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il écartait une foule de dangers. Dans un autre sens, il renfermait des germes précieux, des trésors inépuisables pour l'avenir de la civilisation européenne.

>> Enfin l'heure était venue où l'Espagne allait subir à son tour l'impulsion générale, et se retremper dans l'unité liturgique pour continuer avec plus de force, avec plus d'éclat, ces nobles et immortels exploits en faveur de la catholicité.

» Nous voici à la fin du 11° siècle. Arrêtons-nous. Contemplons en silence et dans le recueillement le tableau qui va se dérouler à nos regards. Rome triomphe; elle règne par ses idées et par ses conseils. La prière qui retentit sous les voûtes de ses basiliques, est répétée à chaque heure du jour, selon le même esprit, avec les mêmes rites, dans toutes les églises de l'Occident, depuis les bords de l'Ebre jusqu'au fond des forêts de l'Allemagne. La famille chrétienne n'a plus qu'une voix, n'a plus qu'un mode pour confesser sa foi, pour administrer les sacrements, pour accomplir tous les devoirs du service divin. Temps heureux! Ère nouvelle et féconde où l'Eglise, libre dans ses mouvements et dans l'exercice de sa puissance, va faire tant de grandes choses par ses Pontifes, par ses docteurs, par ses saints et par ses innombrables établissements religieux! Oui, mille monuments, mieux connus, mieux appréciés aujourd'hui qu'autrefois, nous redisent encore et nous rediront à jamais, malgré toutes les calomnies du Rationalisme, ce que furent les beaux siècles du moyen âge, non-seulement dans l'ordre surnaturel, mais encore dans les sciences, dans les lettres, dans la politique, dans les arts, en un mot dans tout ce qui rehausse lé génie, dans tout ce qui met en relief les grandes qualités, les grands caractères, les grands hommes.

» L'unité en matière de liturgie, amenée dans tout l'Occident par les souverains Pontifes d'accord avec les guerriers et les législateurs, était un trop grand bien pour que l'Eglise pût le posséder longtemps en paix sur une terre où elle doit combattre sans cesse, et souffrir toujours. Les hérésies, les schismes, les abus de tout genre, qui éclatèrent dans le 14 et dans le 15 siècle, une foule de circonstances fâcheuses qu'il n'est pas de notre sujet de rappeler ici, avaient contribué à introduire dans la liturgie de graves altérations et de funestes changements. Pour arrêter le progrès du mal, pour couper, dans leurs racines, des coutumes, des tendances qui exposaient la foi à des périls imminents, et qui scandalisaient la piété des vrais enfants de l'Eglise,

il fallait une réforme, mais une réforme qui s'opérât d'après le principe qu'on avait rigoureusement suivi jusqu'alors. L'essai tenté à l'époque de Léon X péchait, d'une manière grave, par plus d'un côté il introduisait dans l'office une distinction inconnue et dangereuse; il mutilait la tradition et les anciens usages; il se faisait sous l'influence des idées païennes; il ouvrait la porte à toute sorte d'abus,

» Mais Dieu qui n'abandonne jamais son Eglise, Dieu, dans les impénétrables desseins de sa miséricorde, attendait un moment solennel, où l'erreur et tous les désordres qu'elle engendre devaient être combattus d'une manière efficace par une de ces assemblées imposantes qui, en défendant victorieusement la rɛligion dans les grandes crises, ont par cela même sauvé du naufrage les vérités sur lesquelles repose l'existence morale et politique du genre humain. Le concile de Trente, après avoir exposé les fondements de la foi et foudroyé l'hérésie, après avoir réglé tant de choses touchant les mœurs et la discipline, reconnut la nécessité d'une réforme liturgique. Or, n'ayant pas eu le loisir d'achever cette dernière tâche, il déclara dans sa 25 session que l'œuvre urgente et tant désirée serait renvoyée au Pontife romain, et accomplie par lui, avec toutes les ressources préparées pour ce grand objet. Ce que le concile demandait, ce n'était pas une liturgie nouvelle, c'était la liturgie romaine, épurée, ramenée à son sens véritable et à ses formes antiques,

