Page images
PDF
EPUB

qui existe entre l'art chrétien et l'art [aïen ou l'art profane de nos jours!

Que n'aurions-nous pas à ajouter au point de vue des seules convenances artistiques, si nous entreprenions de comparer les œuvres d'orfevrerie du moyen âge aux œuvres contemporaines de même nature! Les vieux artistes ont épuisé les trésors de la plus riche imagination dans ces mille potits accessoires si finis, si délicats, si précieux, où nous ne savons ce que nous devons le plus admirer ou de la perfection du travail où de l'infinie variété des formes. Nous renvoyons le lecteur au I volume des Mélanges d'Archéologie et de littérature, par MM. A. Martin et Ch. Cahier, où ils verront de magnifiques gravures représentant la splendide châsse des grandes reliques d'Aix-la-Chapelle.

ACCOLADE (OGIVE OU ARC EN). (Voy. ARC.) ACCORD. On appelle ainsi dans les arts l'effet qui résulte de l'heureuse disposition de toutes les parties d'un ouvrage. Dans l'architecture, ce terme s'applique à l'art de dessiner et d'ombrer les objets, à la disposition du plan, à la distribution des ornements, à l'arrangement des parties et à l'unité de caractère et de style. «On distingue, dit Millin, l'accord de composition et l'accord de goût et de style. Le premier consiste à ne rien admettre d'inutile, à combiner le plan avec l'élévation, la décoration extérieure avec les dispositions intérieures, à être sévère sur le choix et le nombre des ornements, à rejeter tous les détails qui peuvent détruire l'unité et l'harmonie. L'accord de goût et de style tient à l'union des arts entre eux. Il exige de la part de l'artiste la connaissance pratique et même l'exercice des autres arts qui contribuent à l'embellissement de l'architecture. Il en résulte cette identité de caractère, cette unité de style, qui se rencontrent dans les beaux ouvrages des anciens. Ce mérite manque trop souvent aux ouvrages modernes, où le style de l'architecte diffère quelquefois infin ment du style de ceux auxquels il abandonne la décoration, comme une chose qui Ini est étrangère et dont il ne se croit pas responsable. »

Dans les œuvres des artistes de la période ogivale, l'accord de goût et de style règne d'une manière admirable. Plus on les étudie, plus on est frappé des ressources que l'architecte avait en son pouvoir. Si l'architecte ne dirigeait pas immédiatement lui-même toute la décoration sculptée, peinte, etc., de l'édifice qu'il avait bâti, il exerçait au moins une influence décisive; à moins que l'on ne préfère admettre que tous les artistes de cette période étaient tellement imbus des mêmes principes, qu'ils pouvaient concourir à la réalisation d'un même p:ojet, à l'accomplissement d'un même but, tout en n'obéissant qu'à leurs inspirations personnelles. Malheureusement nous ne possédons qu'un nombre infiniment restreint de monuments où l'on puisse aisément reconnaître les traces de ce merveilleux accord de goût et de style. Nous en avons toutefois assez pour appuyer nos idées et nos jugements à ce

sujet. Les vitraux peints, qui garnissent les hautes fenêtres du chœur et de la nef, sont éminemment propres à répandre une teinte douce et harmonieuse sur l'intérieur du temple, surtout si l'on suppose que l'enceinte est entièrement peinte et dorée, comme cela eut lieu à la Sainte-Chapelle de Paris et ailleurs.

Les hommes initiés à la connaissance de l'art chrétien du moyen âge savent que non-seulement l'architecture et ses accessoires obligés sont parfaitement en accord, mais encore que le mobilier, comme les chaires, les grilles, les fonds baptismaux, les stalles et les autres objets d'art, sont en rapport d'harmonie entre eux. Il y eut, par conséquent, à cette époque, infinie variété dans la plus sévère unité. Quiconque a tant soit peu étudié le x siècle, cette phase transitionnelle si curieuse et si originale dans cerfaines de ses innovations, le x siècle, cette époque de brillante inflorescence de l'art og val, le xv siècle, cette séduisante et coquette apparition de mille formes capricieuses, est à même de distinguer, sans erreur possible, le moindre ouvrage, le moindre fragment, qui leur appartiennent, et cela non pas uniquement en, architecture, mais dans toutes les branches de l'art, tant il y a unité, accord, harmonie, entre toutes les parties et tous les détails qui entrent dans chaque composition.

