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passant que ce travail était dû au cardinal Robert de Lenoncourt. Le portail extérieur de cette portion du transsept mérite de fixer l'attention par ses ornements et par ses ensembles pleins de grâce et d'harmonie. Malgré quelques mutilations, les statues sont encore dignes d'attirer le regard de l'artiste; nous devons spécialement signaler une statue de la sainte Vierge, au centre de la porte.

Avant de continuer à donner quelques détails sur l'extérieur de l'église de Saint-Remi, nous avons besoin de parler des chapelles absidales. Ces chapelles sont au nombre de cinq, sans y comprendre les deux grandes chapelles ouvertes dans la muraille orientale du transsept. Le chevet nous présente luimême un développement de onze travées. Il est difficile de trouver des chapelles plus intéressantes sous tous les rapports que celles qui rayonnent autour de l'abside de SaintRemi. Le plan en est original et d'un effet piquant. Nulle part, excepté dans la basilique de Saint-Quentin, on ne rencontre cette disposition; nous devons cependant convenir que cette singularité architectonique est plus curieuse encore à Saint-Quentin qu'à SaintRemi. L'arc qui prête ouverture à la chapelle sur les collatéraux est partagé en trois autres arcades portées sur deux colonnes légères monocylindriques. Ces colonnes sont placées ici sur la ligne de circonférence d'un cercle qui aurait pour centre la clef de voûte ou le point de départ des nervures des déambulatoires. La chapelle de la Sainte-Vierge, au fond de l'abside, est élevée dans les dimensions suivantes : longueur 14 mètres 28 centimètres; largeur 7 mètres 50 centimètres. Nous terminons en répétant que la région absidale de Saint-Remi offre un type architectural très-rarement mis en pratique dans les monuments religieux du moyen âge, et qu'elle mérite une place distinguée dans l'histoire de l'art de bâtir au xi* siècle.

Le chœur de l'église de Saint-Remi, comme à l'église métropolitaine de Reims, est sorti de ses véritables limites et de ses proportions naturelles. On en comprend ici la raison, puisque le tombeau du saint évêque était placé au chevet, tandis que dans la cathédrale on est choqué de voir la partie la plus sainte, la plus sacrée de l'édifice, abandonnée à la multitude. L'abside est le point éminemment liturgique de nos églises; c'est là que repose la tête du Christ, et c'est sur l'autel qui figure ce chef auguste, que s'opère l'acte sublime du sacrifice catholique.

Le chœur de Saint-Remi est entouré d'une clôture dans le style avancé de la renaissance. Quoique cette riche balustrade ait souffert cruellement, elle est néanmoins fort intéressante encore, et sa conservation doit être assurée à la place qu'elle occupe, quoiqu'elle soit en désaccord avec le style architectonique général de l'édifice.

L'extérieur de cette église n'a pas beaucoup de mouvement. Les formes principales sont monotones et peu variées. Il faut mentionner comme assez curieuses les colonnes

DICTIONN. D'Archéologie sacrée. 1.

qui remplacent les contre-forts appuyés à la muraille. Ces colonnes, à demi engagées, étaient probablement couronnées d'un chapiteau; aujourd'hui elles sont indignement tronquées, pour prêter place à des barres de fer. La façade occidentale est grave et offre quelques particularités à noter. Nous avons antérieur ment dit un mot des colonnes en granit qui en décorent l'entrée. L'ornementation du portail est sobre et réservée; on y reconnaît l'empreinte du x siècle dans l'ensemble, qui paraît avoir été accolé à une construction plus âgée. Mais ce qui sollicite l'attention avec plus de force, ce sont des colonnes engagées et des pilastres dont le fût est creusé de cannelures. La première question qui se présente à l'esprit, c'est de savoir si ces cannelures sont un travail antique ou une opération récente. Après un examen attentif, nous inclinons à croire qu'elles appartiennent à l'a uvre du XIIe siècle. Dans un grand nombre d'églises que j'ai eu l'occasion d'étudier en Bourgogne et dans le Nivernais, j'ai rencontré fréquemment les colonnes et les pilastres ornés de cann lures. Sans doute à Reims, comme en Bourgogne, ce système a été adopté par l'imitation de monuments plus anciens. Tous les antiquair's admettent que les pilastres cannelés de la cathédrale d'Autun sont une copie des pilastres également cannelés qui ornent l'arc romain de la porte d'Arou et de Saint-André. Pourquoi, à Saint-Remi, n'aurait-on pas cherché à reproduire des formes semblables admises dans quelque monument de l'époque gallo-romaine?

