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l'église, mais y laissaient tomber de haut une lumière douteuse qui n'empêchait point cette mystérieuse obscurité qu'on demanda, plus tard, aux vitraux de couleur, après qu'on eut agrandi les fenêtres des cathédrales.

Au milieu du choeur il y avait deux jubés; mais on y admirait principalement le sanctuaire, hardiment porté sur 8 colonnes de marbre, de 30 pieds d'élévation. Six surtout étaient précieuses trois de cipolin d'Afrique, trois de marbre grec de Pentélie, veiné de bleu. Saint Hugues les avait fait amener d'Italie par la Durance et le Rhône. Leurs chapiteaux étaient sculptés avec une rare magnificence et avec toute la variété de l'art romano-byzantin; du reste, tous les chapiteaux de la basilique étaient sculptés avec une étonnante perfection.

La voûte de l'abside était entièrement couverte par une peinture d'un magnifique caractère. Elle représentait la figure de JésusChrist, de 10 pieds de hauteur, porté sur des nuages, une main levée, l'autre posée sur le livre aux sept sceaux. A ses pieds reposait l'agneau comme immolé, suivant l'expression de l'Apocalypse. Cette composition gigantesque était accompagnée des figures ailées de l'homme, du lion, de l'aigle et du bœuf. Toute cette peinture se détachait sur un fond d'or orné de losanges, en forme de mosaïque. Ce bel ouvrage qui décorait la coupole de Cluny avait conservé la fraîcheur de ses couleurs primitives, jusqu'au commencement du XIXe siècle, qu'elle disparut dans les ruines de l'abbatiale. (Voy. P. Lorrain, hist. de Cluny, p. 86).

La basilique de Cluny, dont les archéologues regretteront à jamais la destruction, offrait donc le modèle de ces curieuses dispositions architecturales que nous retrouvons dans la plupart des monuments de l'ancienne province de Bourgogne, et qui forment un caractère assez tranché pour l'établissement d'une école spéciale, que nous avons appelée l'Ecole bourguignonne. Nous reviendrons sur cette école dans un article particulier, et nous y exposerons des observations que nous avons consignées précédemment dans plusieurs ouvrages. C'est, du reste, dans l'histoire générale de l'architecture sacrée en France, un fait bien important que les modifications appartenant uniquement aux monuments de l'école bourguignonne. On a prétendu qu'il y eut deux types en Bourgogne, celui de Citeaux et celui de Clairvaux, et que ces deux types transplantés par toute la France avec les nombreuses colonies sorties de ces deux abbayes célèbres, exercèrent la plus forte influence dans la marche et les développements de notre art national, surtout aux XIe et XIIe siècle. Cette idéo a été émise pour la première fois par M. l'abbé Crosier, de Nevers. (Voy. EcoLES.)

III.

Après avoir donné la description de la plus illustre abbatiale de la chrétienté, au xr siècle, il est utile, pour se faire une juste idée des églises monastiques de ce même xr siè

cle, de placer à la suite la description d'une abbatiale plus modeste. Nous choisissons à cet effet l'abbatiale de Saint-Pierre de Preuilly, au diocèse de Tours, comme étant d'une pureté parfaite de style. Cet édifice, d'ailleurs, offre un grand intérêt à l'archéologie : bâti à l'ouverture même du xr siècle, dans un style architectural qui montre à l'œil attentif de nombreuses réminiscences orientales, sous le rapport des dates et de la construction, il mérite de fixer l'attention des historiens et des antiquaires. L'église abbatiale de Preuilly, fondée en 1001, était achevée en 1009.