L'art catholique a réalisé à un éminent degré la condition première de la beauté, de la grandeur, de la noblesse, dans toute cuvre plastique destinée à vivre dans l'adiniration des hommes. Si la postérité a salué de ses cris d'enthousiasme les chefs-d'œuvre immo: tels de l'antiquité, lorsque l'étude ou des hasards heureux les découvrirent dans les déserts ou dans la poussière des ruines; pourquoi cette même postérité, si sensible aux émotions qu'excite en elle la vue des grandes et belles choses, resterait-elle indif férente en face des monuments impérissables élevés par nos ancêtres?

Quand, par suite de malheurs ou d'accidents, nous sommes forcés d'entrepr. ndre des réparations dans nos vieux monuments historiques, nous devons avant tout veiller à ce que l'accord de style soit scrupuleusement gardé. Défigurer un monument, soit par l'addition de formes nouvelles et disparates, soit par l'altération des formes premières, n'est-ce pas un acte de vandalisme?

C'est un devoir pour tout homme de cœur de veiller, sous ce rapport, à la conservation entière de nos édifices chrétiens de tous les âges, qui forment en France une de nos gloires nationales. Les étrangers qui visitent no re pays, nous envient les nombreux et splendides monuments que nous possédons encore au milieu des ruines amoncelées par suite de nos discordes politiques et religieuses. Sachons préserver, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, les der niers restes dent, à juste titre, notre patrie peut toujours se montrer fière !

ACCOTOIRS ou ACCOUDOIRS.-L'accoudoir ou accotoir d'une stalle d'église, que l'on trouve indiqué sous le nom de croche dans de vieux documents, est placé sur le rampant de la parclose, et sert d'appui aux coudes quand la stalle est laissée. Voy. STALLF.) Nous empruntons cette définition à l'ouvrage de MM. Jourdain et Duval sur les stalles du chœur de la cathédrale d'Amiens. Ces deux auteurs ont pris un soin particulier d'éclaircir la signification obscure de certaines expressions. C'est à tort que certains écrivains ont dit que les accotoirs étaient aussi appelés museaux, parce qu'ils étaient souvent ornés d'une tête d'animal. Le museau de la stalle est l'extrémité de la pièce de bois dans laquelle s'engage la partie supérieure de la parclose. Les artistes du moyen âge ne manquent pas, dans les stalles ouvragées, de déployer l'adresse et la patience de leur ciseau en sculptant les accotoirs. On y voit une infinité de formes plus ou moins grâcieuses ou bizarres. Dans les magnifiques stalles d'Amiens, on découvre, en cet endroit, comme partout ailleurs, des motifs de décoration très-variés. On y remarque des personnages tantôt grotesques, tantôt moraux, tantôt historiques. Afin de donner une idée plus exacte de la verve que les sculpteurs en bois ou bahutiers ont déployée à Amiens, nous transcrirons ici le résumé de la description détaillée de tous les accotoirs des stalles d'Amiens, résumé fait par MM. Jourdain et Duval à la page 286 de leur ou

vrage.

Toutes les statuettes de ce musée vraiment historique et national peuvent se distribuer en six catégories. La première comprend les corps de métier, les professions et les états de la vie; elle compte trentequatre sujets le chanoine, l'apothicaire ou le pileur, le boulanger, le colporteur, le mendiant, le boucher, la maîtresse d'école, le maître d'école, la marchande d'herbes, la porteuse d'eau, la mendiante et ses enfants, le huchier, le tailleur d'images, l'architecte, l'écrivain, le financier, le donneur d'eau bénite, le bourrelier, la marchande de fruits, la laveuse, le moine, la religieuse, la bourgeoise, le pèlerin, la brodeuse en bosse, la sage-femme, le monnayeur, l'apprêteur d'étoffes, le sabotier. La deuxième classe nous offre quarante-deux scènes critiques ou simplement descriptives de la vie privée, domestique et sociale, savoir: l'homme en prière ou en méditation, l'homme caressant un chien, le désespoir, le renard prédica teur, la conteuse de nouvelles, le fou, le nia s, la vieille et l'oiseau, la mondaine au lapin, la femme dévote, la femme lisant, la jeune mère, le vieux buveur, la coquette, le lee'eur, l'homme barbu, deux têtes dans un bonnet, la mère et l'enfant au maillot, le bon vieux, l'heureux ménage, la pieuse jeune Elle, le damoiseau, la leçon de la mort, la femme galante, le moqueur, livrogne, le gastronome, la malicieuse, l'obséquieux, le ménage brouillé, la to lette d'une femme, la femme à deux visages, le diable tué par une