V.

Nous avons adopté comme modèle d'une abbatiale du x siècle la charmante église de Saint-Julien de Tours, parce qu'elle fut entièrement bâtie dans la première moitié du xe siècle, et qu'elle présente une pureté de style et une régularité d'architecture que l'on rencontrerait difficilement ailleurs. En outre, de nombreux et beaux souvenirs religieux et historiques sont, pour ainsi dire, encore vivants à Saint-Julien. Les plus grands évêques de Tours ont eu des rapports avec cette abbaye. Des hommes du plus haut mérite, dont plusieurs, comme saint Odon, originaire de Tours, ont été employés dans les plus graves affaires du royaume, ont successivement gouverné le monastère. Sous les arceaux de son cloître, souvent se sont assis les savants Bénédictins, tels que les Mabillon, les Martenne, les Durand, les Housseau, dont le nom se rattache aux immortels travaux entrepris sur les origines et les sources de l'histoire de France.

N'oublions pas de mentionner encore que, dans l'église abbatiale de Saint-Julien, le 18 avril 1589, le roi Henri III fit l'ouverture du parlement convoqué à Tours pendant les troubles malheureux de la Ligue."

La notice suivante a été publiée par nous, en 1846, avec la collaboration de M. le chanoine Manceau.

A l'endroit où s'élève actuellement l'ab

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baye de Saint-Julien, et probablement sur l'emplacement du sanctuaire de l'église, Clovis, vainqueur des Visigoths à Vouillé, fit bâtir, en 509, une chapelle dédiée à la sainte Vierge. Laissons parler la chronique :

L'an de grâce environ cinq-cent, Clovis en venant de Sainct-Martin de Tours, mercier ledit glorieulx saint de la victoire qu'il avait eue sur Alaric, roi des Goths, et sur les gens hérétiques arriens, monta sur son cheval qu'il avait laissé au cloitre du dict Sainct-Martin. Et mist couroñe d'or sur sa teste. Et, en allant par la ville de Tours, sarresta en la place ou a été depuis fondé le monastaire de Sainct-Julian le martir. Laquelle place était lors vuide. Et illec pit le peuple respendit et donna grant quantité d'or et d'argent. ›

Nous ne connaissons aucun détail précis sur la construction primitive. Peut-être pourrions-nous en concevoir une idée, d'après la description que donne saint Grégoire de Tours, d'édifices contemporains. S'il nous était permis, en cette circonstance, d'émettre une opinion, nous dirions que cette église fut élevée d'après les principes et les coutumes de l'art gallique, c'est-à-dire qu'une partie de la construction était en pierres et l'autre en bois.

Tout le monde connaît le passage de Clovis à Tours, et les diverses circonstances qui l'accompagnèrent. Ce prince avait désiré placer son expédition sous la protection de saint Martin, le patron des Gaules, le saint le plus populaire du moyen âge. Vainqueur et de retour dans notre cité, Clovis reçut, dans la basilique même de Saint-Martin, une ambassa le de Constantinople, qui lui apportait, de la part de l'empereur Anastase, la toge patricienne, les faisceaux consulaires et le diadème royal. Revêtu des insignes de sa dignité, le roi des Francs, monté sur son cheval de bataille, passa ses troupes victorieuses en revue, non loin des bords de la Loire. La fondation de l'église de la Sainte-Vierge avait pour but d'éterniser la mémoire d'un aussi grand événement. Des monuments très-anciens et dignes de foi font connaître tous ces détails.

Licinius, neuvième évêque de Tours, avait le premier consacré l'église bâtie par les soins de Clovis. Quelques auteurs mentionnent une nouvelle dédicace, faite par Ommatius, en 515, six ans plus tard. Ces deux dates, si rapprochées l'une de l'autre, se rapportent vraisemblablement à un fait identique. Sans doute Licinius aura béni les preiniers travaux commencés en 509, et Ommatius aura fait la consécration solennelle de l'édifice parvenu à son complet achèvement.