Cette église est remarquable, non-seulement par ses nobles proportions, par ses belles dimensions, par son ordonnance générale, par ses détails d'architecture et de sculpture, mais encore par certaines particularités de construction que nous signalons aux amis de la science, comme étant de la plus haute valeur. Il est évident, pour quiconque s'est donné la peine de faire l'analyse scientifique des principales formes du monument, qu'on y découvre de fréquentes traces des influences orientales. Le génie de l'architecture grecque y est spécialement empreint dans les moulures, les contours, les profils, les sculptures, et ces mille détails qui accusent un style. Les toitures actuelles sont loin d'offrir la disposition des couvertures qu'elles ont remplacées. L'aspect de l'édifice, sous ce rapport, a été complétement changé et dénaturé. Des vestiges de lignes rampantes, observés sous les toits, donnent à penser que les combles étaient presque plats, probablement couverts de dalles. L'inclinaison des lignes rappelle les proportions des frontons antiques. Ces traces en pierre sont évidemment un reste de la disposition architecturale première; elles rappellent les principes adoptés et suivis en Orient, où le comble des édifices n'est jamais aigu comme dans les constructions du Nord, et où la pierre joue le rôle que l'on confie au bois dans d'autres contrées.

L'église de Preuilly possède, en outre, une grande importance locale; elle a exercé une puissante influence sur les constructions voisines et contemporaines. C'est un type qui a été constamment adopté, avec des modifications plus ou moins considérables, pour l'édification des églises du xr siècle, dans les paroisses adjacentes de la Touraine et du Berri.

L'église actuelle fut fondée par Effroy, Euffroy ou Effiid, seigneur de la RochePosay et de Preuilly. Comme nous l'avons indiqué précédemment, ce fait eut lieu en 1001. Sur la façade on lit encore la date de 1009, époque de l'achèvement de l'église. Cette date est écrite en chiffres arabes; elle est assez moderne et a remplacé une inscription antique. Cette église, dédiée à saint Pierre, chef des apôtres, fut bâtie pour servir à une abbaye de Bénédictins. Malheureusement nous connaissons à peine quelquesunes des circonstances qui accompagnérent l'établissement de la communauté bénédic

tine. Le fondateur fut inhumé dans l'église, et on y lisait son épitaphe en vers léonins et rimés, selon le goût du temps où elle fut composée. Les vertus guerrières du seigneur Effroy y sont exaltées avec beaucoup d'emphase. Geoffroy II, son petit-fils, seigneur de Preuilly, est donné par le Chronicon Turonense et le Chronicon S. Martini Turonensis, comme l'inventeur des tournois; plusieurs auteurs ont aussi regardé ce même Geoffroy comme l'inventeur des pièces héraldiques du blason: il est probable qu'il contribua seulement à en régulariser l'emploi et la signification.

L'église s'étend dans les proportions suivantes : longueur totale, 57, 50; largeur totale des trois nefs, 18, 00; largeur de la grande nef, 8, 00; largeur au transsept, y compris les chapelles situées à l'extrémité de chaque croisillon, 29, 00; hauteur sous voûte à la nef, 16, 50; hauteur des voûtes des bas çôtés, 15, 00; hauteur de la tour, 22, 50.

Le plan est la forme de la croix latine avec collatéraux et déambulatoires autour de l'abside. C'est peut-être le premier exemple de cette curieuse disposition qui exerça une si profonde influence sur les modifications postérieures du plan des édifices religieux, et qui, plus tard, fut constamment adoptée dans les églises de grande dimension. Il est extrêmement curieux de constater l'apparition de cette forme architecturale dans un monument construit aux dix premières années du XI' siècle. C'est probablement à la naissance de cette importante disposition, que nous devons attribuer une certaine hésitation qui se traduit en plusieurs endroits par des irrégularités très-sensibles. Pour celui qui voudrait mesurer toutes les parties de l'église de Preuilly, le compas, la règle et l'équerre à la main, il y aurait, sans aucun doute, des déviations maladroites à signaler, ainsi que des rapports mal établis entre certains membres de la construction. Mais ce n'est pas en prenant en main les instruments de mancuvre que nous devons étudier les monuments les plus anciens de la renaissance romanobyzantine dans le centre de la France. Agir autrement, ce serait agir avec la même imprudence et la même inconséquence que celui qui voudrait juger les œuvres littéraires d'un autre âge sans tenir compte des temps, des mœurs et de la civilisation. Ne dirait-on pas d'un critique ignorant qui avancerait que le sire de Joinville ne savait pas écrire en bon français?