femme, la confession, l'oisif. Les musiciens forment une troisième catégorie; ils sont six et tous du côté droit. La quatrième, de quatre personnages seulement, est celle des gens armés, tous du côté gauche. Les portelivres ou porte-lambels sont aussi au nombre de quatre; les porte-écus au nombre de six: nous en faisons la cinquième classe. La sixième et dernière est celle des animaux ou monstres, soit isolés, soit luttant contre l'homme : c'est le motif de quinze sujets. Ces derniers nous ont offert, comme à tous les explorateurs des monuments, plus d'obscurités que les autres, et notre prétention n'a pas été de les expliquer. Une chose cependant paraît certaine, c'est que toute cette fan asmagorie de monstres, de chimères et de diables, a pour origine non-seulement l'imagination capricieuse des artistes et le goût du temps pour les mascarades et les déguisements grotesques et même hideux, mais aussi les romans chevaleresques et les légendes merveilleuses, et surtout l'usage des philosophes de cet âge de personnifier les vices et les vertus, pour frapper plus vivement les esprits avides d'images sensibles et parlantes. Qu'on lise les moralistes, ies glossateurs et les encyclopédistes, depuis le XII siècle jusqu'au xvi, Vincent de Beauvais, par exemple, et l'on ne sera pas pou surpris d'y rencontrer de longues nomenclatures d'animaux et de monstres, p'us ou moins réels, plus ou moins fabuleux, auxquels sont comparés de point en point tous les vices et toutes les passions de l'homme. C'est l'orgueil désigné par le cygne au blanc plumage et à la peau noire; l'hypocrisie, par l'autruche que ses larges ailes semblent devoir porter au ciel, et que ses lourdes pattes de bêtes fauves retiennent à la terre; lo scanda'e, par le dragon à la tête de femme et aux pieds de cheval; la rapacité et l'injustice, par le griffon à la fois cheval, oiseau et lion; la prudence du mal, par le hibou dont la vue ne perce que dans l'ombre; la gourmandise, par le larus, animal amphibie; l'inconstance, par le caméléon aux mille couleurs; l'intempérance, par le pourceau immonde; sans parler du hérisson, du paon, de la huppe, du chameau, du loup, du renard, de l'onocentaure et de beaucoup d'autres qui ont aussi leur signification mystique. »

ACCOUPLER (COLONNES ACCOUPLÉES).-Les colonnes accouplées sont placées deux à deux, ordinairement sur un même stylobate et le plus près possible l'une de l'autre, sans que les bases et les chapiteaux se confondent ou s'engagent les uns dans les autres. Les Grecs et même les Romains, jusqu'à l'époque de la décadence de l'art, ne connaissaient point l'usage des colonnes accouplées, dont les plus anciens exemples connus, dans les monuments antiques, sont actuellement aux ruines de Palmyre. Au xvi siècle, les architectes de la renaissance, puisant leurs principes et leurs modèles, non-sculement dans les ouvrages de l'antiquité, mais encore dans les édifices d'un autre âge qu'ils avaient

sous les yeux, cherchant aussi dans leur inspiration personnelle de nouveaux éléments de décoration, firent usage en Italie, et en France surtout, de colonnes accouplées dans un grand nombre de leurs constructions. L'œuvre moderne la plus célèbre en ce genre est la fameuse colonnade du Louvre, à Paris. Des historiens de l'art de bâtir ont conjecturé que les tentatives des architectes du xvi siècle pouvaient prouver que les ruines de Palmyre n'étaient pas entièrement ignorées en Europe jusqu'en 1691. Nous pensons que c'est vouloir rattacher à une cause trop douteuse l'emploi d'une disposition architecturale, dont nous retrouvons plusieurs exemples dans les monuments chrétiens du moyen âge. On a considéré cette forme comme d'un style barbare et comme une innovation contraire aux règles du bon goût, en s'appuyant uniquement sur cette considération que les artistes de la belle époque antique ne l'avaient point consacrée dans leurs chefs-d'œuvre. N'est-ce pas pousser trop loin le respect des traditions anciennes? N'y aura-t-il plus jamais moyen au génie moderne de tenter quelque nouvelle disposition architecturale ignorée de l'antiquité?

