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HISTOIRE NATIONALE.

V.

SUR LA VALEUR HISTORIQUE

DE LA CHRONIQUE RIMÉE DE LA GUERRE

DE GRIMBERGHE.

L'un des plus anciens monumens de notre littérature nationale est la Chronique rimée de la guerre de Grimberghe, composée en partie par un écrivain du XIIIe siècle, en partie par un continuateur qui, comme il le dit lui-même, vivait

vers 1400.

La plupart des historiens modernes ont parlé de cette Chronique; tous s'accordent à dire qu'elle renferme une foule d'erreurs, de détails fabuleux et d'anachronismes; mais un d'eux, l'auteur des Trophées de Brabant, est allé beaucoup plus loin, et a relégué parmi les fables l'histoire tout entière de cette longue guerre.

J'ai pensé, Messieurs, que l'examen de cet ouvrage et de l'événement qui y est rapporté, entrait dans les travaux auxquels se livre notre société ; j'ai fait cet examen et je viens ap

peler votre attention sur le résultat des recherches auxquelles je me suis livré à ce sujet, recherches toutefois qui ne sauraient être qu'incomplètes, parce qu'elles exigent beaucoup de temps, et que je n'ai pu y consacrer que quelques rares instans de loisir.

Je commencerai par vous présenter un aperçu très-succinct des faits tels qu'ils sont rapportés dans la Chronique ; j'examinerai ensuite la valeur historique de ce récit, et enfin la question de savoir si la guerre de Grimberghe doit être mise au rang des fables, comme le pense Butkens, ou si cette guerre a eu lieu réellement.

L'auteur de la Chronique remonte jusqu'à la guerre de Troie, et cherche, à l'exemple de plusieurs autres chroniqueurs de son temps, l'origine de notre nation dans les débris de l'armée troyenne échappés à la destruction de leur ville. Mais sans s'arrêter longtemps à cette fable, il parcourt rapidement la succession des souverains de Brabant, jusqu'à l'époque où Godefroi Ier surnommé le Barbu, qui était comte de Louvain et de Bruxelles, obtint de l'empereur Henri V la dignité ducale de la Basse-Lotharingie.

Un siècle avant, cette dignité avait appartenu à Charles de France, et après lui à son fils Otton. Jusqu'alors tous les seigneurs possédant des terres dans le Brabant, les avaient relevées des ducs de Lothier; mais après la mort d'Otton, avec lequel s'éteignit la descendance mâle de Charlemagne, la puissance des ducs s'était beaucoup affaiblie; les grands vassaux de Brabant, parmi lesquels on comptait en première ligne le seigneur de Grimberghe, n'avaient plus reconnu de suzerain, et s'étaient dispensés de faire hommage de leurs seigneuries aux successeurs d'Otton dans la dignité ducale, ou à ses héritiers dans le comté de Bruxelles.

Cet état de choses continua jusqu'à l'époque où Godefroi

le Barbu, déjà comte de Louvain et de Bruxelles et marquis d'Anvers, fut investi du duché de Basse-Lotharingie. Cette dignité lui procura un grand accroissement de puissance, dont il fit le premier essai en sommant le seigneur de Gaesbeke, celui de Hornes et quelques autres à venir lui faire hommage de leurs terres, comme ils l'avaient fait du temps du duc Charles. Ces seigneurs obéirent; mais. celui de Grimberghe ayant été sommé à son tour, fit répondre au duc Godefroi, qu'il n'était pas son vassal, qu'il ne reconnaissait en ses seigneuries d'autre chef que Dieu, si ce n'est cependant en ce qui regardait la route conduisant de Grimberghe à Bruxelles, qu'il tenait en fief de l'empereur.

Cette réponse n'était pas de nature à satisfaire le duc de Brabant, aussi celui-ci envoya-t-il une députation vers l'empereur pour le prier d'intervenir et de maintenir son représentant en Belgique dans ses droits et prééminences. Henri V se rend à Bruxelles et de là à Afflighem, où il mande le sire de Grimberghe, Arnould Berthout. Ce dernier s'excuse d'aller en personne, se disant malade, mais il envoie ses deux fils Wauthier et Gérard, qui, après avoir entendu le chef de l'empire, lui répondent que leur père et ses prédécesseurs ont cessé de faire hommage de leurs terres au duc de Brabant depuis cent ou deux cents ans; ils ajoutent toutefois qu'ils rapporteront fidèlement à leur père ce que l'empereur leur a dit. Quand ils furent de retour à Grimberghe, Arnould convoqua tous ses parens, ses amis et ses vassaux, et les pria de l'aider de leurs conseils. On délibéra sur ce qu'il fallait faire: il fut résolu de refuser l'hommage au duc de Brabant, et de risquer corps et biens plutôt que de se soumettre aux exigences du duc Godefroi. Mais comme il convenait de ne pas offenser l'empereur, il fut en même temps résolu de députer vers le monarque, pour lui faire connaître les raisons qui fai