Le transsept, dans chacune de ses branches, présente une chapelle en partie ouverte dans le mur oriental. A la naissance de chacun des croisillons avait été bâtie primitivement une tour, surmontée d'un clocher. Une seule des tours est actuellement dégagée; la seconde est cachée dans les charpentes. Nous appelons l'attention des amis de notre architecture nationale sur cette disposition originale. Nous la trouvons donc usitée dès les premières années du xi siècle, à Preuilly. En 1104, quand le trésorier Hervée releva l'église de Saint-Martin, à Tours, détruite par un

incendie, il adopta le même plan. On a prétendu que cette modification curieuse dans le plan des édifices sacrés avait été introduite d'abord dans les églises romanes qui s'élèvent en si grand nombre sur les bords du Rhin. On a considéré ces formes et plusieurs détails moins considérables comme constituant les caractères essentiels du type byzantin. S'il en était ainsi, nous pourrions peut-être, et avec, quelque raison, faire va-loir des droits à l'invention, où si l'on veut à l'importation de ces intéressantes modifications architecturales. Naguère on a prouvé, d'une manière qui nous a semblé péremptoire, que l'architecture ogivale avait pris naissance dans le nord de la France. Nous pourrions peut-être arriver à démontrer que l'architecture romano-byzantine a formulé ses premières tentatives, et pris ses premiers accroissements dans une zone spéciale qui renfermerait la Touraine, le Poitou, le Maine et l'Anjou.

Ces considérations sont trop importantes dans la philosophie de l'architecture chrétienne et indigène de la France, pour que nous ne cherchions pas à leur donner toute l'attention qu'elles méritent.

Le déambulatoire de l'église de Preuilly donne accès à trois chapelles absidales, dont une est au centre et les deux autres sont sur les flancs.

Telles sont les dispositions essentielles du plan. Nous compléterons l'idée qu'on peut se former de l'ensemble, par la description sommaire des principales régions architecturales de la basilique.

En entrant dans l'église de Preuilly, on est frappé en même temps et de la simplicité et de la majesté de l'ordonnance. La perspective générale n'a rien de trop austère ni de trop pompeux. La nef présente cinq travées complètes, l'abside également cinq travées; en y ajoutant une travée pour le chœur et une autre pour l'intertranssept, on aura le développement intégral de l'église. Le monument offre donc 12 belles travées, sans y comprendre les nefs mineures et les chapelles accessoires.

En faisant l'analyse des travées de la nef, nous voyons les dispositions suivantes. Chaque pilier, carré dans la masse, est cantonné de quatre colonnettes arrondies, dont deux supportent l'arcade de communication: les deux autres soutiennent les arcs-doubleaux des voûtes. Cette ordonnance se retrouvera plus tard dans presque toutes les églises romano-byzantines. La base des grosses colonnes se rapproche beaucoup du tracé antique; à part de très-légères modifications, on y reconnaît aisément la base attique. Le fût de la colonnette tournée vers la nef majeure prend un élancement considérable pour aller chercher la retombée de l'arc-doubleau de la voûte principale. Cet exhaussement produit un bon effet en établissant de grandes lignes architecturales qui interrompent la monotonie des surfaces; la perspective y gagne beaucoup en pittoresque. Les chapiteaux sont très-variés et généralement

bien composés. On y remarque des feuillages, des bandelettes, des figures fantastiques et des représentations humaines. I serait difficile d'en donner la description à cause de l'extrême variété des formes. Le dessin seul pourrait donner une juste idée de la composition originale de ces riches chapiteaux: ils méritent, sans contredit, d'être comparés à ce que l'art du moyen âge, au x siècle, a produit de plus gracieux et de mieux senti. Sur les piliers s'appuient de grandes arches romanes, donnant jour de la nef majeure sur les collatéraux.

