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le nom. C'eat eté une espèce de nouvelle Diplomatique, dans le genre de celle des Bénédictins, où l'on aurait trouvé des renseignements pour l'archéologie chrétienne, de même qu'on en trouve dans la Diplomatique pour la science si difficile des chartes et des titres historiques.

Le projet de l'abbé Lebeuf a été réalisé; au moins c'est la prétention des archéologues. Depuis le commencement du siècle actuel, on a entrepris en Angleterre et en France des travaux considérables sur cet objet. M. de Gerville, en 1824, publia un Mémoire dans lequel il posa les premières bases d'une classification des styles architectoniques usités au moyen âge. Cet Essai était fort remarquable, et il rendit d'éminents services aux érudits qui marchèrent sur les traces de M. de Gerville. Plus tard, M. de Caumont, puisant ses inspirations dans les ouvrages des antiquaires angla's, profitant des travaux de M. de Gerville, publia, dans le tome IV de son Cours d'antiquités monume tales, un système de classification qui a été généralement adopté. Nous-même, dans notre ouvrage intitulé Archéologie chrétienne et publié en 1840, nous avons proposé quelques modifications au système de M. de Caumont, et ces changements ont été communément suivis. (Voy. CLASSIFICATION.)

Quiconque possède les principes de la science archéologique sur chacune des époques de l'architecture chrétienne du moyen âge, est à même de découvrir l'âge des édfices religieux, sans s'exposer à être trompé. A l'aide des différents caractères architecioniques, on peut parvenir à lire sur les murailles d'une église la date précise de sa fondation, les diverses restaurations qui ont successivement altéré la construction primitive, comme le naturaliste, en analysant les organes d'une fleur, arrive promptement à connaître la place qu'elle occupe dans la méthode. Dans une semblable opération, il ne faut jamais oublier que l'ensemble des caractères doit diriger l'archéologue, sans attacher trop d'importance à de légères modifications ou à des formes exceptionnelles. C'est faute d'en agir ainsi qu'on a vu des amateurs professer de la meilleure foi du monde de véritables hérésies scientifiques.

Pour ne pas s'exposer à de fausses appréciations de l'âge des édifices religieux, il ne faut point oublier que, lors de la construction des premières églises, les architectes se complurent souvent à employer des fragments de temples païens démolis ou ruinés, dont les débris étaient alors fort nombreux. Plus tard, en beaucoup d'endroits, les siècles ont peu à peu altéré la physionomie des édifices primitifs par des additions, des restaurations, des interpolations, s'il est permis d'employer cette expression. Il est indispensable de se tenir sur ses gardes, pour ne point commettre d'anachronismes.

Nous avons eu souvent l'occasion de re

marquer, dans les églises du xI ou du XII siècle, des fragments provenant d'églises du style romano-byzantin primordial. Ces dé

bris sont extrêmement curieux pour l'histoire d'un style qui n'a laissé malheureusement que de faibles restes et des ruines quelquefois informes. Un ceil tant soit peu exercé reconnait facilement les emprunts faits à un style entièrement différent. Nous citerons les églises de Saint-Mexme, de Chinon, de Saint-Germain-sur-Vienne, de Cravant en Touraine, parmi celles qui conservent ainsi de très-intéressants fragments d'architecture et de sculpture prove: ant de monuments beaucoup plus anciens que les constructions actuelles.

Autre cause d'embarras. Les modifications de l'ari ne se sont pas introduites en même temps sur toute la surfac de la France. Certaines provinces ont accepté promptement des innovations que d'autres provinces n'ont reçues que longtemps après; d'autres contrées, en les adoptant, leur ont imprimé un cachet spécial. Pour ne pas s'égarer, il faut connaître le synchronisme de l'architectur en France et avoir étudié les écoles architectoniques. (Voy. SYNCHRONISME, Ecoles.)

Dans la question de l'âge des monuments chrétiens, tro's points ont surtout attiré l'attention des antiquaires. Nous devons nous y arrêter, et exposer notre sentiment sur cet objet. Il s'agit des premières églises bâties dans les Gaules et des débris qui peuvent subsister encore; des églises à coupole du centre et du midi de la France; enfin de la célèbre cathédrale de Coutances, entièrement construite dans le style ogival, et que l'on a voulu néanmoins attribuer à l'art du xi siècle.

