Page images
PDF
EPUB

rent encore davantage les moines à les leur procurer; et ainsi, insensiblement, de chapelles domestiques elles devinrent églises publiques. Avant le x siècle, elles étaient désignées sous le nom de cella, cellulæ, abbatiola, etc. Ce ne fut que vers le milieu du x siècle, par suite d'une dignité créée dans l'ordre de Cluny, sous le titre de prieur, que ces églises, autour desquelles on avait construit des bâtiments claustraux, furent appelés prieurés. Dom Calmet et dom Mabillon ont traité assez longuement de l'origine des prieurs et des prieurés, le premier dans son Commentaire sur la règle de Saint-Benoit, le second dans les Annales de l'ordre Bénédictin. Les abbatioles devinrent parfois plus tard des prieurés si puissants, qu'ils le disputaient en richesse, en grandeur, en autorité, aux abbayes les plus illustres et les plus florissantes, et même à l'abbaye dont ils n'étaient qu'un rameau détaché. Certaines églises de prieurés furent des monuments où l'architecture et les diverses branches de l'art du moyen âge déployèrent toutes leurs ressources. Nous en décrirons quelques-unes à l'article Prieuré. Dans un grand nombre de diocèses, on trouve plusieurs paroisses désignées sous le nom de celles. Le plus souvent, l'église paroissiale, en ces lieux, a remplacé l'abbatiole ou la celle primitive; quelquefois aussi cette dénomination vient de ce que quelque saint personnage avait fixé sa demeure dans une celle ou cellule, auprès de laquelle, après sa mort, on bâtit une église par dévotion ou par reconnaissance. C'est ainsi qu'au diocèse de Tours il y a une paroisse connue sous le nom de La Celle SaintAvant, parce que saint Avant ou Avantin y resta quelque temps, rachetant les captifs, soulageant les pauvres et répandant sur la contrée, outre la bonne odeur de ses vertus, des bienfaits de toute espèce. (Voy. CELLE, CELLULE, PRIEURÉ.)

ABBAYE. -Communauté d'hommes qui a pour supérieur un abbé, ou de femmes qui a pour supérieure une abbesse. On donne encore ce nom à l'ensemble des bâtiments qui servent à l'habitation et aux exercices religieux de la communauté. (Voy. MONASTÈRE, CLOÎTRE, CHAPITRE, BIBLIOTHÈQUE.)

I.

Les abbayes tinrent toujours une place distinguée entre les établissements religieux. La piété du moyen âge se plut à les multiplier, et il n'y eut guère de province en Europe qui ne se glorifiât d'en posséder plusieurs. On est surpris, aujourd'hui, dans notre siècle froid et sceptique, en contemplant la grandeur, la puissance, la prospérité de ces nombreuses familles monastiques qui rendirent à la société de si éminents services. Avant la révolution française de 1789, révolution si fatale à nos monuments, on comptait en France trente mille églises, quinze cents abbayes, huit mille cinq cents chapelles, deux mille huit cents prieurés, un million sept cent mille clochers. C'était là, dit M. de Châteaubriand, un sol bien au

trement orné qu'il ne l'est à présent. Actuellement ces florissantes abbayes ont disparu: on n'en trouve plus que les ruines éparses çà et là, et c'est à peine si quelquesunes de nos plus belles églises abbatiales ont pu échapper au désastre général. Etudier quelles furent autrefois les diverses parties d'une abbaye, sous le rapport architectural et archéologique, c'est l'œuvre de l'historien, aussi bien que de chercher à connaître les détails des constitutions religieuses qui régissaient les sociétés dans le sein d. squelles vécurent et se développèrent tant do saints et tant de grands hommes. Il appartient donc déjà dans notre pays à l'antiquaire de placer dans le domaine de ses travaux des établissements que nos pères ont vus debout, qu'ils ont vus tomber, tant la marche du temps est précipitée !

II.