La voûte est à plein berceau dans la nef, sans nervures et sans autre interruption que celle des arcs-doubleaux en forme de plate-bande. Tout le monde sait que les voûtes de cette nature, élevées à une certaine hauteur, sont extrêmement difficiles à conserver. Il existe nécessairement une poussée très-violente au sommet des murailles; aussi voit-on la plupart des édifices romans s'écrasant sous le poids de leurs voûtes, quoique le plus souvent ils aient été consolidés par des ouvrages postérieurs. Il en a été, à Preuilly, comme dans toutes les œuvres contemporaines. Les murailles ont été poussées au vide par la tête, et dans le cours du xv siècle, on a cherché à les consolider par de robustes contre-forts. On a réussi à prévenir la chute des voûtes qui était imminente. Néanmoins, il y a environ un siècle, on a été forcé de reprendre une partie de la voûte dans le voisinage du portail occidental. Ce travail malheureusement n'a pas empêché de nouveaux écartements, et la façade se trouve actuellement dans le plus déplorable état, surtout à l'angle méridional.

La voûte des nefs collatérales est en arcboutant; elle est solidement bâtie. Du reste, les nefs mineures sont fort étroites, et on pourrait presque les considérer comme faisant office de contre-forts continus pour soutenir la masse énorme de la nef majeure. La grande travée du chœur seule est voûtée avec nervures; l'intertranssept et l'abside sont recouverts d'une voûte en berceau.

Nous avons déjà dit que l'extrémité du transsept formait une chapelle qui se prolonge en abside dans le mur oriental. L'une de ces chapelles est dédiée à saint Mélaine, évêque de Rennes; l'autre est aujourd'hui consacrée à la sainte Vierge. La muraille qui clôt le transsept à ses extrémités est ornée d'une série de petites arcades aveugles supportées sur des colonnettes. Nous retrouvons une disposition absolument identique au triforium de la région absidale.

L'abside offre cinq travées dans son pourtour. Les piliers ont été remplacés par des colonnes monocylindriques d'un diamètre bien proportionné. Malheureusement elles sont aujourd'hui cachées au milieu d'une maçonnerie moderne établie pour supporter un énorme contreretable d'autel. Il est vraiment fâcheux de dérober ainsi au regard, par une construction lourde et sans caractère, la portion la plus remarquable de l'é

glise. Au-dessus du triforium, orné de nom. breuses arcades aveugles, s'ouvrent cinq fenêtres à plein cintre.

Les trois chapelles de la région absidale sont bâties sur un plan fort simple: elles forment trois absidioles arrondies.

Avant de passer à l'examen de l'extérieur, nous devons constater l'existence d'une crypte sous le sanctuaire. On ne peut plus y entrer parce qu'elle est remplie de décombres on y entrait par une porte située derrière l'abside, en face de la chapelle de la Sainte-Vierge et au fond du chevet.

La façade occidentale nous présente une décoration architecturale simple, originale et d'un beau caractère. En l'examinant attentivement, on y trouve matière à quelques réflexions. Les constructeurs, au XIe siècle, étaient habiles dans l'art d'appareiller les pierres. En une infinité d'endroits, ils nous ont laissé de vrais modèles pour la coupe, la taille et la pose des pierres. Ils comprenaient, sans doute, leur infériorité dans la sculpture et surtout dans la statuaire. Aussi voyons-nous qu'ils cherchent constamment à déployer la science de l'appareil et qu'ils négligent l'ornementation sculpturale. Preuilly nous montre à sa façade un des plus curieux exemples de ce dernier parti. Le frontispice n'est beau que de la disposition des lignes et de la taille des pierres. On y distingue plusieurs étages. A la partie inférieure, formant soubassement, s'ouvre seulement la principale porte d'entrée. Les ornements y sont distribués avec une austère sobriété; les pieds droits sont uniquement décorés d'une petite colonnette à chapiteau. Le premier étage est composé, au centre, d'une large fenêtre accompagnée de deux arcades effilées reposant sur une élégante colonnette, et sur les flancs d'une fenêtre moins étendue éclairant les bas-côtés. Les archivoltes des trois fenêtres sont ornées de quelques sculptures, et appuyées sur une moulure également sculptée. La fenêtre centrale est encore décorée d'une belle moulure à perles saillantes. Le second étage est formé d'une magnifique série de petits arcs cintrés qui s'étend dans toute la largeur de la façade. On ne saurait rien imaginer de plus piquant et de plus original que cet ensemble. La galerie supérieure est en germe une de ces somptueuses galeries garnies de statues qui couronnent le portail de nos plus illustres cathédrales. Une fenêtre géminée domine la façade et donne du jour sous la voûte de la nef. Le pignon a été changé par un exhaussement considérable. On distingue encore aisément l'inclinaison des lignes rampantes qui circonscrivaient le gable primitif.