I.

Dans un temps où les principes de la critique archéologique n'étaient pas encore fixés, on ne faisait nulle difficulté de rapporter la plupart de nos monuments religieux, tels que nous les voyons aujourd'hui, au siècle même où le christianisme fut prêché dans les Gaules On supposait, sans doute, que pour ces édifices, le temps avait suspendu sa marche et s s coups. C'est ainsi qu toutes les églises mentionnées par saint Grégoire de Tours, et bâties par nos premiers évêques, qu'elles fussent à ogive ou à plein cintre, on ne s'en inquiétait guère, étaient attribuées soit à saint Euphrône, mort en 573, prédécesseur immédiat de notre saint Grégoire; soit à saint Perpet, mort en 494; soit à saint Brice, à saint Martin, ou même à saint Gatien, mort en 301 ou 304. C'étaient assurément d'étranges anachronismes on vieillissait ainsi de huit ou dix siècles un certain nombre d'églises.

Depuis que la science des antiquités du moyen âge est solidement fondée sur les faits, l'observation et l'histoire, bonne et prompte justice a été faite de ces appréciations erronées. Mais, comme il arrive trop souvent dans les réactions, par une faiblesse inhérente à l'esprit humain, qui a toujours peine à se maintenir dans de justes limites, ne serait-on pas tombé dans un excès contraire? On commença par nier l'existence de

monuments antérieurs au x' siècle; peu à peu on revint de cette exagération; enfin, on a reconnu que nous possédions en France quelques églises d'une antiquité très-reculée, sans en pouvoir préciser la date. A mesure que la science fit des progrès, les plus érudits inclinèrent davantage à croire que dans le fond de nos campagnes, des débris plus importants, peut-être, qu'on ne l'avait soupçonné d'abord, avaient échappé aux ravages des siècles. Ces prévisions se réaliserent on a signalé et l'on signale de temps en temps des restes précieux des arts chrétiens primitifs. Plus on étudie et plus on sent s'ébranler sa foi à un axiome prématuré, dont on se débarrassera bientôt, qui enseigne que l'architecture romane primordiale se connait mieux dans les livres que dans les monuments. »

«

Notre intention, toutefois, est d'user ici de la plus grande réserve; nous nous bornons à constater un fait important: La science archéologique est loin d'avoir donné son dernier mot sur les constructions romano-byzantines primordiales.

La Touraine est, sans contredit, en France, une des provinces qui peuvent fournir les plus nombreux éléments à la solution de cette grave question. Mieux favorisée que plusieurs autres, l'Eglise de Tours possède l'histoire détaillée de ses premiers évêques. Saint Grégoire, la lumière de son siècle, homme éminent par la fermeté de son caracière, l'élévation de ses sentiments, écrivain naïf et consciencieux, nous apprend, dans son Histoire ecclésiastique des Francs, les actions les plus remarquables de ses prédécesseurs, et quelles paroisses de son diocèse furent fondées par leurs soins. Le même auteur nous fait connaître, en outre, par des indications malheureusement trop incomplètes, les dispositions principales, les ornements et jusqu'à un certain point le style des églises bâties de son temps. En comparant certains textes de ses nombreux écrits avec l'état actuel des lieux, on peut espérer faire ressortir de cet examen quelques considérations utiles. Si nos raisonnements ne paraissent pas concluants à tout le monde, ils décideront peut-être de plus habiles que nous à étudier les mêmes faits pour en faire valoir la vraie signification.

Saint Gatien, premier évêque de Tours, prêcha le christianisme sur les bords de la Loire, vers le milieu du siècle, suivant un passage de saint Grégoire qui a vivement exercé la critique et qui l'exercera sans doute fortement encore. Il creusa de ses propres mains dans les rochers qui bordent la Loire, au nord, une crypte qui subsiste encore, qu'il dédia lui-même à la sainte Vierge, et que nous vénérons comme le berceau de notre illustre église métropolitaine; saint Martin l'agrandit, y érigea un autel dont on voit les derniers débris, et établit à côté les cellules qui donnèrent naissance à la célèbre abbaye de Marmoutier. Saint Gatien consacra une autre crypte où se réunirent les chrétiens persécutés elle

existe aussi derrière l'église de Sainte-Radegonde, et l'on voit toujours le passage secret, obstrué par des arbustes et des broussailles, qui conduisait à cette caverne. Le même évêque, suivant une tradition, aurait fondé huit églises paroissiales, dont Sepmes serait la septième, et Huismes la huiti me.