Pendant le cours du siècle dernier, il était admis que les monastères étaient une plaie dans l'Etat, et que ces abbayes si richement dotées ne servaient qu'à favoriser de paresscuses extases, des habitudes de gourmandise et de volupté, de luxe et d'orgueil. L'école pseudo-philosophique n'a cessé de déclamer sur tous les tons contre des institutions catholiques dont on peut envier la gloire, mais dont on ne saurait égaler le mérite, ni méconnaître les bienfaits. De nos jours, lorsque les esprits éclairés et sans partialité du protestantisme lui-même aiment à rendre justice à la magnificence de ces puissantes abbayes, serait-il permis d'ignorer, encore moins de nier, le rôle important qu'ont joué les monastères dans la civilisation chrétienne. On les voit s'assouplir aux phases politiques de l'Europe et du monde, dont ils suivent tous les mouvements. Ils répondent partout et longtemps aux besoins des choses et des esprits. Ils remplissent durant de longs siècles une mission de science, de liberté, d'opposition et de popularité. C'est dans leur sein que naissent les grands hommes, les évêques courageux, les littérateurs habiles, les écrivains instruits, les prédicateurs éloquents, les artistes de génie, les volontés énergiques. Leur splendeur est en rapport direct avec la situation respective de la monarchie papale, de l'épiscopat et de la royauté. Il ne se tient pas une assemblée religieuse ou politique sans que les représentants de la puissance claustrale n'y assistent et n'y délibèrent avec autorité. On les voit siéger dans les conseils des rois, comme dans les conciles de la chrétienté. Ce qu'ils font, ce qu'ils voient, ils le racontent, ils l'écrivent; ils se font historiens dans leurs loisirs, parce qu'ils sont souvent les principaux acteurs du drame de l'histoire. A leur arbitrage sont soumis les plus grands intérêts des peuples; ils sont évêques et papes et dominent l'Eglise, les rois et les nations. Le monde les vénère parce qu'ils sont saints, les enrichit parce qu'ils sont pauvres, les couvre d'or parce qu'ils sont humblement vêtus. Partout

la sévérité et la pureté de la vie domptent l'opinion; et les moines ont une double prise sur les hommes, la possession du sol et le gouvernement des esprits. Dans leurs maisons de recueillement et de méditation viennent s'ensevelir les ennemis du trône, les découragements du plaisir et de la puissance temporelle, depuis les rois tonsurés de notre première monarchie jusqu'à l'empereur Charles-Quint. Dès qu'un ordre religieux a cessé d'être d'accord avec les nécesšités catholiques qui l'ont rendu fort, il en sort un nouvel institut monastique qui le surpasse et le remplace; si bien que, pen lant plus de douze siècles, en Europe, jamais cette succession immortelle de corporations pieuses n'a manqué aux aspects divers du catholicisme et de la société chrétienne. Mais elles ont besoin de liberté pour vivre et déployer leur zèle; et leur déclin arrive dès que cesse leur indépendance: c'est la loi de toutes les choses morales. La corruption et l'inutilité des ordres religieux leur ont presque toujours été reprochées par les pouvoirs qui ont voulu hériter de leur puissance et les condamner à la stérilité. On ne leur a plus permis de rien faire, et on leur a dit qu'ils ne faisaient rien.

Mais on n'oubliera jamais que les corporations religieuses, affiliées de nation à nation, répondaient mieux peut-être que le clergé séculier à l'esprit de l'association catholique; que les moines, par leurs voyages, par leurs communications incessantes d'un bout du monde à l'autre, ont été le point de ralliement de l'Europe morcelée et féodalisée. On ne pourra pas non plus leur contester d'avoir été, pendant le moyen âge, les gardiens des lumières et des lettres, de la langue et de la civilisation latines, et d'avoir enquis la vénération des peuples à force de supériorité et de science, en opposant la pureté à la corruption des mœurs, la pauvreté à la richesse, la soumission à une indépendance sans frein. L'Eglise leur doit en grande partie sa liturgie; les lettres, la conservation des livres antiques; l'agriculture, de prodigieux défrichements et la naturalisation de mille plantes exotiques. Il n'est pas jusqu'à l'architecture civile qui ne se soit inspirée souvent des constructions quadrangulaires des Convents. (Voy. ABBATIALE). Le monde entier sait la prodigalité de leurs aumônes. Partout les monastères se sont faits des centres de commerce, de beaux-arts, et de villes ou villages. Leur organisation élective est devenue le type de l'organisation des communes; et c'est de leurs cloîtres que sont sorties les sources historiques de nos événements nationaux. Sans de pauvres moines, plusieurs siècles de l'histoire demeureraient pleinement inconnus. Enfin, chose remarquable, tandis que l'érudition moderne cherche à recomposer à grande peine les annales oubliées du tiers état, tandis que l'âge féodal et les parlements eux-mêmes sont encore, à vrai dire, sans historiens; tandis, enfin, que nous avons presque entièrement perdu le souvenir de nos vieilles libertés politiques,