La haute muraille extérieure de l'abside est également décorée d'une galerie fermée au niveau de la galerie intérieure du triforium. Cette particularité forme encore un des traits saillants de la physionomie architectonique de l'église de Preuilly. C'est un des premiers exemples d'un mode de décoration fréquemment usité à une époque moins avancée.

La tour est élevée dans de mâles proportions. Les fenêtres en sont remarquables; on y voit de charmantes colonnettes couronnées de gracieux chapiteaux. A la perfection des formes, à l'élégance des sculptures, à un certain ensemble que le sentiment saisit mieux qu'il ne peut le définir, on pourrait soupçonner que cette construction est un peu moins ancienne que le corps du monument. La tour, brusquement arrêtée dans son développement pyramidal, n'a point de flèche c'est un couronnement qui lui fait défaut. Il est vrai que les flèches en pierre étaient rarement construites au XIe siècle. Nous sommes persuadés cependant que la tour de Preuilly était destinée à porter une pyramide élancée dans le genre de celles de Ferrière-Larçon, de Beaulieu ou de Cormery, qui datent de la même époque.

IV.

La grande abbatiale de Cluny et l'humble abbatiale de Preuilly peuvent servir à faire convenablement apprécier le mouvement architectural qui s'opéra au xi siècle, non-seulement dans les édifices monastiques, mais encore dans les monuments de tout genre. L'art romano-byzantin y trouve une de ses plus complètes réalisations et il suffirait de le bien étudier, pour connaître l'état de perfection auquel il était parvenu en peu de temps, après que les appréhensions de l'an 1000 furent dissipées.

Afin de compléter ce que nous avons à dire sur les abbatiales, nous ferons encore la description d'une abbatiale du x siècle et d'une autre du x siècle; nous terminerons en donnant quelques détails sur l'abbatiale de Saint-Ouen, de Rouen, en partie du XIV' siècle, et en indiquant rapidement au moins les dates principales de construction des célèbres abbatiales de Saint-Denis, en France, de Vézelay, de Pontigny, de Notre-Dame de la Couture, au Mans, de SaintGermain des Prés, à Paris, et de Saint-Etienne de Caen. Ce sujet serait inépuisable, si nous voulions décrire, même superficiellement, toutes les abbatiales que le temps et les révolutions ont laissées debout. Nous aurions éprouvé une véritable jouissance à reconstituer, par la pensée du moins, la vénérable abbatiale de Marmoutier, la première abbaye fondée en France, après Ligugé, par saint Martin, le patriarche de la vie régulière en Occident. Nous sommes contraints d'y renoncer. Nous espérons du moins que l'on puisera dans les notions archéologiques que nous avons réunies sur les abbatiales principales une idée suffisante de ces admirables institutions que l'on a pu calomnier, mais dont on ne pourra jamais faire oublier la grandeur, la puissance, l'éclat et les services. Les abbayes furent jadis la gloire de notre pays : soyons reconnaissants en sachant juger avec impartialité les œuvres immortelles qu'elles ont léguées à la postérité.