Les deux colonnes accouplées sont considérées comme ne formant qu'une seule masse; et, dans la perspective, elles raffermissent les lignes qui eussent été faibles et maigres, si à la même place on n'eût établi qu'une seule colonne. Dans les édifices de l'époque romano-byzantine et de l'époque ogivale, on voit fréquemment des colonnettes accouplées, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur. Il en résulte un assemblage de formes légères et gracieuses, coupant agréablement la monotonie des surfaces trop larges et enrichissant singulièrement l'aspect du monument par l'abondante végétation de leurs chapiteaux.

Il ne faut pas confondre les colonnes doubées avec les colonnes accouplées. Les premières sont placées l'une devant l'autre, et les secondes à côté l'une de l'autre. On voit à l'abside de la cathédrale de Coutances de belles colonnes doublées.

ACCUBITOIRE.-L'accubitoire est la même chose que le triclinium et que le biclinium ou salle à manger des anciens, qui donnaient aussi les mêmes noms aux lits sur lesquels ils se couchaient pour prendre leurs repas. Il paraît, par différents textes des auteurs, que le même nom était commun à ces lits et à ceux qui étaient destinés au sommeil, mais qu'ils étaient différents par la forme, qu'ils n'étaient en usage que chez les grands et les riches, et qu'il ne faut pas les confondre avec les simples lits, lecti triclinares ou lectuli discubitorii, dont se servaient les gens d'une condition médiocre. On étalait dans les premiers ce que le luxe a de plus recherché et ce qu'on pouvait imaginer de plus flatteur pour la niollesse. Ceux qu'on voyait dans les accubitoires éta ent cintrés pour être adaptés à la table sur laquelle on servait et qui était ronde. C'est ce qui les

[ocr errors]

faisait aussi nommer sigmata, parce que leur forme était à peu près semblable à celle de la lettre grecque sigma, qui a la figure de notre C. Les notions ci-dessus exprimées trouvent leur application dans plusieurs peintures des catacombes chrétiennes de Rome. On y voit, en effet, des personnages étendus sur des lits devant des tables en forme de croissant. Nous en avons parlé à l'article des AGAPES (Voy. ce mot). Ceux qui désirent avoir des détails plus étendus sur ce sujet consulteront avec avantage un travail de M. C. Robert, dans l'Université catholique. Il y est traité assez longuement des meubles antiques, de leur forme, de leur usage, de leur emploi dans les festins des premiers chrétiens.

ACERRA. — L'acerra est un petit coffret de bronze, carré, plus ou moins orné, qui servait à mettre l'encens. L'acerra, avec les autres instruments du sacrifice, sert d'ornement à la frise de plusieurs temples. Dans les vases et les ornements divers provenant des catacombes, dont les plus précieux ont été déposés au musée sacré du Vatican, on a trouvé de petits coffrets de même nature.

ACHE (FEUILLE D').- La feuille de l'ache est finement lobée et découpée. Elle fait un ornement très-élégant que l'on rencontre quelquefois dans l'architecture ogivale. Chez les anciens, l'ache était en grand honneur; on en tressait des couronnes pour les vainqueurs dans les jeux isthmiques. Dans l'art héraldique, on s'en est servi pour surmonter le cercle de la couronne des ducs et la faire distinguer de celle des comtes et autres gentilshommes titrés.

ACHEIROPOIETES.-On appelle achéiropoiètes, c'est-à-dire non faites de la main des hommes, plusieurs images de Notre-Scigneur et de la sainte Vierge. Les plus célèbres de ces images achéiropoiètes sont la Sainte-Face ou Véronique, le portrait du Sauveur donné au roi Abgare, et diverses figures de la sainte Vierge. Quelle que soit l'opinion que l'on adopte sur l'authenticité de ces images, question que nous ne discuterons pas ici, ces images sont fort intéressantes au point de vue de l'iconographie et de l'archéologie proprement dite. Les traditions qui y sont relatives ont certainement un fidèle écho des croyances primitives, quant au type du visage de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge. Nous nous attacherons ici seulement à faire connaître ce que ces traditions ont de plus remarquables.

