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Orthodoxie Catholique.

DISCOURS PRONONCÉ PAR MGR DE SALINIS

OFFRANT LE SOMMAIRE DE TOUTES LES GRAVES QUESTIONS

DÉCIDÉES DANS LES DEUX CONCILES DE SOISSONS ET D'AMIENS.

Nous avons dans le compte-rendu de notre dernier cahier, cité les deux principaux décrets du Concile d'Amiens, sur les écrivains catholiques et sur les études philosophiques. Mais il s'en faut de beaucoup, que ce soient là les seules questions qui aient été traitées et décidées par ce concile. Nous ne voulons pas en publier ici les divers décrets que nous insérons dans le cahier de ce mois des Annales de philosophie. Mais nous devons cependant en faire connaitre les principales décisions, et pour cela nous ne saurions mieux faire que de publier le discours prononcé par Mgr de Salinis dans le Synode d'Amiens, dans lequel sa Grandeur a exposé, non seulement les divers décrets insérés dans les Conciles de Soissons et d'Amiens; mais encore en a indiqué l'esprit, la portée et les effets qui s'en sont déja suivis. L'Université catholique ne pouvait manquer d'insérer dans ses pages ce beau discours, d'abord parcequ'il appartient à Mgr de Salinis, qui a été son fondateur, et qui est encore son éminent protecteur; ensuite parce que ce discours est l'expression de toutes les pensées et de tous les travaux, que depuis 23 ans nous avons publiés dans l'Université catholique et dans les Annales de philosophie. On comprend que nous tenions à cette publication. C'est néanmoins à nos lecteurs à voir si nos travaux sont faits dans l'esprit de ce discours; tout ce que nous pouvons dire, c'est que les adversaires, peu nombreux, qui se sont élevés récemment contre nos travaux, se garderont bien de publier ce discours, non plus que les actes du Concile d'Amiens, quoique revêtus de l'approbation du souverain pontife. A. BONNETTY.

J'éprouve, Messieurs, en vous voyant réunis autour de moi, un sentiment bien profond et bien doux. L'Eglise a voulu avoir surtout pour le clergé, ses réunions de famille. Tels sont, à des degrés divers, les Conciles et les Synodes diocésains. Il y a quatre ans, je venais à peine de prendre possession de mon siège lorsque l'Eglise reprit elle-même possession de cette grande liberté des Conciles qui lui avait été ravie depuis trois siècles. J'ai remercié Dieu de m'avoir permis d'assister, sur le seuil même de la vie épiscopale, à une de ces saintes assemblées, qui fut pour moi un temps de noviciat que

rien n'aurait pu remplacer. J'ai été aussi bien heureux d'avoir pu, quelque temps après, me mettre en rapport intime avec l'élite de mon clergé, dans une de ces réunions canoniques, qui sont, pour chaque diocèse, comme une émanation des Conciles. Les consolations que j'ai reçues dans ce premier Synode sont devenues les espérances de celui qui s'ouvre aujourd'hui. Vous y apportez, Messieurs, les mêmes dispositions; vous y arrivez comme à une espèce de retraite ; nous nous y trouverons, pendant quelques jours, en face de notre conscience; mais, je puis vous parler ainsi, de notre conscience publique, puisque nous avons à délibérer sur les intérêts spirituels, sur le salut des 600,000 âmes que renferme ce grand diocèse. Nous ferons donc ensemble une revue de nos actes. Dans notre premier Synode, nous nous sommes demandé ce que nous avions à faire. Nous commencerons celui-ci par nous demander ce que nous avons fait. En parlant des œuvres qu'il m'a été donné d'accomplir ou de préparer, je ne ferai, Messieurs, que vous raconter vos propres œuvres. Sans l'appui que j'ai trouvé dans votre . esprit de foi, sans le concours unanime que votre zèle m'a prêté, ce qui était facile eût été pour moi hérissé de difficultés, ce qui était difficile eût été impossible. Si j'y ai eu, Messieurs, une part plus grande, elle m'a été donnée, non par mes vertus, mais par mes fonctions, et cette part renferme, je le sais, une responsabilité plus grande aussi pour tout ce que la justice de Dieu voit de si imparfait, de si défectueux dans les actes mêmes où j'ai été le plus soutenu par sa grâce.

