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TYPOGRAPHIE DE CH. LAHURE Imprimeur du Sénat et de la Cour de Cassation rue de Vaugirard, 9

MÉMOIRES

COMPLETS ET AUTHENTIQUES

DU DUC

DE SAINT-SIMON, Lou

SUR LE SIÈCLE DE LOUIS XIV ET LA RÉGENCE

COLLATIONNÉS SUR LE MANUSCRIT ORIGINAL
PAR M. CHÉRUEL

ET PRÉCÉDÉS D'UNE NOTICE

PAR M. SAINTE-BEUVE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

TOME TROISIÈME

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie

RUE PIERRE-SARRAZIN, No 14

1856

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Levi L. Bostons.

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MÉMOIRES

DE SAINT-SIMON.

CHAPITRE PREMIER.

Siége et prise de Brisach par Mgr le duc de Bourgogne, qui revient à la cour. Le Portugal se joint aux alliés. -Infidélité du duc de Savoie. Changement entier en Espagne; vues de la princesse des Ursins; routes qui la conduisent à régner en Espagne. Princesse des Ursins s'empare de la reine d'Espagne. Caractère de la reine d'Espagne. Princesse des Ursins gagne les deux rois. Caractère de Philippe V. Junte ou despacho devenue ridicule. Discrédit des deux cardinaux et leur conduite. Personnage d'Harcourt. - Artifice de retraite en Italie demandée par la princesse des Ursins. Louville écarté. Aubigny; son énorme progrès Chute du despacho. - Louville

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et sa licence.

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Retraite des cardinaux.

a ordre de revenir tout à fait. Abbé d'Estrées ambassadeur de France.
Princesse des Ursins règne pleinement avec Orry sous elle et Aubigny
par elle.
Valouse et sa fortune. La Roche à l'estampille.
François demeurent à Madrid. Chute de Rivas.

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Mgr le duc de Bourgogne, après plusieurs camps, avoit passé le Rhin. Le maréchal de Vauban partit de Paris en cadence, le joignit peu après, et le 15 août Brisach fut investi. Marsin avoit paru le matin du même jour devant Fribourg. Le gouverneur, se comptant investi, brûla ses faubourgs, et celui de Brisach lui envoya quatre cents hommes de sa garnison et soixante canonniers. Tous deux en furent les dupes, et Brisach se trouva investi le soir. Il tint jusqu'au 6 septembre, et Denonville, fils d'un des sous-gouverneurs des trois princes, en apporta la nouvelle, et Mimeur la capitulation. La garnison, qui étoit de quatre mille hommes, étoit encore de trois mille cinq cents qui sortirent par la brèche avec les honneurs de la guerre, et furent conduits à Rhinfels; la défense fut médiocre. Mgr le duc de Bourgogne s'acquit beaucoup d'honneur par son application, son assiduité aux travaux, avec une valeur simple et naturelle qui n'affecte rien et qui va partout où il convient, et où il y a à voir, à ordonner, à apprendre, et qui ne s'aperçoit pas du danger. Marsin qui prenoit jour de lieutenant général, mais que le roi avoit attaché à sa personne pour cette campagne, lui faisoit souvent là-dessus des représentations inutiles. La libéralité, le soin des blessés, l'affabilité et sa mesure suivant l'état des personnes et leur mérite, lui acquirent les cœurs de toute l'armée. Il la quitta à regret sur les ordres réitérés du roi, pour retourner en poste à la cour, où il arriva le 22 septembre à Fontainebleau. On s'étoit bien gardé de SAINT-SIMON III 1

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LE PORTUGAL SE JOINT AUX ALLIÉS.

[1703]

lui laisser entrevoir que la campagne n'étoit pas finie. Le projet du maréchal de Tallard auroit été embarrassé de sa personne depuis que l'exemple du roi a borné ces premières têtes de l'État à des siéges et à des campements exempts des hasards des batailles.

Le Portugal nous avoit manqué, ou plutôt nous avions manqué au Portugal, avec qui on ne put exécuter ce qu'on lui avoit promis de forces navales pour le mettre à couvert de celles des Anglois. Le duc de Cadaval, le plus grand seigneur et le plus accrédité du conseil du roi de Portugal, l'avoit fait conclure. L'exécution en étoit d'autant plus essentielle, qu'il étoit clair que les Portugais ne pouvoient point se défendre par leurs propres forces d'ouvrir leurs ports aux flottes ennemies. Il ne l'étoit pas moins que l'Espagne ne pouvoit être attaquée que par le côté du Portugal, et que l'archiduc ne pouvoit mettre pied à terre ailleurs pour y porter la guerre. Rien n'étoit donc plus principal que de garder contre lui cette unique avenue, de conserver le continent de l'Espagne en paix en gardant bien ses ports et ses côtes, et de s'épargner une guerre ruineuse et dangereuse en ce pays-là, tandis qu'on en avoit partout ailleurs à soutenir. Les alliés avoient le plus puissant intérêt à s'ouvrir une diversion si avantageuse, qui de plus donneroit par mer une jalousie et une contrainte continuelle, dès qu'ils pourroient faire hiverner leur flotte dans le port de Lisbonne, et avoir la liberté dans tous les autres du Portugal. Aussi ne perdirent-ils pas de temps à prévenir l'obstacle que nous y pouvions mettre, et par la lenteur ou l'impuissance d'accomplir à temps notre traité, ils forcèrent le roi de Portugal à en signer un avec eux, qui pensa plus d'une fois dans la suite coûter la couronne à Philippe V.

Presque en même temps on s'aperçut de l'infidélité du duc de Savoie. Phélypeaux, ambassadeur du roi auprès de lui, qui avoit le nez fin, en avertit longtemps sans qu'on voulût le croire. Les traités, la double alliance, les anciens mécontentements sur le dédommagement du Montferrat, la ferme opinion de Vaudemont qui se gardoit bien de mander ce qu'il en pensoit, la duperie et la confiance si ordinaire de Vendôme, tout cela rassuroit; Mme de Maintenon ne pouvoit croire coupable le père de Mme la duchesse de Bourgogne; Chamillart, séduit par les deux généraux, étoit de plus entraîné par elle, et le roi ne voyoit que par leurs yeux. A la fin mais trop tard, ils s'ouvrirent: mais avant de raconter le périlleux remède auquel, pour avoir trop attendu à croire, on fut forcé d'avoir recours, il faut voir l'entier changement de scène qui arriva en Espagne, et y reprendre les choses de plus haut.

Si on se souvient de ce que j'ai dit (t. II, p. 246 et suiv.) de la princesse des Ursins, lorsqu'elle fut choisie pour être camarera-mayor de la reine d'Espagne à son mariage, et depuis lors de l'apparente régence de cette princesse, pendant le voyage du roi son mari en Italie, on verra que Mme des Ursins vouloit régner; elle n'y pouvoit atteindre qu'en donnant à la reine le goût des affaires et le désir d'y dominer, et se servir du tempérament de Philippe V et des grâces de son épouse pour un partage du sceptre qui, en laissant l'extérieur au roi, en feroit

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