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Société des Bibliophiles de Gand, apocryphe peut-être pour certains détails, n'en est pas moins pour d'autres détails et dans son ensemble un monument historique d'une assez grande importance.

J. DAVID.

PHILOSOPHIE DU DROIT.

VI.

DU FAIT ET DU DROIT.

§ I.

PRÉLIMINAIRES.

De tout temps l'humanité a distingué les choses et les idées, les institutions et le droit, ce qui est et ce qui doit être. La loi et la liberté, le droit et le fait sont des notions universellement reconnues par la conscience. L'homme dispose de ses désirs et de ses actions; il sait aimer et haïr; il est libre d'agir ou de ne pas agir. Il reconnaît en outre une loi du bien et du mal; il sent la joie ou le remords; il rend hommage au juste et déverse le blâme sur l'injustice.

Il y a longtemps que la législation civile a établi un pouvoir social, des droits individuels, un régime de la propriété, un système pénal, des rapports de famille. La philosophie du droit, de son côté, est appelée de sa nature à juger les faits et les institutions : étudier l'organisation sociale tout entière, en rechercher l'origine le but et les conditions; établir, s'il en existe, les limites de toute volonté humaine; constater, s'il est possible, les droits divers qui forment le patrimoine

de tout homme, telle est l'importante mission de la science du droit.

On ne saurait méconnaître qu'il existe de nos jours une opposition frappante entre le droit et le fait, les idées reçues et les lois sociales. La philosophie et la littérature sont loin d'avoir renoncé aux rêves d'égalité absolue, de communauté des biens, de réhabilitation de la femme, à leur grande illusion d'une régénération entière du genre humain. Le mouvement politique, qui, il y a un demi-siècle, provoqua une réaction si violente contre le passé, semble pousser les générations vers un avenir inconnu. Nous ne prétendons pas que ces oppositions haineuses, ces luttes passionnées, qui fatiguent les nations modernes, ne soient, à tout prendre, que de simples erreurs de la science; nous ne faisons ici qu'établir un parallèle entre la logique des événemens et la logique des idées.

La science du droit est loin de présenter un intérêt d'ensemble, une harmonieuse unité de doctrines. Il y a aujourd'hui deux théories tout à fait opposées en matière de droit et de législation. L'école rationaliste continue de demander à la raison et à la logique l'explication des problèmes sociaux. L'école historique s'attache uniquement aux institutions positives (1); à son point de vue, la famille, l'état, la propriété, sont des données que la science doit reconnaître. L'une est l'école du droit, l'autre l'école du fait. Les philosophes rationalistes ont foi dans les destinées futures de l'humanité; ils saluent dans l'avenir ce qu'ils n'aperçoivent ni dans le présent ni dans le passé. Les partisans de l'histoire s'en vont du moyen âge à Rome, de Rome à Athènes, étudier tour à tour les champs de Mai, le forum et l'agora. Le rationalisme s'est éta

(1) Montesquieu.

bli dans le sanctuaire de la pensée, bien loin du monde et de la société; la philosophie du fait méconnaît le droit de la raison et s'est allé placer au seuil de l'histoire.

Dès son origine, la philosophie rationaliste chercha à donner une base nécessaire aux faits sociaux. La raison était son guide, la nature son point de départ (1); elle voulait trouver le droit dans l'homme; elle étudiait la société dans l'individu. D'après les systèmes anciens de droit naturel, toutes les institutions du monde peuvent être ramenées à une règle simple, primitive, immuable, telle que la sociabilité, le désir du bonheur, le principe de la crainte. Depuis Kant il a été reconnu que toute théorie, quelle qu'elle soit, pour prétendre à l'évidence et à la nécessité logique, doit s'appuyer uniquement sur les lois absolues de la raison. Or le développement individuel comme la vie sociale sont loin d'offrir l'image et de présenter la réalisation fidèle d'un système d'idées ou d'une série de raisonnemens, et le rationalisme aboutit enfin à la négation de tout fait, de toute liberté, de toute activité humaine. La philosophie rationaliste avait commencé par le doute, elle devait finir par le néant (2).

La nature ni la raison ne sauraient servir de point de départ à la philosophie du droit; mais d'un autre côté « il faut savoir ce qui doit être pour bien juger de ce qui est (3). » Aussi est-il tout à fait impossible à la pensée de l'homme d'abandonner à jamais toute investigation philosophique sur

(1) Pour prévenir tout malentendu, nous croyons devoir remarquer que les mots nature et raison sont pris ici dans leur acception restreinte et philosophique.

(2) Descartes avait prétendu que la philosophie doit partir du doute; de nos jours la science rationaliste est arrivée, dans le système de Hege

au résultat suivant

l'être est égal au néant.

(3) Émile, L. V.

l'origine et la nature du droit. L'école historique, il est vrai, a fait des recherches immenses sur le droit positif; grâce à des jurisconsultes tels que Savigny et Hugo, l'histoire du droit romain et le moyen âge nous sont mieux connus que jamais. Cependant la philosophie du droit suppose évidemment une théorie quelconque sur l'origine du pouvoir, sur les destinées de l'homme, sur les rapports de la législation et de la morale, sur les droits et les devoirs des personnes, sur les intérêts à protéger, sur les principes à reconnaître.

Frappés de l'opposition qui existe de nos jours entre les théories et les choses, entre le droit et le fait, entre la philosophie et l'histoire, nous voulons rechercher, dans ce travail, l'origine de cette grande contradiction que présente notre époque; nous commençons ces études par un examen critique des principaux systèmes de philosophie du droit; nous voulons montrer qu'en partant de la nature ou de la raison, on ne parvient point à l'intelligence des choses et des faits sociaux. Après quoi nous indiquerons ailleurs l'origine du droit et l'explication des institutions humaines. Nous tâcherons de compléter ce qui manque aux théories exclusivement positives, en établissant un principe supérieur qui régit l'histoire des législations civiles.

Les divers systèmes que la philosophie rationaliste a produits sur le principe du droit et sur la justice humaine peuvent, ce nous semble, être groupés sous deux catégories, présentant chacune des caractères propres et distincts. La science du droit depuis Hugo Grotius jusqu'à Kant offre un ensemble de doctrines comprises dans l'expression générale de Droit de la nature; elles sont pour la plupart l'œuvre de jurisconsultes célèbres. Placés au point de vue des institutions positives, guidés par la jurisprudence romaine, par les doctrines stoïciennes et la philosophie d'Aristote, leurs auteurs ont cherché

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