Au milieu des monuments anciens les plus illustres, l'église de Saint-Remi de Reims occupe une des premières places; elle se dis

tingue par son antiquité, son caractère architectural, entre toutes les riches constructions qui font l'honneur de la Champagne Pendant de longs siècles, des populations nombreuses et ferventes se sont pressées dans son enceinte. De toutes les parties de la France et du monde chrétien, des légions de pieux pèlerins venaient prier auprès du tombeau de saint Remi, et se placer sous la haute protection de ce grand évêque.

Quand on entre pour la première fois dans l'église de Saint-Remi, on est vivement impressionné par l'ordonnance majestueuse de l'édifice. L'effet des belles lignes architecturales est saisissant. Les lois qui président à l'organisation de la basilique, les rapports établis entre ses divers membres, tout concourt à donner à l'ensemble un caractère imposant. La perspective de la région absidale est grave et solennelle.

Il existe dans cette église plusieurs dispositions originales qui la rendent plus intéressante encore pour l'art et pour la science. Quand on compare les chapelles absidales, le transsept et les belles galeries établies sur les nefs mineures aux parties correspondantes des monuments religieux du centre et de l'ouest de la France, on y trouve matière aux plus curieuses observations. Nos édifices du moyen âge, à quelque époque qu'ils appartiennent, offrent toujours des modifications curieuses dans les provinces qui ont imprimé une plus énergique impulsion à la marche de l'architecture chrétienne. Etudier et décrire avec soin les œuvres disséminées dans des régions différentes, c'est préparer à la philosophie a: chéologique des éléments qui se développeront plus tard.

Les origines de Saint-Remi touchent à la naissance de la religion chrétienne dans le pays rémois. Suivant les historiens, une chapelle fut d'abord dédiée en cet endroit au martyr saint Clément; elle changea postérieurement son vocable en celui de SaintChristophe. A Reims, comme au Mans, comme à Tours, comme dans toutes les vieilles cités gallo-romaines, les chrétiens nouvellement convertis étaient ensevelis à une petite distance des murailles de la ville. Saint Gatien, à Tours, fut enseveli dans le cimetière des pauvres, à côté d'une petite chapelle qui s'appelait Notre-Dame-la-Pauvre, et qui plus tard fut nommée NotreDame-la-Riche, quand on y eut déposé le corps de ce saint évêque et de son successeur. Au Mans, saint Julien fut enseveli de même dans le cimetière des chrétiens, où se trouve aujourd'hui l'église de Notre-Dame du-Pré. A Reims, saint Remi fut enterré dans la chapelle de Saint-Christophe, vers 350, au milieu des fidèles qui étaient morts pleins des espérances chrétiennes.

L'enceinte de la chapelle de Saint-Christophe était trop étroite pour contenir la multitude qui accourait autour du tombeau de saint Remi. On l'agrandit à deux reprises différentes, d'abord vers 633, sous l'évêque Sonnatius, ensuite sous le célèbre Hincmar,

au milieu du 1x siècle. A celte époque, le sépulcre fut orné d'une manière somptueuse, avec tout le luxe que les arts pouvaient alors déployer. La dédicace de la nouvelle basilique eut lieu en 863, au milieu d'un grand concours de peuples, et avec toute la pompe des solennités liturgiques.

Il serait extrêmement important, au point de vue archéologique, de connaître les principales dispositions architectoniques de cette œuvre d'un des plus grands pontifes de Reims. Les documents sont très-rares sur les édifices élevés en un siècle qui n'est connu dans notre histoire que par des calamités et des désastres. Reconstruire, à l'aide de données historiques, l'église bâtie par Hincmar, serait un travail d'une haute portée.

Dès le commencement du XIe siècle, en 1005, on songeait à rebâtir l'église de SaintRemi, soit que la construction antérieure n'eût pu résister à l'action du temps, soit qu'on éprouvât le besoin de l'élever dans de plus grandes proportions et dans un style d'architecture mieux approprié à la réputation et à la gloire de son patron. A cette époque, il y eut dans les esprits un mouvement prodigieux dans toutes les branches de Ja science qui font le domaine de l'esprit humain. L'élan se porta vers la réédification des églises avec une ardeur qui tenait du prodige. La terre, dit Raoul Glaber, se dépouillait de son noir manteau de vieilles églises, pour se revêtir de sa tunique de blanches basiliques. En 1005, l'abbé Airard jeta les fondations d'une immense église, qui fut continuée par Hérimar et par Théodoric, consacrée par le pape Léon IX, mais qui, cependant, ne fut jamais entièrement terminée selon le plan primitif. La dédicace de la basilique romane eut lieu en 1049.