Peu de temps après, des moines venus d'Auvergne pour satisfaire leur dévotion à saint Martin, attirés aussi sans doute par la réputation de leurs compatriotes qui s'assirent avec tant d'honneur sur le siége épiscopal de Tours, établirent quelques pauvres cellules autour de l'église de Sainte-Marie. Telle fut la première origine du monastère. Saint Grégoire nous apprend que l'église conventuelle était consacrée sous le vocable de Saint-Maurice et de ses compagnons. Se

rait-ce une seconde église ? ou plutôt, selon l'usage des âges primitifs du christianisme, l'autel principal n'avait-il pas été dédié à un martyr, quoique le temple fût spécialement placé sous l'invocation de la sainte Vierge? Des raisons de convenance liturgique nous feraient incliner à choisir le second parti.

Saint Grégoire de Tours, édifié des vertus de ses compatriotes et désirant resserrer davantage les liens de la vie monastique, leur donna la règle de saint Benoît qui commençait à se répandre dans le monde chrétien. Le même évêque apporta de Brioude, en Auvergne, des reliques du martyr saint Julien, pour lequel il professait une vénération particulière. Il ne crut pas pouvoir mieux faire que de les confier aux nouveaux Bénédictins. L'histoire rapporte qu'en déposant ces précieuses reliques dans l'église du monastère, saint Grégoire en fit la dédicace à saint Julien. Ce fait, d'après les principes de l'antiquité ecclésiastique, indique suffisamment une reconstruction de la basilique première. Peut-être cependant y eut-il seulement à cette époque quelques restaurations. Quoi qu'il en soit, à partir de cette solennité la communauté bénédictine prit le nom de Saint-Julien, qu'elle a conservé jusqu'à nos jours. Le vocable de Saint-Julien, malgré les désastres de l'église, a donc subsisté environ pendant

treize siècles.

Dans l'intérieur du monastère, suivant la coutume des âges reculés, on érigea postérieurement plusieurs chapelles. On tomberait dans de fâcheuses erreurs de chronologie, si on ne les distinguait pas de l'église principale. C'est dans un de ces oratoires que mourut saint Odon, dont nous parlerons plus bas.

L'établissement de Saint-Julien, après une longue et toujours croissante prospérité, fut entièrement ruiné en 853 par les Normands qui exercèrent de si terribles dévastations dans la Touraine, au milieu du 1x siècle. Une histoire manuscrite de Saint-Julien nous apprend qu'à cette époque le chef des hordes normandes s'appelait Rolo, peut-être le fameux Rollon, qui fixa ses tribus vagabondes dans le territoire auquel il donna le nom de Northmandie.

Théotolon, issu d'une illustre famille de Tours, aussi distingué par ses connaissances et ses qualités que par sa piété, fut d'abord doyen du chapitre collégial de Saint-Martin. Dans un élan de ferveur, il prit l'habit de Saint-Benoît au monastère de Beaume, en Franche-Comté; mais peu de temps après il en fut arraché par le vœu de ses concitoyens, qui l'appelèrent à gouverner l'Eglise de Tours, en qualité d'archevêque. Ainsi, celui qui avait voulu renoncer aux dignités, fut élevé aux suprêmes honneurs de l'Eglise. Désirant trouver, à une petite distance du siége archiepiscopal, une communauté dépendante de l'ordre de Cluny, où régnat la d scipline de Citeaux, qui avait eu pour son âme de si puissants attraits, l'archieveque Théotolon songea à relever de ses ruiLes l'abbaye de Saint-Julien, abandonnée

depuis les ravages occasionnés par les pirates du Nord. Ses efforts furent secondés par la pieuse libéralité de Gersinde ou Gelsinde, sa sœur. Tous deux, unis dans la même pensée, firent de grandes largesses, et le nouvel édifice fut rapidement achevé. Le 16 des calendes de septembre 943, ou 948 selon quelques auteurs, Théotolon fit avec grande pompe la dédicace de la basilique à l'honneur de la sainte Vierge et de saint Julien, martyr. Le Martyrologe de Saint-Julien mentionne exactement ces faits et ces dates.