de nos états généraux et provinciaux, l'histoire religieuse et monastique a laissé sur elle-même des monuments achevés, ou du moins de vastes recueils, où les éléments de complètes annales sont prêts pour la main studieuse qui saura les recueillir (1).

III.

Pour bien comprendre l'organisation morale et physique d'une abbaye, il faut absolument savoir quelle fut l'origine de la vie monastique en Orient et en Occident, et comment les premiers moines se réunirent pour former une société complète, avec son gouvernement propre et sa législation particulière.

Nous effleurerons seulement une question très-vaste qui demanderait d'amples développements: nous en dirons ce qui est nécessaire à notre sujet.

Ce fut au me siècle de l'ère chrétienne que commença en Orient l'institution monastique qui devait plus tard recevoir une si rem rquable extension. Les moines égyptiens vivaient trente ou quarante ensemble dans la même maison, et trente ou quarante de ces maisons composaient un monastère. Chaque monastère comprenait par conséquent depuis douze cents jusqu'à seize cents moines, qui s'assemblaient tous les dimanches dans un oratoire commun. Chaque monastère avait un abbé pour le gouverner, chaque maison un supérieur ou prévot, et chaque dizaine de moines un doyen.Tous les moines d'une contrée reconnaissaient un seul chef général et s'assemblaient avec lui pour célébrer la pâque, quelquefois au nombre de cinquante mille.

Quand la vie cénobitique fut pratiquée en Occident, au v° siècle et surtout aux vi et vi siècles, tout monastère eut son abbé, comme en Orient, mais chaque abbaye était indépendante et n'était soumise qu'à la juridiction de l'évêque dans le diocèse duquel elle était établie. Comme les abbayes possédaient souvent des terres ou des fermes éloignées, et en prendre soin; ceux-ci y établissaient on y envoyait des moines pour les cultiver des oratoires et observaient la vie régulière, sous la conduite d'un prieur nommé par l'abbé. On nomma ces petits monastères, celles, prieurés ou obédiences. (Voy. ABBATIALE).

La réforme de Cluny, au x siècle, introduisit un nouveau gouvernement dans les abbayes qui consentirent à s'y soumettre. L'ordre de Cluny ne voulut avoir qu'un seul abbé; toutes les maisons qui en dépendaient n'eurent que des prieurs, quelque grandes et

quelqu'importantes qu'elles fussent. Les fondateurs de l'ordre de Citeaux, aux xi et XII siècles, donnèrent, au contraire, des abbés à tous les nouveaux monastères qui furent fondés ou qui embrassèrent sa règle, et réuniraient en chapitre général, pour contéils statuèrent que chaque année les abbés se fidèles à observer la règle et qu'ils la garrer ensemble et pour s'assurer qu'ils étaient

(1) P. Lorain, Introduct. à l'Hist. de l'abbaye de Cluny,

daient et l'interprétaient d'une manière uniforme. L'abbaye de Citeaux, néanmoins, conserva une grande autorité sur les quatre abbayes qui se glorifiaient d'être appelées ses filles aînées, La Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond; et chacune de ces quatre illustres abbayes eut toujours une certaine puissance sur les monastères qu'elle fonda par la suite. IV.

Pour mettre en évidence l'esprit qui présida constamment à la fondation des abbayes, nous aurions à rapporter plusieurs faits historiques. Mais, afin de ne point trop nous éloigner des données archéologiques qui nous sont imposées par le plan de cet ouvrage, nous en choisissons un seulement dans l'histoire ecclésiastique de l'Angle

terre.