L'empereur grec Constantin Porphyrogénète composa une dissertation sous ce titre: Discours historique sur l'image achéiropoiète de Notre-Seigneur Jésus-Christ; on en possède encore le manuscrit à la bibliothèque de Vienne, en Autriche. L'écrivain impérial entre dans beaucoup de détails que l'historien Nicéphore a passés sous silence. Nous emprunterons la narration de l'empereur grec à Fleury, qui, dans son Histoire ecclé siastique (livre Lv, par. 30), s'exprime

ainsi :

«Abgare, seigneur d'Edesse, avait un ser

viteur nommé Ananias, qui, passant par la Palestine pour aller en Egypte, vit JésusChrist et fut touché de ses discours et de ses miracles. A son retour, il s'en informa plus exactement, espérant qu'il guérirait son maitre, affligé de la goutte et de la lèpre noire. Sur son rapport, Abgare écrivit une lettre à Jésus-Christ, où il le priait de ven'r chez lui, lui offrant sa ville pour retraite contre la mauvaise volonté des Ju fs. Ananias fut chargé de la lettre, et, comme il savait peindre, Abgare lui ordonna, dans le cas où il ne pourrait amener Jésus-Christ, de lui apporter au moins son portrait. Ananias étant arrivé en Judée, trouva JésusChrist environné d'une si grande foule qu'il He put en approcher. C'est pourquoi il s'assit sur une pierre élevée, et commença à faire son portrait sur du papier. Jésus, connaissant en esprit ce qui se passait, le fit appeler par saint Thomas; et, quand il fut devant lui, avant d'avoir lu sa lettre, il lui dit le sujet de son voyage, puis il fit réponse à Abgare par une lettre où il promettait de lui envoyer un de ses disciples pour le guérir.

« Jésus, ayant donné sa lettre à Ananias, vit qu'il était en peine d'accomplir l'autre commandement de son maître, touchant le portrait. C'est pourquoi s'étant lavé le visage avec de l'eau, il l'essuya d'un linge où son image se trouva aussitôt imprimée, et il le donna à Ananias. En s'en retournant, celuici arriva à Hierapolis, où il logea hors de la ville, et cacha le linge dans un monceau de briques neuves; mais à minuit il y parut un grand feu qui semblait menacer toute la vilic. Les habitants alarmés, ayant trouvé Ananias, l'obligèrent à dire ce qu'il portait, et on trouva sur une brique qui avait touché le linge un portrait semblable qu'ils retinrent et que l'on gardait encore à Hiérapolis. Ananias continua son chemin, et apporta à Edesse la lettre et l'image. On contait encore la chose d'une autre manière. On disait que lorsque Jésus sua du sang avant sa passion, un de ses disciples lui donna ce linge dont il s'essuya, et y imprima son image, et le donna à garder à saint Thomas, de qui Thadée le reçut et le porta à Edesse; car on assurait que Jésus, après son ascension, avait envoyé saint Thadée à Edesse avec cette image, et que Abgare avait été bientôt averti de son arrivée par le bruit de ses miracles. Quand l'apôtre vint devant lui, il portait l'image miraculeuse attachée à son front, et il en sortait une lumière que ses yeux ne pouvaient souffrir. Abgare étonné se leva de son lit, et courut au-devant, ne se sentant plus de son mal. Il prit la sainte image, la mit sur sa tête, sur ses lèvres, sur ses yeux, sur tout son corps, et se trouva parfaitement guéri, excepté un peu de lèpre qui lui resta sur le front; mais elle s'effaca quand il reçut le baptême.

« Il y avait à la porte d'Edesse une idole que tous ceux qui entraient étaient obligés d'adorer. Abgare la fit ôter, et mit à la place la sainte image collée sur une planche et ornée d'or. Elle y fut honorée pendant tout

son règne et celui de son fils. Mais son petitfils étant retourné à l'idolâtrie voulut ôter la sainte image et rétablir l'idole. L'évêque, pour conserver l'image miraculeuse, fit coninuer la mura lle devant la niche où elle était, après avoir mis dedans une lampe allumée et une tuile dessus. Ainsi elle demeura plusieurs siècles cachée et inconnue.

