pu être rendue publique. Il y a quelques années, M. Guérard, examinant des titres tirés de la maison de Noailles, relatifs à la commune de Poix, découvrit deux chartes, l'une de 1118, l'autre de 1121, toutes deux souscrites par St.-Geoffroy, 38. évêque d'Amiens.

Ces pièces excitèrent d'autant plus son attention que tous les historiens d'Amiens avaient placé la mort de Geoffroy en 1115, excepté Lamorlière, qui la fixe en 1118 et signale la première de ces chartes. M. Guérard ne doute pas de leur authenticité et prouve que tous les auteurs ont été entraînés par Surius dans cette erreur. Avant d'aborder la discussion et pour la rendre plus facile, il retrace les événements principaux de la vie du saint évêque dans un récit plein de force et de chaleur. Se servant ensuite de la date connue du concile de Beauvais et de la destruction du castillon, il fait voir que Geoffroy vivait encore en 1117, 1118 et même 1119. Il explique comment bien qu'une charte émanât d'Enguerrand dans cet intervalle, la charte de Poix de 1118 pouvait cependant émaner de Geoffroy, et comment les chartes d'Enguerrand de 1119 et de 1120, pas plus que sa présence aux deux conciles de Rheims et de Beauvais, ne prouvent la mort de Geoffroy. Ces actes ont une origine commune, l'usurpation. L'auteur se résume en disant que ces faits prouvés, la mort du saint évêque devra être placée au 6 des kalendes de novembre 1121, et cette année se trouve précisément être la 18.° du règne de Louis-leGros, indiquée par Surius.

Poursuivant ses études sur la mythologie germanique de Grimm, M. A. Breuil, dans deux nouveaux chapitres de son analyse, s'est occupé des temples et des prêtres. Rappelant ce rapport de Tacite, que les anciens Germains croyaient qu'il était impie d'emprisonner les dieux entre des murailles et qu'ils leur consacraient des bois et des forêts; il confirme ce témoignage par l'examen des mots qui, dans les vieilles langues germa

niques, servaient à désigner les demeures terrestres de la divinité.

Pendant plusieurs siècles et jusqu'à l'introduction du christianisme, on vit persévérer la coutume d'adorer la divinité dans les forêts et les arbres saints, et le culte des bois se révéler avec d'autant plus d'évidence que la conversion est plus tardive. Pour ne parler que de la Gaule, M. Breuil puise de précieux renseignements dans la vie de St.-Germain d'Auxerre sur un poirier vénéré dans cette ville au IV. siècle, quand il n'est point supposable que la tradition germanique se soit mêlée aux usages des Celtes. Cependant il n'est pas douteux que l'on ait aussi élevé des temples pour certaines divinités, et le char couvert de la déesse Hertha en est déjà un en quelque sorte. Ce n'est que vers le milieu du v. siècle que l'on voit un temple dans les gorges du Jura, et au vi., un temple franck situé près du Rhin; et toujours, dans les Hagiographes, il est expressément remarqué qu'à la place de l'arbre ou du temple payen une église fut élevée.

S'occupant du sacerdoce germaniqne, M. Breuil signale les expressions payennes qui désignaient le prêtre dans la langue germanique, expressions qui révèlent une relation étroite entre les fonctions du prêtre et celles du juge; il signale également la grande affinité qui paraît avoir existé dans le Nord entre les poètes et les prêtres. Ici l'auteur est naturellement appelé à parler des prêtresses et des prophétesses de l'antiquité germanique. Tel est l'ensemble des faits qu'il a rattachés par de nombreux rapports et de fréquentes applications â l'histoire des usages civils et religieux de notre antique Picardie.

Qu'il me soit permis, Messieurs, de vous rappeler une lecture que j'ai faite d'une notice sur une découverte de tombeaux à St.-Accart, près Flixecourt. J'y trouverai l'occasion de remercier M. de Belloy de l'empressement qu'il a mis à nous faire part de cette découverte, et de l'obligeance avec laquelle il voulut bien faire exécuter les fouilles dont j'indiquai la direction.

Après avoir donné la description de ces tombeaux en pierres, les pieds vers l'Est, alignés et placés à des intervalles égaux, et remplis d'ossements, là brisés et pêle-mêle, ici entiers, là symétriquement rangés, les os des bras et des jambes de divers squelettes placés aux deux extrêmités et au centre, et dans les espaces laissés vides, des cranes entassés, j'ai signalé la voûte formée de blocs de grès qui s'était affaissée sur les cercueils et les avait brisés. J'ajoutai une explication de ces faits, qui, toute hypothétique qu'elle est, me semble fondé en raisons. Cette sépulture, selon moi, est un caveau sépulcral où l'on déposait les corps morts, les nns dans des tombeaux de pierre quand ils étaient riches, car les auges étaient amenés d'assez loin; les autres sur le sol, dans une simple couche d'argile. Une génération a passé et l'autre dut aussi ensevelir les restes de ses pères. Alors elle a remplacé par les corps des siens ceux de ses ancêtres, et elle a rassemblé dans une tombe en pierre les débris de ceux qui avaient reçu cet honneur ; tandis que les autres, citoyens vulgaires, furent entassés sans ordre et n'eurent de tombeau que l'espace laissé libre eutre les cercueils des riches et des puissants.

Si nous avons parlé des travaux originaux n'oublions point non plus de vous rappeler les nombreux rapports

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