En 655, Péada était roi des Merciens, Osw y et son frère le roi Oswald, se réunirent en disant qu'ils voulaient élever un monastère à la gloire du Christ et en l'honneur de saint Pierre ils le firent et donnèrent à l'abbase le nom de Medhamsted, maintenant Peterborough. Ils commencèrent donc à jeter les fondements, et ils confièrent ensuite le travail à un moine nommé Saxulf. Ce moine était aimé de Dieu et chéri du peuple; il avait été noble et riche dans le monde, mais il était maintenant beaucoup plus noble et plus riche dans le Christ.

Après la mort du roi Péada, son frère Wulphère qui lui succéda aimait Medhamsted pour l'amour de son frère Péada, pour l'amour d'Oswy et pour l'amour de l'abbé Saxulf. Le roi manda Saxulf et lui dit : « Bien-aimé Saxulf, je vous ai envoyé chercher pour le bien de mon âme, et je vous expliquerai clairement ma pensée. Mon frère Péada et mon ami Oswy commencèrent un monastère pour l'amour du Christ et de saint Pierre. Mais Dieu l'a voulu et mon frère a quitté la vie. Je vous prie donc, bien-aimé Saxulf, de continuer les travaux ; je vous donnerai de l'or, de l'argent, de la terre et des biens.

L'abbé s'en alla, et les travaux furent repris avec une nouvelle ardeur; l'œuvre fut continuée avec un si vif enthousiasme, que le monastère fut entièrement achevé en peu d'années, grâce à la protection du Seigneur. Alors le roi manda ses thans ou barons, les archevêques et évêques et tous ceux qui aimaient Dieu, les priant de venir immédiatement auprès de sa personne. Puis il fixa le jour de la consécration du monastère, et à cette imposante cérémonie se trouvèrent présents le roi Wulphère et son frère Ethelred et ses sœurs Kyneburga et Kyneswita, l'archevêque et les évêques et tous les barons du royaume.

Alors le roi se leva et dit à haute voix : « Grâces soient rendues au Dieu tout-puissant; c'est pour son service que cette œuvre a été entreprise et achevée, et je veux en ce jour glorifier le Christ et saint Pierre. Moi donc, Wulphère, je donne aujourd'hui à saint Pierre, à l'abbé Saxulf et aux moines

de ce monastère, ces terres, ces eaux, ces plaines, ces marais: Voilà le don que je dépose sur l'autel. »

Vient ensuite l'énumération détaillée de tous les présents offerts à l'abbaye, lesquels étaient immenses et dignes de la munificence royale. Alors les témoins souscrivirent l'acte de donation soit de parole, soit en posant la main sur la croix du Christ.

Ce récit charmant de naïveté, touchant la fondation et la dotation des plus illustres abbayes de l'Angleterre, est propre à nous faire apprécier les motifs pieux et les circonstances qui présidaient ordinairement à l'érection des monuments monastiques. Les rois, les princes, les seigneurs, les évêques, concédaient à de pauvres moines des terrains abandonnés, jusque-là rebelles à la culture, où la charrue n'avait jamais passé, et ils leur accordaient en même temps des priviléges d'exemption pour les encourager dans leur tache pénible et les dédommager de leurs labeurs et de leurs sacrifices. Quand ces terres délaissées eurent été fécondées par le génie et les sueurs des moines, l'envie no manqua pas de crier contre les vastes possessions et les inutiles richesses d'une population de religieux. Quelle propriété cependant est plus légitimement acquise que celle qui a été défrichée dans le cours de longs siècles par un travail incessant, qui a été fertilisée par les sueurs, et qui a été, pour ainsi dire, conquise sur la stérilité? Ne doiton pas voir là une réalisation de la parabole du père de famille qui confie des talents à ses serviteurs? Entre les mains du serviteur actif et intelligent l'argent fruct.fie; le dépôt qui lui est confié deviendra double. Qui contestera ses droits à une possession basée sur le travail, la persévérance et tout ce qui constitue la plus légitime propriété? Ainsi tombent les injustes déclamations et les insinuations pertides des philosophes du dixhuitième siècle.

V.

Les diverses règles avaient peu d'influence pour modifier la distribution intérieure des abbayes, bâties d'après un même plan général. On ne trouvait guère entre les divers établissements que la différence de la grandeur et de l'étendue.