« Environ cinq cents ans après le règne d'Abgare, Chosroès, roi de Perse, assiégea Edesse; il allait la prendre, quand l'évêque, nommé Eulalius, apprit par révélation qu'il y avait une image miraculeuse et le lieu où elle était. Il trouva encore la lampe allumée, et sur la toile qui couvrait l'image une autre image toute pareille. L'huile de cette lampe brûla les mineurs et les machines des Perses, et la présence de l'image tourna contre eux le feu qu'ils avaient allumé contre la ville. Chosroès fut contraint de lever le siége. Quelque temps après, sa fille étant possédée, le démon dit qu'il ne sortirait point si on ne faisait venir l'image d'Edesse. Chosroès en ayant écrit au gouverneur et à l'évêque, ils craignirent quelque surprise et firent faire une copie fidèle qu'ils envoyèrent, gardant l'original. A peine fut-elle entrée en Perse, que le démon promit de sortir pourvu qu'elle retournât. Ainsi Chosroès la renvoya avec des présents.

« L'historien Evagre, qui vivait du temps de Chosroès, attribue aussi à l'image miraculeuse la levée du siége d'Edesse, et c'est le premier qui parle de cette image. »

L'empereur Constantin, après avoir ainsi raconté l'origine et la découverte de ce portrait merveilleux, arrive à ce qui s'est passé de son temps, quatre cents ans après l'ancien Chosroès, et continue ainsi :

« L'empereur romain Lecapène désirait passionnément de faire venir la sainte image à Constantinople, où étaient déjà tant de précieuses reliques. Il avait déjà plusieurs fois envoyé à Edesse demander l'image et la lettre de Notre-Seigneur, offrant en échange 200 Sarrasins captifs et 12,000 pièces d'argent. Enfin, l'an du monde 6452, qui est de Jésus-Christ 944, l'émir d'Edesse envoya dire qu'il acceptait ces conditions, demandant de plus une bulle d'or par laquelle l'empereur promît que jamais les Romains n'attaqueraient les quatre villes de Roha, Charres, Sarroze et Samosate, et ne pilleraient leur territoire. L'empereur envoya Abraham, évêque de Samosate, pour recevoir la sainte image et la lettre; et de peur de surprise, il emporta l'image miraculeuse et ses deux copies, celle qui avait été faite pour être envoyée en Perse, et une autre que l'on honorait dans l'église des Nestoriens; mais on les renvoya depuis, ne gardant que l'original. Les chrétiens d'Edesse firent beaucoup de bruit, ne pouvant se résoudre à perdre ce trésor qu'ils regardaient comme la sauvegarde de leur ville; mais l'émir des Sarrasins les obligea, partie de gré, partie de force, à tenir le traité. »

L'histoire orientale (Elmac., lib. 1, c. 2, p. 213) parle aussi de cette translation, et

dit que, sur la proposition des Romains, les habitants de Roba, c'est ainsi qu'ils nomment Edesse, écrivirent au calife Moctafi qui régnait alors, et qu'il ordonna au visir d'assembler tous les cadis et les grands pour délibérer sur cette affaire. Quelques-uns dirent qu'il était honteux aux Musulmans de donner cette image aux Romains ; d'autres soutinrent qu'il était louable de racheter à ce prix des Musulmans captifs, et cet avis l'emporta.

L'empereur Constantin raconte ensuite comment la sainte image fut apportée à Constantinople. Elle y arriva le 16 août 944, et fut d'abord déposée dans l'église Notre-Dame de Blaquernes, où l'empereur célébrait la fête de l'Assomption; le lendemain, on la porta solennellement à Sainte-Sophie, et enfin elle fut mise dans l'église du Phare, la principale des chapelles du palais 11 raconte un grand nombre de miracles arrivés à cette occasion, tant pendant le voyage qu'à Constantinople, et c'est le contenu de ce discours attribué à l'empereur Constantin Porphyrogénète. L'Eglise grecque célèbre la fête de cette translation le même jour 16 août.

Nous avons rapporté en son entier le récit ou plutôt l'analyse de l'Oratio historica de l'empereur grec, parce que nous avons pensé que les personnes qui s'intéressent aux questions d'iconographie chrétienne, aimeraient à voir avec quelque détail ce qui concerne le plus célèbre des portraits archéiropolètes de Notre-Seigneur. La narration de l'empereur Constantin diffère un peu de celle de l'historien Nicéphore; on y trouve de plus des faits merveilleux que Nicéphore n'a pas voulu donner ou qu'il a ignorés.

Chacun sait que, depuis plusieurs siècles surtout, on a multiplié les copies de l'image d'Edesse, soit en simples dessins, soit en tableaux, soit en gravures. La figure de NotreSeigneur y est toujours représentée de face, avec un air calme, les cheveux et la barbe toujours disposés de la même manière, ce qui donne à tous ces portraits un air de ressemblance. On croit posséder à Rome l'image d'Edesse dans l'église de San Silvestre in capite. Elle est gravée dans l'histoire de cette église donnée par Carletti.