Saint Lidoire, 341-387, consacra la première église dans l'intérieur de la cité et bâ– tit la première basilique (1). Il eut pour successeur saint Martin, qui fonda des églises à Langeais, à Sonné, à Amboise, à Chisseaux, à Tournon et à Cande (2).

Saint Brice, troisième évêque, 397-444, fit construire une petite basilique sur le tombeau de saint Martin, son maître et son prédécesseur; il établit des églises à Cravant, à Bray ou Reignac, à Pont-de-Rouen, à Brizay et à Chinon (3). Il bâtit aussi à Tours la seconde église, sous le titre de saint Pierre et de saint Paul, la première étart insuffisante: elle fut connue plus tard sous le nom de Ballo seu Vallo). Saint-Pierre-du-Boile (Sanetus Petrus de

Saint Eustoche, 444-461, construisit à Tours l'église des saints Gervais et Protais, qui disparut en 1658, au moment où l'on agrandit le palais archiepiscopal; peut-être en trouverait-on les restes dans les murailles inférieures de la chapelle de l'archevêché. Il avait fondé des églises paroissiales à Brèches, Yseures, Loches et Dolus (4).

Saint Perpet ou Perpétue, 464-494, rebâtit à grands frais et sur un plan plus vaste la basilique élevée par saint Brice sur le tombeau de saint Martin. Saint Grégoire nous en a donné une description fort curieuse, quoique assez obscure : « Voyant, dit-il, les miracles qui s'opéraient continuellement au tombeau de saint Martin, Perpetuus jugea que la petite chapelle ou celle élevée sur les restes de ce grand saint, n'était pas digne de tels prodiges. Il la fit disparaître et bâtit à la place une grande basilique, qui subsiste encore aujourd'hui, à cinq cent cinquante pas de la ville.

« Elle a cent soixante pieds de long sur soixante de large; jusqu'au plafond elle a quarante-cinq pieds de haut. Il y a trentedeux fenêtres dans le chœur et vingt dans la nef, et quarante-huit colonnes. Dans tout l'édifice on compte cinquante-deux fenêtres,

(1) Hic ædificavit ecclesiam primam intra urbem Turonicam, cum jam multi essent christiani, primaque ab eo ex domo cujusdam senatoris, basilica facta est. (Greg. Tur., Hist. Franc., lib. x, cap. 31.)

(2) In vicis quoque, id est, Alingaviensi, Solonacensi, Ambaciensi, Cisomagensi, Tornommagensi, Condatensi, destructis delubris baptizatisque gentibus, ecclesias ædificavit. (Greg. Tur. ibid.)

(3) Hunc ferunt instituisse ecclesias per vicos, id est, Calatonnum, Briccam, Rotomagum, Briotreidem, Cainonem. (Ibid.)

(4) Hunc ferunt instituisse ecclesias per vicos Brixeis, Iciodorum, Luceas, Dolos. Ibid. Edificavit etiam ecclesiam intra muros civitatis, in qua reliquias SS. Gervasii et Protasii condidit, quæ à S. Martino de Italia sunt delatæ. (Ibid.)

cent vingt colonnes et huit portes, dont trois dans le chœur et cinq dans la nef (1). ».

Lorsque cette basilique, d'un travail admirable (2), fut achevée, on en fit la dédicace en 492, et on transporta dans l'abside (3) le corps du saint évêque.

Des débris de la basilique construite primitivement par saint Brice, saint Perpet éleva une église sous le vocable de saint Pierre, connue jusqu'à présent sous le nom de SaintPierre-le-Puellier. Il fonda en outre des églises à Montlouis, à Esves ou Saint-Mars, à Monnaie, à Barrou, à Ballan et à Vernou (4). Pendant la courte durée de son épiscopat, saint Volusien fonda l'église de Manthelan. L'évêque Injuriosus b'tit celles de SaintGermain, de Neuillé et de Luzillé; et saint Baud, celles de Verneuil et de Neuillé-leLierre (5).