saient agir ainsi le sire de Grimberghe. Les envoyés trouvèrent Henri Và Louvain. Après qu'ils eurent rempli leur mission, l'empereur leur dit qu'il y avait doute, et que par conséquent chacun pouvait faire de son mieux, pour défendre son droit. Ceci se passa en présence du duc, qui jura qu'il aurait raison du sire de Grimberghe, dùt-il lui en coûter villes et villages.

Dès-lors on se prépara à la guerre des deux côtés. Le duc de Brabant usa le premier de voies de fait. Il fit arrêter et jeter en prison quelques marchands de Grimberghe qui se rendaient à Bruxelles, et refusa de les relâcher; alors ceux de Grimberghe usèrent de représailles et se mirent à faire des courses sur les terres du duc. Les gens de ce dernier avaient pour refuge le château de Netelare près de Vilvorde; tandis que ceux de Grimberghe se retiraient au besoin dans la forteresse de ce nom. Ces incursions réciproques durèrent des années tout fut détruit depuis Grimberghe jusqu'à Bruxelles; rien ne demeura debout autour de Vilvorde, à l'exception du château de Netelare et du village qu'il couvrait.

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Le sire de Grimberghe n'osa pas entreprendre de combattre son adversaire en rase campagne, ne pouvant opposer des forces égales à celles du duc de Brabant, qui recevait des secours de l'empereur. On essaya plus d'une fois de faire la paix, mais il se rencontra toujours des gens qui surent l'empêcher.

Cependant Godefroi le Barbu mourut en 1140, et laissa ses états à son fils appelé comme lui Godefroi, deuxième du nom. Celui-ci continua les hostilités sur le même pied, mais avec moins de succès que son père : de sorte que le sire de Grimberghe reprit sur Godefroi II plusieurs terres que le premier Godefroi lui avait arrachées.

Malheureusement Godefroi II ne fit que passer; il mourut

selon la Chronique en 1144 (1), laissant pour lui succéder un fils du même nom âgé d'environ un an. On donna à ce jeune prince quatre seigneurs brabançons pour tuteurs. Ceux-ci résolurent de soutenir les droits de leur jeune maître et d'agir avec vigueur contre le seigneur de Grimberghe. Mais ce dernier, profitant des circonstances, rassembla à la hâte ses chevaliers et ses gens d'armes, pour aller mettre le siége devant le château de Netelare, et avant que les tuteurs du jeune duc eussent pu venir au secours de la forteresse, elle tomba entre les mains de l'ennemi, qui la rasa et brûla le village. Il y eut ensuite un combat, où les Brabançons eurent le dessous, et furent forcés de se retirer avec grande perte.

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Les tuteurs furent très-irrités de cet échec ils voyaient maintenant qu'ils auraient besoin de tous leurs efforts pour réprimer l'audace du sire de Grimberghe et pour faire triompher la cause du duc de Brabant. Ils convoquèrent donc à Cortenberg une assemblée générale de tous les seigneurs du pays. Là on résolut d'armer tous les sujets du duc capables de porter les armes, d'envahir les terres de l'ennemi, et de n'abandonner l'entreprise qu'après avoir détruit le château et ravagé tout le pays de Grimberghe.

De son côté le seigneur de Grimberghe en fit autant : bientôt on en vint aux mains et il fut livré une sanglante bataille dans laquelle ceux de Brabant essuyèrent une défaite totale. Plusieurs des amis du sire de Grimberghe lui conseillèrent alors de profiter des avantages qu'il venait de remporter, pour faire une paix honorable avec les tuteurs du duc de Brabant. On chercha à lui faire comprendre que ses adversaires étaient trop puissans et avaient trop de ressources pour ne pas l'emporter à la longue. Ce conseil ne fut pas suivi; mais le sire

(1) Selon l'Art de vérifier les dates, au Carême de l'an 1143 n. s.

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