Quant à l'image de Jésus-Christ nommée la Sainte-Face, elle existe à Rome dans la basilique de Saint-Pierre, où on la conserve précieusement dans l'une des grandes niches de la coupole, et tous les ans on montre au peuple le Jeudi et le Vendredi saints, ainsi que la lance et la croix. Cette espèce de portrait, que l'on appelle encore veronica (vraie image), et en français véronique, est une représentation de la face du Sauveur empreinte sur un linge. Les uns croient que ce linge est le susire qui fut mis sur le visage de Jésus-Christ après sa mort: ce qui l'a fait aussi nommer suaire; d'autres pensent que c'est le mouchoir avec lequel une sainte femme essuya le visage du Sauveur lorsqu'il allait au Calvaire chargé de sa croix.

Il ne faut pas confondre ce suaire avec ce

[blocks in formation]

que l'on nomme ordinairement les saintssuaires, où le corps entier est représenté étendu dans le sépulcre. Il ne faut pas non plus confondre la Sainte-Face dont il est ici. question avec la Sainte-Face de Lucques: celle-ci n'est autre chose qu'un crucifix miraculeux que l'on garde depuis fort longtemps dans la chapelle de la Croix de la cathédrale de cette ville (1).

La Sainte-Face de Rome est une relique bre de siècles dans l'Eglise. On ignore l'éprécieuse, reconnue et vénérée depuis nompoque où la Sainte-Face a été transférée à Rome; mais il n'est nullement présumable, comme quelques auteurs crédules l'ont dit, que ce soit du temps de Vespasien, et que son fils Titus ait été guéri d'une espèce de dartre en la regardant. Ce qu'il y a de certain, c'est que, le 23 novembre 1011, on fit à Rome la dédicace d'un autel du Saint-Suaire, sous la coupole duquel se gardait le voile où la Sainte-Face était empreinte. Donc elle existait déjà à Rome au commencement du XI' siècle. Il est question de la même Face dans un ancien cérémonial dédié au pape Célestin II, en 1143. (Voy. le Musæum Italicum du P. Mabillon, tom. II, p. 122.) Elle est aussi mentionnée dans les Flores historiarum de Matthieu de Westminster, qui cite les propres paroles du pape Innocent III,

mort en 1216, et dans une bulle de Nicopour prouver que la Sainte-Face a été honolas IV, datée de 1290. En voilà suffisamment rée dans l'Eglise depuis des temps très-re

culés.

Des caractères sont tracés sur le linge où est imprimée la Sainte-Face. On voit dans droit XC.; enfin, au bas sont trois mots en le haut, au côté gauche IC., puis au eôté caractères inconnus, qui ont fort embarrassé le P. Mabillon. Il croyait y avoir distingué le mot ABRAXAS dont les basilidiens se servaient sur les talismans et les phylactères. L'auteur se récrie fort sur ce que l'on aurait pu induire de là que ce portrait fut une image superstitions relatives aux talismans. Le faconstellée; et il parle des différents genres de meux P. Hardouin, voulant expliquer l'inscription en question, donna dans les visions auxquelles il était assez sujet. Le P. Honoré de Sainte-Marie a soutenu que l'inscription était moscovite, et, aidé de deux médecins russes, posent sont OBRAZ GOSPODEN NAOUBROUS, qui il a découvert que les trois mots qui la comlinge. Cette explication a été confirmée, signifient, dit-il, image du Seigneur sur un ajoute-t-on, par un prince russe de la suite du czar Pierre I", lorsqu'il vint à Paris en 1717.

On voit dans le tome II du Museum Itnlicum de Dom Montfaucon une gravure repré

(1) Il y avait autretois une copie de la Sainte-Face de Ronic, à l'abbaye de Montreuil - les - Dames, en Thiérarche (Aisne), de l'ordre de Citeaux. Elle y fut envoyée par Urbain IV qui y avait une sur. Il écrivit à ce sujet une lettre datée de 1249 et adressee aux religieuses. Elle se trouve dans le traité De linteis sez uleralibus de Chifflet. Urbain IV était alors archidiacre et chapelain d'Innocent IV.

« PreviousContinue »