Enfin, saint Euphrône, mort en 573, auquel succéda notre saint Grégoire, consacra l'église de Sainte-Maure et fonda celles de Saint-Vincent à Tours, de Cér, d'Orbigny et de Sorigny. Il n'était pas encore évêque lorsqu'il fit construire une église dans le faubourg de Saint-Symphorien, qui n'avait qu'une petite chapelle bâtie par saint Perpet (6).

Saint Grégoire se complait dans l'énumération des œuvres de ses prédécesseurs : il consigne avec attention dans son Histoire tous les faits que lui a appris la tradition ou qu'il a trouvés mentionnés dans les archives de son église. Voilà donc au moins quarante églises du diocèse de Tours dont nous connaissons positivement l'origine, bâties en moins de deux siècles, depuis le milieu du IVe siècle jusqu'à la fin du vi, temps auquel notre historien écrivait et siégeait sur le trône épiscopal de Tours.

Pouvons-nous espérer d'y retrouver quel ques fragments de la construction primitive? Avant de répondre à cette question et d'examiner ces églises sous le point de vue archéologique, nous devons étudier certains passages des écrits de saint Grégoire, relatifs au mode de bâtir usité de son temps.

Au témoignage de Sulpice Sévère, de saint (1) Qui cum virtutes assiduas ad sepulcrum ejus fieri cerneret, cellulam que super eum fabricata fuerat videns parvulam, indignam talibus miraculis judicavit. Qua submota, magnam ibi basilicam quæ usque hodie permanet fabricavit : que habetur à civitate passus quingentos quinquaginta.

Habet in longum pedes centum sexaginta, in latum sexaginta. Habet in altum usque ad cameram pedes quadraginta quinque, fenestras in altario triginta duas, in capso viginti; columnas quadraginta unam. In toto ædificio fenestras quadraginta duas, columnas centum et viginti; ostia octo, tria in altario, quinque in capso. (Hist. lib. 11, cap. 14.)

(2) Miro operc. (Lib. x, cap. 31.)

(3) In cujus apsida beatum corpus ipsius venerabilis sancti transtulit. (Ibid.)

(4) Basilicam quoque S. Laurentii monte Laudiaco ipse construxit: hujus tempore ædificatæ sunt ecclesiæ in vicis, id est, Evena, Mediconno, Barrao, Baletudine et Vernado. (Ibid., lib. x, cap. 31.)

(5) Lib. x, cap. 51.

(6) Hujus tempore basilica S. Vincentii ædificata est. Tauriaco, Cerate et Orbiniaco vicis ecclesiæ ædificatæ sunt. (Ibid.)

Fortunat de Poitiers, de saint Grégoire de Tours et de quelques autres, il parait que la plupart des églises, comme les autres édifices, étaient construites en bois. Ainsi seulement s'expliquent les récits des historiens qui racontent qu'une église ou une ville entière était dévorée entièrement par les flammes en quelques heures. « Vous avez relevé, dit saint Fortunat dans son style poétique, en s'adressant aux évêques, vous avez relevé les temples de Dieu ruinés par l'incendie; vous en avez balayé les cendres légères pour en rétablir le faîte dans sa gloire primitive: ainsi le phénix devenu vieux trouve la vie dans la mort et s'élance plein de jeunesse des cendres de son bûcher (1). » Ce système de construction en bois est ce que l'auteur de la Vie de saint Didier, évêque de Cahors en 630, appelle la coutume gauloise, notre coutume gauloise (2), par opposition à la méthode romaine, suivant laquelle les vieilles murailles de fortifications avaient été bâties, et qui semblait revivre au temps où le mêmo écrivain l'appelait nouvelle manière de bâtir, novum ædificandi genus. A peu près dans le même temps, au rapport du vénérable Bède, Benoît Biscop traversa l'Océan et alla dans les Gaules chercher des maçons pour batir une église en pierre, selon la coutume romaine, qu'il aimait toujours (3). Voilà donc les deux procédés usités communément dans notre pays depuis Constantin jusqu'à Charlemagne. Le plus grand nombre des églises paroissiales et des basiliques qui s'élevaient comme par enchantement avec une incroyable rapidité, réparées et reconstruites à la hâte et comme en courant, étaient évidemment construites en bois ; et quelques monuments religieux plus importants, fondés à grands frais, comme les églises épiscopales et les basiliques dont il est dit qu'elles furent construites avec un travail admirable (miro opere), telle que la basilique de Saint-Martin, étaient bâties en pierre. Dans les campagnes, où les ouvriers sont moins habiles, où les nouveaux procédés pénètrent difficilement et à la longue, on conservait la coutume gauloise; dans les villes, où les traditions des premiers conquérants s'étaient plus fidèlement gardées, on suiva't la coutume romaine.