1. Quelques aperçus sur les résultats obtenus par le Concile de Soissons. Pour faire cette revue rétrospective, remontons d'abord jusqu'à l'époque du concile de Soissons qui a été notre point de départ. Vous connaissez la pensée de ce concile: resserrer les liens de cette province ecclésiastique avec Rome, centre de l'unité et source de la vie de toute l'Eglise; développer cette vie dans nos diocèses, écarter les obstacles, corriger les abus, favoriser les progrès, tel est le double point de vue dans lequel il a fait une suite de décrets qui atteignent presque tout l'ensemble de l'organisation ecclésiastique. La route était tracée devant nous; voyons ce que nous avons fait nous-mêmes pour y marcher. Parmi ces décrets, il en est deux qui ont une importance particulière : le premier est celui qui prescrit le rétablissement de la liturgie romaine dans toutes les églises de la province; le second est relatif aux études ecclésiastiques.

XXXVI VOL.2. SÉRIE. TOM. XVI.-N° 91.-1835.

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2. Sur le rétablissement de la liturgie romaine et du plain chant.

Le premier de ces décrets correspond à un des besoins les plus intimes de l'Eglise. La vie surnaturelle de l'Eglise ne se soutient que par des moyens surnaturels, et, parmi ces moyens, la prière est la source ou la condition de tous les autres. De là l'importance que l'Eglise attache à sa propre prière, qui est la prière publique ; de là ce travail, suivi avec tant de persévérance par la Papauté, pour imprimer, autant qu'il est possible, à la liturgie ces caractéres d'unité, d'universalité, de stabilité, de sainteté qui sont les caractères essentiels de l'Eglise elle-même. Sortez de la grande règle tracée par les Papes et par les Conciles, ces caractères de la liturgie sont altérés à divers degrés. L'unité de la prière publique est attaquée en droit et en fait. En droit, puisque chaque évêque devient le maître de créer une liturgie particulière pour son diocèse; de fait, l'expérience ne l'a que trop prouvé. Le caractère d'universalité s'efface dans la même proportion : une montagne, un fleuve marquent les bornes de chaque liturgie. En passant d'un lieu dans un autre, la piété des fidèles est en quelque sortes dépaysée. Quelle stabilité peuvent se promettre les liturgies locales: un évêque n'a-t-il pas le pouvoir de défaire ce que son prédécesseur a fait? Et, quant à la sainteté de la liturgie, qui consiste dans sa parfaite conformité avec la foi et la piété, est-ce à chaque Eglise particulière qu'ont été faites les promesses de Jésus-Christ? Si quelque altération fondamentale se produisait à cet égard dans la liturgie d'une Eglise, le Vicaire de Jésus-Christ, à qui il a été dit: Confirme tes frères, userait sans aucun doute de son autorité pour y porter reméde, et, après bien des troubles peut-être, le mal pourrait être réparé. Mais n'est-ce pas déjà un bien grand mal qu'une église soit exposée à une pareille maladie et qu'un principe de mort puisse pénétrer dans son sein par ce qui forme le principal organe de sa vie divine? Lui suffit-il d'ailleurs de pouvoir espérer qu'elle ne sera pas mortellement malade? Ne doitelle pas se prémunir contre tout ce qui pourrait altèrer à quelque degré la perfection de la prière catholique? Ne doit-elle pas aspirer, sous ce rapport en particulier, à cette plénitude de vie dont elle n'a pas la source en elle? Je sais qu'il ne faut pas prétendre à la parfaite uniformité jusque dans les plus petits détails; mais entre l'unité nécessaire et les variétés indispensables, qui posera la limite? où la trouverons-nous, d'une manière sûre, si ce n'est dans les enseignoments du Saint-Siège, dans les règles qu'il a établies?

Telle a été la pensée du décret du Concile de Soissons. Voici ce que nous avons fait pour arriver à son exécution.

La question, telle quelle se posait, pouvait soulever des difficultés de diverse nature. Dans un diocèse où le clergé serait généralement imbu de préventions peu favorables à cette grande réforme, un évêque ne pourrait la réaliser qu'en employant graduellement des moyens auxquels, grâce à Dieu, je n'ai pas dû recourir. Je n'ai pas tardé à reconnaître que, parmi vous tous, les cœurs y étaient déjà disposés, du moins par leur bonne volonté, que beaucoup d'intelligences y étaient préparées par leurs lumières. La question a été bien vite mûre. Le chapitre est allé au-devant de mes désirs avec un empressement exemplaire. J'ai reçu successivement des divers doyennés une foule de renseignements sur les progrès que cette idée faisait dans les esprits. Je prévoyais le résultat le plus satisfaisant, mais il a dépassé mon attente, lorsque, dans notre premier synode, je vous ai vu én ettre à l'unanimité le vœu du rétablissement de la liturgie romaine.