L'archevêque, étant arrivé au terme de ses vœux, se hâta d'appeler à Tours, dans l'abbaye restaurée, Odon, abbé de Cluny, son plus intime ami. Odon, qui plus tard fut canonisé, né à Tours, devenu chanoine et grand chantre de Saint-Martin, avait quitté sa ville natale et son bénéfice pour vivre dans l'humilité de la solitude. Mais ses belles qualités, la douceur et l'élévation de son esprit, le firent élire pour diriger la florissante communauté de Cluny, après la mort de l'abbé saint Bernon. Odon reçut plusieurs missions délicates pour l'Italie, et s'en acquitta avec le succès que l'on était en droit d'attendre de sa droiture et de son habileté. Sa parole, pleine d'une éloquence persuasive, arrêta, ou du moins suspendit les dissensions qui alors déchiraient le midi de l'Europe. Surpris par la maladie et se sentant frappé à inort, Odon accourut à Tours pour mourir entre les bras de Théotolon et surtout auprès du tombeau de saint Martin, pour lequel il manifesta la plus ardente dévotion jusqu'à son dernier soupir. L'amitié qui avait uni le cœur des deux grands hommes dans le cours de leur vie, les réunit encore après leur mort: Théotolon voulut être enseveli à côté d'Odou. Gersinde, la sœur de l'archevêque et la bienfaitrice de l'abbaye, fut déposée auprès de leur tombeau. Plus tard, les restes de saint Odon furent exposés sur les autels. Le corps de Théotolon, en 1351, après la construction de l'église actuelle, fut transporté dans le chœur, au mois de novembre. Les religieux reconnaissants placèrent sur son sépulcre l'inscrip

tion suivante :

Hic jacet recolende memorie Reverendissimus Pater et Dominus Dominus Theololo quondam Archiepiscopus Turon. reedificator huius abbacie. Hunc sacer iste Locum super omnes presul amavit, quem r.bus propriis et de se nobilitavil.

Ci-gist le très-révérend Père et Seigneur Théotolon, de vénérable mémoire, autrefois archevêque de Tours; restaurateur de cette abbaye. Ce saint Pontife aima ce lieu par-dessus tous les autres, et il l'enrichit de sa fortune et de ses propres dépouilles.

Dans une fouille récente, en 1838, on a retrouvé quelques fragments seulement dans le tombeau de saint Odon, tandis que les ossements de Théotolon reposaient toujours entiers à la même place; ils étaient en partie recouverts d'une étoffe de laine brune: un débris de bâton pastoral restait encore. A l'époque où l'on construisit le grand autel du choeur, vers le milieu du XVII siècle, on

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SEPVLCHRVM THEOTOLI.

Depuis le rétablissement de Saint-Julien, on compte cinquante-trois abbés réguliers, depuis saint Odon jusqu'à Jean Robert. En 1540, François, cardinal de Tournon, en devint le premier abbé commendataire.

L'abbé Bernard, successeur d'Ingenalde, fit bâtir la tour et le clocher de Saint-Julien. Cet abbé gouverna le monastère de 962 à 984. Quelques auteurs ont indiqué la date de 966 comme étant celle de la construction du clocher. En étudiant sérieusement les caractères architectoniques du monument, nous discuterons l'opinion de ceux qui préde l'abbé Bernard, et le sentiment de queltendent que l'édifice actuel est bien l'œuvre plus haut que le milieu du xr siècle. ques antiquaires qui ne le font pas remonter

L'abbé Richer édifia les bâtiments de l'abbaye qui menaçaient ruine: ce travail eut lieu entre 1032 et 1040.

Quarante ans plus tard, Gilbert ou Gerbert, en 1080, reconstruisit la basilique depuis les fondements jusqu'au faîte. Cette réédification, suivant les expressions de la chronique, fut exécutée avec une grande magniticence et selon les principes d'une architecture très-élégante (1). Il subsiste de nos jours quelques parties accessoires de l'église, du côté de la Loire, qui doivent incontestablement être rapportées au travail du xr siècle. Tous les caractères de l'architecture romanobyzantine y sont très-apparents.