Soit insuffisance des ressources, soit timidité de l'art, soit plutôt secret instinct qui attache les hommes aux coutumes de la patrie, les traditions gauloises, affaiblies par le temps, étaient encore en vigueur dans la Gaule celtique au commencement du x1° siècle. « Chez nous, dit Wandelinus, dans son Glossaire salique, jusqu'à l'an 1000, presque tous les monastères et les basiliques étaient en bois (4).»

(1) Fortunat. ap. D. Bouquet, tom. II, passim. (2) Non quidem nostro gallicano more, sed sicut antiquorum murorum ambitus magnisque, quadrisque saxis exstrui solet.

(3) Camentarios, qui lapideam sibi ecclesiam, juxta Romanorum, quem semper amabat, morcm facerent. (Ven. Beda, lib. 1, num. 5.)

(4) Lignea siquidem, ad annum Christi millesimum, apud nos omnia prope monasteria et basilicas exstitisse, tradit Wandelinus in Glossario sulico,

Les constructions mentionnées par saint Grégoire de Tours, et dont nous avons fait l'énumération, étaient-elles bâties à la manière gauloise ou à la manière romaine? On a prétendu que, pour l'intelligence du texte de notre historien, il fallait entendre le mot fabricare par bâtir en bois, et le mot ædificare par batir en pierre. C'est ainsi qu'il est dit de saint Eustoche : << Magnam ibi basilicam, quæ et usque hodie permanet, fabricavit. » Et ailleurs: « Multas et alias basilicas ædificavit, quæ usque hodie in Christi nomine constant (1). » Mais nous n'admettons point ce mode d'interprétation; il ne nous paraît pas suffisamment fondé. Il nous suffit de savoir que les édifices de ces âges reculés étaient plus souvent en bois qu'en pierre ce qui nous explique amplement pourquoi la plupart ont entièrement disparu sans même laisser de ruines.

Quelle était alors la forme des églises? Le plan en était varié, mais il était ordinairement en croix, avec une nef allongée et une abside semi-circulaire au chevet; quelques églises furent entièrement rondes, d'autres carrées. Les unes étaient surmontées de plafonds et les autres de voûtes; toutes étaient tournées vers l'orient. On ne saurait prendre une idée plus exacte des principales dispositions d'une grande basilique des Gaules qu'en lisant la description de l'église bâtie à Clermont par l'évêque saint Namatius :

« Celui-ci fit construire sous sa direction l'église qui existe actuellement et qui passe pour la plus ancienne dans les murs de la cité. Elle a en longueur cent cinquante pieds, en largeur soixante pieds, en hauteur, depuis le pavé jusqu'au plafond, cinquante pieds; elle présente, en avant, une abside ronde, et, de chaque côté, des ailes construites avec un travail élégant; tout l'édifice s'étend en forme de croix. On y voit quarantedeux fenêtres, soixante-dix colonnes, huit portes. La crainte de Dieu y règne, et une grande clarté brille dans toute l'enceinte. Les murs du sanctuaire sont ornés en mosaique d'une grande quantité de marbres différents (2). »

Cette église devait assurément être fort belle; celle de Saint-Martin de Tours était encore plus splendide, puisqu'on y comptait cinquante colonnes et dix fenêtres de plus qu'à Clermont; mais c'étaient, sans nul doute, les chefs-d'œuvre du temps, et l'on se

verbo Basilica. (Ap. Marlot., Metrop. Eccl. Rhem. Hist., tom. I, pag. 470.)

(1) Greg. Tur. Hist. lib. 11, cap. 14.

Hic ecclesiam quæ nunc constat, et veterrima intra muros civitatis habetur, suo studio fabricavit, habentem in longum pedes centum quinquaginta, in latum pedes sexaginta, in altum infra captsum usque cameram pedes quinquaginta: ante absidem rotundam habens, ab utroque latere cellas eleganti constructas opere, totumque ædificium in modum crucis habetur expositum. Habet fenestras XLII, columnas LXX, ostia octo. Terror namque ibidem Dei et claritas magna conspicitur.... parietes ad altarium opere sarsurio ex multo marmorum genere exornatos habet. (Greg Tur. liv. 11, cap. 16.)

tromperait étrangement si l'on prétendait retrouver cette pompeuse décoration dans les modestes basiliques de nos campagnes, dans ces édifices que saint Grégoire appelle plebanas ecclesias.