Elle pouvait toutefois rencontrer parmi nous un obstacle particulier. Dans le diocèse d'Amiens, les fidèles ont le goût et l'habitude du plain-chant. Cette musique sacrée y est vraiment populaire. C'est un bonheur, sans doute, que nous devons apprécier, d'autant mieux qu'il n'est pas commun à tous les diocèses de France. Mais il pouvait être, dans la circonstance actuelle, un bonheur fâcheux. On craignait que l'introduction de la liturgie romaine n'excitât parmi le peuple, dans les premiers temps du moins, un assez vif méconfentement, en le troublant dans une de ses habitudes les plus chères, en substituant un chant nouveau pour lui au chant qu'il sait et qu'il aime. J'ai cherché la solution de cette difficulté, et je l'ai trouvée dans ce qui forme la véritable notion de la liturgie romaine, telle qu'elle est rendue obligatoire par les constitutions des Papes. Le Saint-Siège tient beaucoup au texte de la liturgie, mais il ne tient pas de même aux notes du chant. Et, en effet, il y a tant de variétés du chant romain, qu'il serait au moins fort difficile de dire quel est le véritable, tandis que nous savons parfaitement quel est le véritable texte de la liturgie. Partant de cette distinction, j'ai pensé qu'il convenait de conserver, pour les parties de l'office divin que peuple est accoutumé à chanter dans presque toutes les paroisses de ce diocèse, le chant amiennois, qui n'est au fond, sous plusieurs rapports, qu'une variante du chant romain le plus généralement adopté, et qui, sous d'autres rapports, lui est entièrement conforme.

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Je vous ai proposé cette idée dans notre premier Synode; vous lui avez donné votre assentiment, parce que vous y avez vu, comme moi, un moyen heureux de concilier le rétablissement de la liturgie romaine avec les habitudes musicales de nos populations. Pour réaliser cette idée, j'ai chargé un des ecclésiastiques de notre cathédrale, M. l'abbé Boulanger, qui a étudié la théorie du chant sacré avec autant d'intelligence qu'il sait mettre de goût et d'éclat dans son exécution; je l'ai chargé, dis-je, de rédiger, d'après le plan convenu en Synode, un long et pénible travail, qu'il a récemment achevé. Je me fais un devoir de lui en témoigner devant vous toute ma satisfaction.

L'introduction de la liturgie romaine présentait à l'imaginatien de quelques personnes un inconvénient bien différent de celui dont je viens de vous parler. C'était une difficulté beaucoup plus positive, une difficulté, non de musique, mais d'argent. On redoutait un grand surcroît de dépenses pour tout le diocèse. Il n'y avait dans cette crainte rien de réel que le fait de cette crainte elle-même. Avec un peu de réflexion et une connaissance exacte de l'état des choses, on serait arrivé à concevoir que la liturgie romaine venait, au contraire, bien à propos, pour épargner au diocèse d'énormes dépenses, qui, saus elle, étaient inévitables. Lorsqu'il devient nécessaire de réimprimer des livres liturgiques qui sont propres à un seul diocèse, et qui, par conséquent, ne peuvent avoir de débit hors de ses étroites limites, le libraire avec lequel on traite pour cet objet ferait une opération ruineuse si on ne lui permettait de vendre ces livres à un prix beaucoup plus élevé. Il peut, au contraire, l'abaisser s'il s'agit de la liturgie romaine, parce qu'il trouve un vaste débouché dens les soixante diocèses qui ont pris ou vont prendre cette liturgie. Il doit ajouter, il est vrai, le propre du diocèse au texte commun; mais il consent volontiers à supporter la faible augmentation de frais qui en résulte, dès qu'on lui assure pendant quelques années le monopole des livres liturgiques. Voilà ce qu'il était facile de prévoir, et voilà aussi ce qui a eu lieu, lorsque nous avons eu à nous occuper des conditions matérielles de la question.

Monseigneur entre ici dans une série de détails et de chiffres qui prouvent incontestablement que le rétablissement de la liturgie romaine procure au diocèse d'Amiens une économie de 140,000 francs.

Vous le voyez, Messieurs, les préventions que l'on avait conçues à ce sujet n'étaient pas seulement en dehors de la réalité, elles en

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