Les plus grandes abbayes consistaient ordinairement en une réunion de bâtiments entourant deux cours quadrangulaires de différente dimension. L'une d'elle appelée le clausum, comprenait une surface de cinquante à quatre-vingt-dix acres; elle était environnée d'un mur élevé et quelquefois garni de créneaux on y pénétrait par une ou deux portes fortifiées. Elle renfermait toutes les dépendances d'un vaste domaine, ainsi une ferme, des granges, des étables, un moulin, etc. Autour du principal quadrangle se trouvaient l'église et ses annexes, la grande salle, le réfectoire, la salle de distribution des aumônes, la salle capitulaire, le parloir, le scriptorium ou la bibliothèque, la cuisine et les autres offices. Cette grande

masse de bâtiments irréguliers, mais, sans aucun doute, généralement somptueux, avec leurs murs crénelés et leurs portes flanquées de tourelles, que dominait la grande église, s'élevant à une hauteur considérable au-dessus des toits, cette masse de bâtiments, quand elle subsistait encore entière, devait présenter l'aspect d'une ville fortifiée (1).

VI.

Dans la chronique de l'abbaye de Fontenelle ou de Saint-Wandrille, publiée par dom d'Achéry, d ns le III volume du Spicilége, on lit la description de l'abbaye rebâtie par Ansigise, élu abbé du monastère en 833, la dixième année du règne de Louis le Débonnaire. Les détails qui s'y trouvent mentionnés sont très-propres à donner une idée de l'importance et de la disposition de ces grands établissements au milieu du x siè cle. Voici la traduction de ce curieux passage, jusqu'à présent peu connu.

« Les édifices publics et privés entrepris par l'abbé Ansigise sont les suivants : d'abord il fit construire le dortoir des frères, bâtiment magnifique, long de 208 pieds, large de 27; la hauteur de la construction entière s'élève à 64 pieds; les murs sont formés de pierres calcaires de bonne qualité, unies par un ciment très-résistant composé de chaux forte et visqueuse et de sable de mine de couleur rouge. Il y a aussi un solarium au milieu, orné d'un pavé admirable et couvert d'un plafond enrichi de peintures très-distinguées. A la partie supérieure de la maison sont des fenêtres garnies de vitres; toute la charpente est en bois de chêne choisi et très-résistant; les tuiles sont fixées à la toiture avec des clous de fer, et il y a des poutres très-solides en diverses directions. Après le dortoir, notre abbé bâtit une autre maison qu'on appelle le réfectoire, qu'il fit diviser par le milieu au moyen d'une cloison, de manière qu'une partie servait de cellier, et l'autre partie de réfectoire. Ce batiment fut construit avec les mêmes matériaux et dans les mêmes dimensions que le précédent; les plafonds et les parois de la cloison furent décorés de peintures par Madaluf, peintre habile de l'église de Cambrai. En troisième lieu, il fit élever un beau bâtiment, qu'on appelle la grande maison, qui, tournée vers l'orient, touche au dortoir d'un côté, et de l'autre au réfectoire: là il établit un mur et une cheminée, et il ordonna de continuer plusieurs autres choses que sa mort prématurée ne permit pas d'achever. Les trois constructions dont nous venons de parler sont situées de cette manière, savoir: le dortoir est exposé d'un côté au nord, de l'autre au midi, et de ce côté il touche à la basilique de Saint-Pierre; le réfectoire est également exposé au nord et au sud, mais il est presque contigu, dans sa partie méridionale, à l'abside de la basilique de Saint-Pierre. La maison principale a été bâtie comme nous l'avons dit ci-dessus. Quant à l'église de Saint

(1) Whitaker, History of Whalley, p. 195.