Nos plus anciennes églises ont été pâties sur le plan simple de la basilique primitive on le retrouve parfaitement conservé à Saint-Michel-sur-Loire. L'édifice consiste en une seule nef, terminée à l'orient par une abside en hémicycle. Quoique cette église offre les caractères de la plus haute antiquité et que la muraille du nord soit en petit appareil, nous n'osons pas cependant la faire remonter à une époque antérieure au XIe siècle, parce que les documents historiques nous manquent pour appuyer solidement notre opinion. Il n'en est pas de même pour Saint-Mars-la-Pile: la partie supérieure de l'église est de la fin du xi' siècle; nous en connaissons la date positive (1). Cette portion du monument est construite en pierres de moyen et de grand appareil, et diffère essentiellement de la nef bâtie en pierres de retit appareil, quadris lapidibus: il y a évidemment ici deux procédés différents, et, puisque la région absidale et le clocher appartiennent authentiquement au x1° siècle, on ne saurait nier que la nef soit du style romano-byzantin primordial. Une fois ce point admis, et nous le croyons incontestable, y a-t-il une si grande difficu té à admettre que cette antique basilique remonte au temps de saint Grégoire ? Peutêtre ces belles murailles, d'une solidité à l'épreuve du temps, d'une conservation parfaite à côté des murs du xr siècle, lézardés et écrasés par le poids des voûtes, sontelles de la basilique d'Evena, nom primitif de Saint-Mars, d'après M. Chalmel (2)?

Un monument dont la vétusté est plus frappante encore est celui dont on voit les débris dans le bourg de Vernou. Un grand pan de muraille, percé de fenêtres en plein cintre, se dresse au milieu des constructions, défiant les injures des saisons, bravant les efforts des hommes. Les instruments les mieux trempés s'émoussent sans pouvoir l'endommager. Les pierres régulières de petit appareil sont unies par un ciment épais, plus dur que les pierres elles-mêmes. Les cintres sont formés de briques accolées, séparées par des claveaux de distance en distance. On connaît cette ruine sous le nom de Palais de Pépin le Bref; peut-être faudraitil y voir les restes de la basilique de Vernidum, fondée par saint Perpet? Quelles que soient d'ailleurs les conjectures hasardées sur ce curieux débris, il n'en demeure pas moins certain pour les antiquaires éclairés, qu'il remonte à une époque difficile à déterminer sans le secours de l'histoire, et qui ne saurait être postérieure au x° siècle..

Des restes non moins authentiques que

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ceux de Vernou subsistent encore à Chisseaux, à Sonnay, à Saint-Germain-sur-Vienne et à Pont-de-Rouen; et il ne faudrait pas grand effort pour en reconnaître des vestiges à Sorigny, à Reignac et à Manthelan. A Cravant nous voyons une muraille ent ère qui remonte à cette époque reculée.

Cette longue énumération d'édifices, ou, pour parler plus exactement, de fragments d'édifices contemporains de saint Grégoire de Tours, excitera l'étonnement, un sentiment d'incrédulité peut-être chez plusieurs archéologues. Nous ne nous sommes pas dissimulé la difficulté de notre thèse. Mais nous avons acquis une conviction profonde que nous possédons réellement d'assez nombreux débris des constructions religieuses les plus anciennes des Gaules. Voici quel ques-uns des arguments sur lesquels elle s'appuie.

Quiconque a tant soit peu étudié la science archéologique, sait quelle importance nous attachons à l'analogie. Lorsque nous rencontrons un édifice dont les formes architecturales sont fortement caractérisées, mais dont la date est inconnue, en le comparant à un monument analogue, nous en déterminons l'âge aisément et sûrement. Contester ce principe, serait ébranler la science jusque dans sa base.