L'abbé Pierre de Celles, ayant pris en main le gouvernement de l'abbaye de Saint-Remi, au milieu du XIIe siècle, entreprit avec ardeur l'achèvement de l'église. Doué d'un esprit actif et d'une intelligence peu commune, cet homme sut communiquer aux travaux une impulsion tellement forte, que dans l'espace de moins de vingt ans, le couronnement fut posé à l'œuvre. On doit à Pierre de Celles le portail occidental dans sa plus grande partie, les deux premières travées de la nef, les transsepts et l'abside. Afin de mettre en harmonie les anciennes constructions avec les nouvelles, on établit des ogives en application sur les murailles de la nef, au-dessus des deux arcs en plein cintre de la galerie. Pierre de Celles avait encore fait batir les voûtes de la nef, qui malheureusement sont tombées plus tard.

Afin d'épuiser les principales dates historiques, nous dirons qu'en 1481, le cardinal Robert de Lenoncourt releva la partie méridionale du transsept qui était ruinée. C'est à ce même Robert, d'abord archevêque de Tours, transféré plus tard sur le siége de Reims, que la façade de la cathédrale de Tours était redevable de ses nombreuses statues.

Après avoir esquissé la chronologie du

monument, il nous reste à en décrire rapidement les principales parties architectoniques.

Dans l'église de Saint-Remi, on retrouve quelques fragments d'architecture antique. Nous devons les mentionner avec un soin d'autant plus scrupuleux que de pareils vestiges sont très-rares en France. Dans la galerie du transsept septentrional, à droite, on trouve deux colonnettes en marbre gris, surmontées de leurs chapiteaux en marbre blanc, d'un travail nettement accusé. Ces chapiteaux à feuillages montrent les oves et les perles allongées que l'on remarque dans ceux de Jouarre, découverts et décrits par M. de Caumont. A la façade, on admire encore de magnifiques colonnes en granit, d'un travail distingué. D'où proviennent ces précieux débris? Il est facile de faire des conjectures; il serait à peu près impossible de fournir des preuves démonstratives de l'opinion qui prétend qu'elles proviennent de la basilique primitive. Peut-être ont-elles été arrachées à quelque monument gallo-romain? Quoi qu'il en soit, ces restes sont, aux yeux de l'antiquaire, d'un prix inestimable.

Les travées de la nef majeure, dans leurs dispositions essentielles, appartiennent évidemment à l'œuvre du xr siècle. Il est aisé d'y suivre tous les caractères de l'architecture romano-byzantine secondaire. Un grand arc plein cintre repose sur des piliers, modifiés plus tard, et présente dans sa structure une ressemblance parfaite avec les constructions contemporaines. Les belles galeries qui s'étendent sur toute la largeur des collatéraux rappellent une disposition semblable à Saint-Etienne de Caen, à Notre-Dame ce Laon, et dans quelques autres basiliques de premier ordre. Ces galeries s'ouvrent sur la nef par deux arcades cintrées qui reposent sur une élégante (t grêle colonnette centrale. Le sommet de la travée est éclairé par une fenêtre à plein cintre surmontée d'un œil circulaire.

En faisant l'analyse d'une travée de la région absidale, nous compléterons l'idée générale qu'on doit se former de l'église de Saint-Remi. On a introduit dans cette portion de l'édifice une modification importante. Tous les arcs sont à ogives, et la galérie principale est surmontée d'une seconde galerie, composée de six ouvertures étroites à ogive aiguë; au-dessus s'ouvrent trois fenêtres à lancette simple, garnies de leurs vi

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