Pierre, elle est située du côté du midi, dirigée cependant vers l'orient. Cette église fut augmentée de trente pieds en longueur et en largeur dans la partie du couchant, et par-dessus, l'abbé Ansigise faisait construire un cénacle qu'il désirait consacrer à l'honneur de NotreSeigneur Jésus-Christ; mais cette œuvre aussi demeura imparfaite à cause de sa mort inopinée. Dans la même basilique de Saint-Pierre, il fit placer, au sommet de la tour, une pyramide quadrangulaire haute de trente-cinq pieds, en bois travaillé, qu'il fit couvrir de plomb, d'étain et de cuivre doré et dans laquelle il plaça trois cloches. Cette partie de l'édifice était auparavant sans dignité. La tour elle-même et l'abside furent recouvertes de nouveau, par ses ordres, de lames de plomb. En outre, il ordonna de bâtir un aul'abside de la basilique de Saint-Pierre, que tre corps de logis, du côté du nord, près de l'on appelle couvent, conventus, ou cour, curia, et chez les Grecs beleuterion, salle du conseil ou chapitre, où les frères ont coutume de s'assembler quan ils ont à délibéhaut de la chaire, on fait la lecture des lirer sur quelque objet. Là, tous les jours, du vres sacrés; là on entend tout ce que l'autoqu'il voulut qu'on établit le tombeau dans rité de la règle conseille de faire. C'est là lequel il devait être déposé après sa mort. Enfin, devant le dortoir et le réfectoire et la grande maison déjà indiquée, il fit bâtir des charpente et qu'il prolongea suivant la dicloîtres élégants sur lesquels il établit une mension de ces mêmes bâtiments. Au milieu du cloître situé en face du dortoir est établi appellent pyrgiscos, où l'on peut conserver le chartrier; la bibliothèque que les Grecs une grande quantité de livres, est située en face du réfectoire : ce dernier bâtiment est couvert de tuiles attachées avec des clous. » (Spicilegium, tom. III, p. 238.)

Cette énumération fort détaillée des grands sigise, peut fournir à la science archéologitravaux entrepris et exécutés par l'abbé Anque de curieux renseignements sur l'état de l'art chrétien dans la première moitié du xe siècle. On voit que l'église abbatiale, dédiée à saint Pierre, était régulièrement orientée, d'une forme remarquable, avec une flèche à jusqu'à la manière dont on avait attaché les quatre pans couverte en métal. Il n'y a pas mentionnée : elle atteste du moins le soin tuiles avec des clous qui ne soit digne d'être que l'on apportait dans la construction des principaux bitiments. La décoration de certaines salles avec des peintures murales est encore un fait très-curieux, ainsi que le nom du peintre qui était un chanoine de l'église de Cambrai. Le même abbé avait enrichi son église de vases précieux en or et en argent. N'oublions pas de mentionner ici un autel dédié à la sainte Vierge, qu'il avait fait orner d'une table de bois recouverte de figures d'argent très-variées. Il avait donné à l'église de Luxeuil, qui était sous sa dépendance, une croix d'or merveilleusement travaillée, ornée de pierres précieuses, ayant un bâton revêtu d'argent. Il avait coutume de faire

porter cette croix devant lui quand il allait en voyage.

L'état des arts était donc très-florissant à Saint-Wandrille, sous la direction d'un abbé qui vivait au milieu de ce xe siècle, que certains faux savants modernes regardent comme un siècle ignorant et barbare, et qu'ils ont appelé siècle de fer.

VII.

Pour faciliter l'intelligence de plusieurs monuments antiques, nous ajouterons quelques mots sur les abbés. Le titre d'abbé, donné aux supérieurs des communautés monastiques,remonte à l'établissement même de la vie cénobitique.Les abbés furent d'abord élus par ceux qui devaient leur obéir; mais bientôt la jalousie, l'ambition et la cupidité intervertirent cet ordre, et les élections furent le résultat ou de la brigue des évêques (Mabill., Præf. in II sæcul. Bened., n° 3.), ou de la violence des ecclésiastiques séculiers, qui les uns et les autres se placèrent souvent sur la chaire abbatiale. Le mal s'augmenta de plus en plus durant le cours du VIII siècle. Dans le siècle suivant, Charles Martel, ayant épuisé la France par des guerres continuelles, distribua les abbayes et même les évêchés à des seigneurs laïques. Bernard, son fi's naturel, passe pour le premier qui ait joint la qua'ité de comte à ce le d'abbé. De là vient que le nom d'abbé séculier, abbas comes, abbas miles, est très-ordinaire dans les anciens monuments. De là vient encore que dans une même abbaye il y avait quelquefois deux abbés. L'abbé religieux était appelé verus abbas, et le seigneur qui en portait le titre abbas miles. Au moyen d'un certain revenu qu'on abandonnait à ce dernier, et dont il faisait hommage, il devait être le protecteur et le défenseur du monastère (De Laurière, Gloss. du droit franç., p. 197). On trouve des abbés séculiers jusqu'à la troisième race. Hugues Capet remit les choses sur l'ancien pied, en restituant aux églises régulières le droit primitif d'élire leur supérieur.