L'église de Cravant présente dans son état actuel des signes architectoniques propres à guider l'antiquaire de manière que l'erreur soit presque impossible. L'abside porte tous les caractères du style romano-byzantin secondaire, et ils y sont très-nettement accusés. L'œil peut donc facilement comparer la partie primitive avec la partie postérieure inent ajoutée: deux styles sont là en présence; toute confusion disparait. Or, entre la nef et l'abside de la basilique de Cravant il y a une distance infinie. Il faudrait faire violence aux principes les mieux arrêtés de la critique des monuments pour les attribuer à une seule et même époque artistique. Pour i'archéologue attentif, il y a certainement une différence aussi prononcée entre les deux parties, qu'entre les constructions ogivales du x siècle, graves et sévères, et celles du xvi siècle, surchargées de lignes et d'ornements.

La partie antique de l'église de Cravant est bâtie en pierres très-bien appareillées. La petit appareil domine dans l'édifice et se fait remarquer par une symétrie spéciale et par une liaison de ciment fort épaisse et fort solide. C'est une imitation, ou au moins un souvenir, des murs gallo-romains de Tours. Les fenêtres à l'extérieur sont accompagnées d'une archivolte très-simple, appuyée sur de petits modillons, régulièrement espacés, taillés en quart de rond. Entre chaque fenêtre, la grosse moulure qui sert d'archivolte se relève de manière à figurer une espèce de fronton triangulaire : les lignes en sont soutenues sur les mêmes modillons. Cette décoration, par sa régularité symétrique, produit un effet agréable. On voit une disposition semblable à l'église de Saint-Généroux,

au diocèse de Poitiers, qui a été depuis longtemps signalée par M. Mérimée, M. de Caumont et d'autres antiquaires.

L'église de Pont-de-Rouen (Rhotomagus) est moins belle que celle de Cravant, mais, comme cette dernière, elle offre de curieux vestiges de deux styles d'architecture on dirait vraiment que cette opposition de caractères architectoniques s'y trouve à souhait pour la facilité de la démonstration. La partie romane primitive est bâtie en petit appareil irrégulier et avec une certaine bar. àrie. Les fenêtres sont petites, étroites, en forme de meurtrières, fermées en haut par une espèce de linteau. Toute cette construction montre l'aspect de la vétusté, à côté du portail, qui date du xre siècle. A quelle époque peut-on rapporter un bâtiment qui est évidemment bien plus vieux que le xie siècle? Des antiquaires prévenus hésiteraient à répondre. Pour nous, nous pensons rester dans les limites les plus étroites de l'analogie et de l'induction, en attribuant à saint Brice d'antiques murailles incontestablement antérieures au xe siècle, bâties suivant un système conforme aux procédés des siècles les plus éloignés.

Quant à l'église paroissiale de Sonnay, fondée par saint Martin, mentionnée par saint Grégoire et par l'historien de la translation du corps de saint Léger, évêque d'Autun, il serait assurément difficile de prouver que le moindre fragment remonte au ve siècle, malgré l'apparence de la plus haute antiquité. Nous n'essayerons pas de le faire, nous contentant ici de publier une très-curieuse inscription récemment découverte par M.l'abbé Fleurat, curé de Sonnay. Après l'avoir lue, les antiquaires les plus sévères seront forcés de reconnaître dans le vieil édifice des restes de l'architecture du Ixe siècle. A ce sujet, notre raisonnement est toujours le même : l'archéologie nous montre une construction qui précède le style usité aux siècle; pourquoi ne pas s'en rapporter à des documents historiques parfaitement authentiques, qui ne sont pas en contradiction avec les principes de la science?

Voici cette inscription :

Hic requiescit Alderamnus
Sacerdos, vir veræ vitæ

Amator, fide plenus et charitatis
Amore, prodigus erga pauperes
Largitor, hanc quoque quam cernis
Adem ipse fundavit ab imo.

Obiit in pace viro cal, maii anno Dni
D CCC LXXIV (874).

Plusieurs autres églises, dont nous avons déjà cité les noms, portent encore quelque empreinte des arts chrétiens primitifs dans nos contrées. A Chisseaux, M. de Caumont signalait des restes de construction à petit appareil, dont l'état ne démentirait pas l'origine; à Saint-Germain-sur-Vienne, on aperçoit à la base de la tour et dans le mur septentrional de la nef, des débris antiques analogues à ceux de Cravant, avec quelques dessins grossièrement sculptés, dans le genre de ceux qui ont été publiés par le sa

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