En 1084, le 4 des Ides de novembre, Raoul II, de Langeais, archevêque de Tours, consacra solennellement la grande (2) basilique élevée par Gerbert; elle fut dédiée à la sainte Vierge, à saint Julien et à tous les saints. L'expression de grande basilique, de basilique majeure, est ici fort remarquable. Aucun historien n'a jamais parlé de ce texte. Il nous donne à penser que les dimensions de l'église abbatiale furent établies à cette époque dans de belles proportions. L'observation des faits vient au secours de l'interprétation des textes, et, d'après l'inspection des débris échappés au xi siècle de la construction romano-byzantine, nous pensons que le monument actuel a été bâti sur les fondations de l'édifice de 1080. La grandeur, le choix, la régularité et la beauté de l'appareil du XIe siècle, sont pour nous une preuve permanente de l'habileté et du soin qui furent déployés par l'abbé Gerbert, et nous comprenons ainsi sans peine le mot de travail très-élégant employé pour caractériser l'œuvre entière.

En 1224, après l'office de Matines chanté par tous les membres de la ccmmunauté, le jour de la fête de saint Mathias, une violente tempête détruisit la plus grande partie de

(1) Gilbertus seu Gerbertus basilicam elegantissimo opere à fundamentis erexit prope annum 1080. (2) Majorem basilicam.

la basilique, sans tuer ni blesser personne (1).

Ce fut cette horrible catastrophe qui nécessita la construction de la magnifique basilique en style ogival que nous admirons aujourd'hui. Il est probable que les travaux commencèrent immédiatement, quoique l'histoire garde le silence jusqu'à 1240, où elle nous fait connaître que l'abbé Evrard, à l'aide des aumônes des fidèles et des dons of ferts par les prieurs dépendant de l'abbaye, releva la nef en grande partie détruite par l'orage (2). Le sens bien compris de ce texte importat nous conduirait peut-être à admettre que le choeur était déjà rétabli quand l'abbé Evrard prit en main le gouvernement du monastère. Cette pensée trouverait confirmation dans quelques détails architectoniques qui mènent à croire que la reconstruction a dû commencer par le chevet et les parties voisines. D'un autre côté, nous voyons des peintures aux armes de France et de Castille, à la jonction des nervures, au centre des voûtes de la nef, qui démontrent que cette portion de l'église a été bâtie sous le règne de saint Louis. Nous ne connaissons pas du moins d'explication plus plausible à donner de la présence des fleurs de lis et des tours de Castille aux clefs de voûte de la nef et de l'intertranssept, et de leur absence aux voûtes des travées absidales.

Pour achever l'énumération des dates que nous avons pu trouver, nous dirons qu'en 1299, Pierre de Châteauregnault bâtit le réfectoire, et qu'en 1470, Pierre de Mont-Plaie construisit le grand réfectoire. Les deux chapelles absidales, bâties en prolongement des secondes nefs collatérales, furent fondées de 1530 à 1540, la première dédiée à saint Maur, à gauche de l'autel et à droite du spectateur, par l'abbé Jean Robert; et la seconde dédiée à saint Benoît, du côté opposé, par le moine Sébastien Testu. Une crypte insignifiante fut construite sous le sanctuaire il y a deux siècles. Nous y avons lu cette inscription: Hæc crypta facta fuit 1639. Peut-être y reconnaîtrait-on à quelques restes de maçonnerie la disposition semi-circulaire de l'abside romane.

Nous avons précédemment mentionné quelques chapelles particulières situées dans l'intérieur du monastère. Nous devons les faire connaître, à cause de leur importance monumentale et historique. La première fut consacrée à la sainte Trinité, en 1024, par l'archevêque Arnoul ou Arnulphe, sous l'abbé Gausbert, deuxième du nom. La seconde fut dédiée à saint Aubin, en 1058, par l'archevêque Barthélemy I, sous l'abbé Guillaume. La troisième, bâtie dans le voisinage de l'infirmerie, fut dédiée à saint Nicolas, en

(1) Anno 1224, post matutinum officium in festo sancti Mathiæ a toto conventu persolutum, exorta subito procella horribilis partem basilica maximam, nullo tamen interempto, subvertit.

(2) Evrardus basilica navim turbine et fulgure majori parte subversam fidelium eleemosynis adjutus, et priorum a monasterio dependentium subsidio, curavit reædificari anno non longe 1240.

1097, par l'archevêque Raoul II, la veille de la fête de Saint-Martin d'été, sous l'abbé Jean I. Une quatrième chapelle avait été consacrée à saint Gilles; elle était célèbre par le concours des peuples qui s'y rendaient en foule, mais on ignore le nom de son fondateur.