Le titre d'abbé ne fut pris par les ecclsiastiques séculiers que sur le déclin du vIII sècle, où l'on commença à former des colléges de chanoines, à la tête desquels on mit des abbés. Les titres latins præsul, anlistes, prælatus, etc., ne sont pas toujours attribués aux évêques. Les abbesses mêmes sont qualifiées prælate dans le second concile d'Aix la Chapelle.

Une bulle d'Alexandre IV, du 10 juin 1260, offe, pour la première fois, la qualification d'abbesse séculière, donnée à Gert: ude, abbesse de Quediimbourg.

Il n'était guère conforme à l'esprit de l'Église d'admettre les abbesses dans les conciles; cepen ant on en trouve des exemples, e le seul concile de Baconcelde en Angleterre, de 694, fait mention de cinq abbesses qui y souscrivirent. Quelque chose de plus Singulier, c'est qu'au rapport du vénérable Bède, une abbesse nommée Hilda présida dans une assemblée ecclésiastique. (Voy. Beda, lib. in cap. 25 et lib. iv cap). 23.)

ABORDS DES MONUMENTS, DES ÉGLISES. La plupart des monuments bâtis dès la plus haute antiquité ont des abords ouverts et faciles. Les premiers autels consacrés à la divinité, les premiers temples élevés en son honneur, furent construits en pleine campagne, et même quelquefois sur des monticules et des tertres factices: l'isolement des édifices sacrés semble avoir été imposé par quelque règle du rituel antique. C'était sans doute afin que les bruits de la vie ordinaire et les rumeurs de la place publique ne vinssent pas troubler les cérémonies religieuses. Les bois qui entoura ent les temples païens avaient aussi pour but de créer une solitude favorable au recueillement religieux. Plus tard, ces bosquets furent témoins des plus effroyables débauches. Les monuments de la religion furent isolés des habitations communes chez les plus anciens peuples, et cette coutume se conserva toujours chez certaines nations.

Les monuments d'architecture les plus célèbres, chez les recs et les Romains, même aujourd'hui et jusque dans leurs ruines, s'offrent à nos regards et à notre étude dans un isolement complet qui permet à l'œil d'en embrasser à la fois l'ensemble et les détails. Ce sera't se tromper étrangement que d'attribuer cette disposition aux exigences de l'art on y doit reconnaître avant tout l'influence des besoins de la société religieuse antique. Suivant les usages païens, le peuple ne devait jamais entrer dans l'enceinte des temples, ni même franchir une certaine limite, dernier vestige des téménos primitils; les prêtres, les in tiés, les grands personnages, pouvaient seuls se placer, soit sous les portiques sacrés, soit dans l'intérieur du temple où se dressait la statue du dieu que l'on invoquait. Il fallait donc, pour contenir la foule qui se pressait aux jours de fêtes publiques, une vaste place et autour du temple des abords spacieux

Quand il s'agit de monuments grecs, les meilleurs enseignements de l'art et de l'histoire nous apprennent qu'il les faut bâtir de manière à les entourer d'air, de lumière et d'étendue. Les proportions harmonieuses des ordres dorique, ionique et corinthien, sont entièrement troublées par le voisinage de constructions vulgaires. Il y a, sous ce rapport, les mêmes difficultés à vaincre que pour établir les dimensions elles-mêmes du monument d'après les conditions imposées par la nature et le paysage qui l'environnent. N'est-ce pas précisément le sentiment exquis de ces nécessités diverses qui a fait que les illustres architectes de la Grèce ont déployé dans leurs œuvres de si admirables proportions, et surtout qui les a conduits à mettre leurs constructions dans un si merveilleux accord avec la lumière, le ciel, les montagnes, l'horizon du pays qu'ils habitalent? Ne serait-ce pas à l'oubli de cette loi essentielle dans l'art de bâtir qu'il faudrait attribuer le mauvais effet que produisent si souvent dans notre pays les constructions de nos meilleurs architectes?

« PreviousContinue »