La tour de Saint-Julien, bâtie sur un plan quadrilatéral, est construite dans de graves proportions. Elle était autrefois couronnée d'une pointe pyramidale en charpente, détruite depuis 1789. La hauteur totale, depuis le sol jusqu'à la moulure supérieure de la corniche, est de 25 mètres environ, sur une largeur de 11 mètres. Cet édifice porte, fortement empreints, tous les caractères de l'architecture romano-byzantine de la seconde période. L'ensemble et les détails s'accordent parfaitement avec ce que nous observons dans une multitude de monuments élevés et ornés sous les mêmes inspirations. Deux épais contre-forts d'angle fortifient la masse déjà robuste par elle-même. Vers les deux tiers de leur élévation, ils subissent une déviation assez maladroite, et montent ensuite d'un seul jet jusqu'au comble. C'est ici la solidité exprimée naïvement, sans nul déguisement. Nous sommes loin de ces hardis et légers contre-forts que l'art ogival a su distribuer avec tant de science et de goût autour des gigantesques cathédrales.

L'appareil est généralement bien soigné, et peut soutenir la comparaison avec ce que les constructeurs de cette époque ont plus élégamment et plus convenablement établi. Partout règne une gravité sévère et une mâle énergie, que l'on ne rencontre que dans les édifices d'un caractère fortement accusé. L'austérité est à peine tempérée par quelques ornements jetés autour des fenêtres et au-dessous de l'entablement; encore la décoration de ces parties ne dépasse-t-elle pas les limites d'une extrême sobriété. La baie des fenêtres est accompagnée de deux colonnettes sur lesquelles viennent tomber les moulures de l'archivolte. Les formes en sont bien senties, et nous rappellent une disposition heureuse que nous avons souvent observée dans beaucoup d'églises de la Touraine, du Poitou, de la Normandie et de la Bourgogne. Les chapiteaux des colonnettes sont composés de feuillages faiblement découpés et mollement dessinés. Les ornements qui forment la decoration sont des tores rompus, des dessins en échiquier, des feuilles et des losanges. Ces mêmes formes se voient à la corniche supérieure. Les cintres des fenêtres sont composés de claveaux régulièrement taillés; il en est de même des autres arceaux, situés à l'intérieur de la tour, à l'endroit qui représentait autrefois une espèce de porche ou de narthex. L'ordonnance adoptée par l'architecte dans ce pronaos était sage et remarquable. Deux arcs ouverts ou simulés, séparés par une colonne médiane, et accompagnés de deux autres colonnes latérales, se montraient sur chaque face intérieure. Cette disposition a été modifiée lorsqu'on a fait une immense ouverture

ogivale pour faciliter l'entrée de l'église. II faut convenir que, si la pensée première était convenable, elle a été mal exécutée; car il serait difficile de rencontrer des chapiteaux et des moulures traités avec plus de barbarie.

Chaque face extérieure de la tour est or née de deux étages de fenêtres. Les baies ouvertes primitivement à l'orient ont été ferinées au moment de la construction de la basilique ogivale. Lorsque cette tour servait à l'église romano-byzantine, le faîte n'atteignait pas à une hauteur aussi considérable, et laissait libres toutes les ouvertures. A l'intérieur se trouvait une voûte qui a disparu depuis longtemps, à en juger par l'état actuel des lieux; peut-être même n'a-t-elle jamais existé, quoiqu'elle dût entrer dans le plan de l'architecte.

Des restes d'architecture romane se rattachent à cette tour, et nous devons les indiquer avant de discuter l'âge de la tour ellemême. Du côté du nord, toute la muraille du XIe siècle est appuyée sur des fragments plus anciens très-visibles. Il n'est pas nécessaire d'avoir un œil bien exercé pour reconnaître à un appareil de médiocre dimension, très-soigné dans son ajustement, dont chaque pierre est séparée par une épaisse couche de mortier, une maçonnerie antérieure aux parties voisines. Entre chaque contrefort on remarque un pan de muraille antique plus ou moins étendu, qui ne se relie qu'ímparfaitement avec les parties superposées, et qui s'en détache par un léger surplomb. En continuant à examiner tout le flanc septentrional de l'église, on se convainc de plus en plus de l'importance de l'édifice roman. De beaux arcs à plein cintre, d'une bonne exécution et parfaitement conservés, se montrent à la base du mur du transsept et des collatéraux du chevet.

L'église abbatiale de Saint-Julien est élevée dans les plus heureuses proportions. La perspective en est ravissante. Quand on entre par la rue Royale, l'oeil est frappé de l'effet pittoresque des faisceaux de colonnes et de colonnettes, de l'ordonnance majestueuse des travées, de la légèreté des voûtes, et de la richesse de la splendide fenêtre qui épanuit ses nombreux meneaux au fond de l'abside. Toutes les parties se rattachent les unes aux autres suivant les lois d'une sage symétrie. Il existe en France peu de monuments du x siècle où l'art ait déployé plus de grandeur, de noblesse et de science. Ce qui distingue toute la basilique de Saint-Julien, de même que la partie absidale de l'église métropolitaine, c'est une pureté de style qui excite l'admiration des connaisseurs. Les lignes d'ensemble y sont posées avec une netteté et en même temps avec une vigueur peu communes; les détails s'accordent parfaitement avec la masse générale; aucun accessoire ne vient affliger le regard d'irrégularités choquantes. L'impression que l'esprit éprouve en considérant l'intérieur de Saint-Julien, est d'autant plus saisissante qu'elle est causée uniquement par des beau

tés architecturales : l'attention n'est détournée par aucun ornement d'un autre ordre.

Dimensions générales longueur totale, 46,85 mètres sans y comprendre la tour; largeur totale, 20 ".; largeur de la grande nef, 9,90.; largeur des basses nefs, 4,35 ".; longueur du transsept, 30.; largeur du transsept, 8,20 m.; hauteur sous voute à la nef, 21; hauteur sous voûte aux nefs mineures, 9.; hauteur jusqu'aux galeries, 9 ".

Le plan offre une disposition originale. La croix latine est figurée par l'entre-eroisement de la nef majeure et du transsept. Jusqu'aux branches du transsept, le vaisseau principal est accompagné de deux collatéraux, et jusqu'au mur absidal il est accompagné de quatre bas-côtés. Dans les édifices d'une certaine dimension, les nefs mineures tournent autour du chevet et forment un déambulatoire. Le plan de l'église de Saint-Julien offre une exception que l'on retrouve à la cathédrale de Laon et à Saint-Martin de Clamecy. La région absidale est donc terminée brusquement par une ligne droite. La perspective générale y perd quelque chose de mystérieux. Les chapelles accessoires établies en prolongement des collatéraux n'appartiennent pas au plan primitif: nous avons dit plus haut qu'elles furent ajoutées au milieu du xvr siècle. L'axe longitudinal n'a subi aucune déviation, selon la coutume ordinaire aux siècle.

Lorsqu'on examine les divers caractères architectoniques, on reconnaît immédiatement dans tout l'extérieur le travail de la première période ogivale. Il n'y a qu'en un seul endroit, à la chapelle voisine du croisillon du transsept septentrional, que l'on pourrait reconnaître des traces de construction un peu plus ancienne. Si nous nous en rapport ons entièrement à l'analogie, nous dirions que cette portion doit être attribuée aux dernières années du XIIe siècle. A l'extérieur, on juge plus aisément encore de la différence qui existe entre cette travée et les parties voisines. La fenêtre est plus étroite et moins ornée, la corniche ne montre pas la même conformation que partout ailleurs.

En faisant une rapide description des divers membres de la basilique, nous verrons plus clairement ressortir les caractères de l'architecture ogivale primordiale. Les piliers de la nef majeure sont cantonnés de quatre belles colonnes, et surmontés de chapiteaux à feuilles recourbées; ceux de la région absidale sont arrondis en forme de colonnes monocylindriques.

Les colonnettes engagées dans les quatre piliers d'angle de l'intertranssept sont trèsbien groupées et artistement détachées les unes des autres. Des moulures fortement accusées, des saillies convenablement ménagées, servent à faire valoir les fûts élancés, sans qu'il y ait la moindre confusion dans les lignes. Nous n'avons jamais et nulle part observé rien de plus heureusement conçu ni de plus richement distribué. Les chapiteaux en sont ornés de feuillages élégamment agencés; ils forment une corbeille gracieuse,

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