» Lisez attentivement la bulle de saint Pie V, publiée en 1568. N'est-ce pas un monument admirable d'à-propos, de sagesse, de prudence et de zèle? N'y voit-on pas clairement cet esprit divin qui anime, qui dirige l'épouse de Jésus-Christ, et qui va toujours à son but avec douceur et avec force? La bulle Quod à Nobis indique brièvement ce qui a rendu la réforme nécessaire. Elle annonce que toutes les précautions sont prises pour que l'ancienne règle de la prière soit rétablie dans son premier état. En signalant les causes qui l'avaient altérée, déformée, elle les détruit radicalement en bannissant à jamais de la liturgie, tout changement, toute addition, toute correction en dehors des conditions voulues et posées par l'autorité compétente. Ensuite elle admet une exception, elle consacre un privilége : les Eglises qui ont un bréviaire depuis deux cents ans, et d'existence certaine, immuable, avec l'approbation ou sans l'approbation du Saint-Siége, pourront le conserver, Hâtons-nous de le dire, il

est évident pour tout homme de bonne foi, que le souverain Pontife, voulant fixer la liturgie et la gouverner à l'avenir, par une loi uniforme et constante, faisait l'exception en faveur d'un droit ou pour un droit qu'il regardait comme acquis, comme légitime, et nullement pour reconnaître ou créer un droit qui eût reproduit sans cesse tous les abus qu'on voulait anéantir.

» La bulle de saint Pie V répondait à un grand besoin. Elle était d'ailleurs revêtue de tous les caractères propres à inspirer le respect, la confiance, la soumission. C'est pourquoi elle fut accueillie avec une joie universelle. Elle eut son effet immédiat dans une multitude d'Églises. Les évêques, les conciles provinciaux, la reconnaissant comme obligatoire, en pressaient l'exécution avec un zèle infiniment louable. Bien qu'il y eût alors en France beaucoup de discordes civiles et religieuses, beaucoup de circonstances qui s'opposaient à son acceptation, elle y triompha peu à peu de toutes les difficultés. Il ne vint à personne l'idée de l'attaquer par des raisons qu'on a invoquées depuis dans l'intérêt de ce qu'on appelle l'Eglise gallicane. Après un certain temps, le rit romain réformé ou conforme aux dispositions de l'acte pontifical, était généralement suivi.

» L'œuvre qui avait commencé par la réforme du bréviaire et du missel, se termina par la révision et la correction du pontifical, du cérémonial et du rituel. Une congrégation, dite des Sacrés rites, fut créée pour maintenir dans sa pureté, dans son esprit, dans son intégrité, tout ce qui avait été fait (1588) 1. Ce grand travail, en imprimant un lustre particulier au 16° siècle, ajoutait un beau fleuron à la tiare, et prouvait une fois de plus ce qu'on peut attendre de la haute intelligence du Saint-Siége. L'Eglise se sentait forte pour le combat; elle avait semé des germes vigoureux, elle en recueillait chaque jour les fruits dans des institutions pleines de séve et d'avenir, dans une série d'hommes et de saints qui étonnaient le monde par la grandeur de leur zèle, par la puissance de leur charité, par l'héroïsme de leurs vertus.

>> On sait ce qui eut lieu dans le 18° siècle. Une réaction qui se préparait depuis longtemps vint tout à coup bouleverser en France les fornies liturgiques qui s'y étaient établies si heureusement. Cette réaction, de quelque côté qu'on l'examine, dans

Voyez bulle de Sixte-Quint, Immensa, etc.

ses causes, dans sa marche, dans ses effets, se traduit à nos yeux comme une violation du droit, comme une aberration étrange, comme une calamité. D'abord, elle venait, du moins en bonne partie, de la haine qu'on portait à Rome, de l'engouement qui s'était emparé des esprits pour les auteurs païens, puis des ruses d'une secte fameuse et trop connue. Elle foulait aux pieds les principes sacrés sur lesquels s'appuyait tout ce qui avait été réglé précédemment. Elle tendait à créer des droits dont il n'avait jamais été question. Elle changeait les idées, et l'ordre des idées, en ce qui regarde le sens mystique et le symbolisme du culte et des cérémonies. Elle faisait les plus funestes concessions à l'esprit incrédule du jour. Elle compromettait l'orthodoxie. Elle brisait l'unité. Elle affaiblissait le pouvoir au moment où l'Eglise, attaquée par tant d'ennemis redoutables, avait besoin d'une force extraordinaire, et réclamait, plus qu'à aucune autre époque, la plus grande union, le plus parfait accord entre tous ses membres.

» Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'en parlant ainsi, nous outrageons la mémoire des auteurs de la réforme en question. Nous respectons la bonne foi. Les intentions, les motifs qui se cachent dans la profondeur de la conscience, nous ne les jugeons pas; Dieu seul les connaît et les juge. Si cette réforme fut une tache pour quelques-unes de nos Églises, ces mêmes Églises n'ont-elles pas assez de gloire pour que cette tache reste inaperçue? Et d'ailleurs n'a-t-elle pas été lavée dans le sang? Non, mille fois non, nous n'accusons pas les personnes; nous accusons la politique, nous accusons l'esprit parlementaire, nous accusons l'influence avouée des Jansénistes, nous accusons le malheur des temps ! »

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Philosophie catholique.

ETUDES

SUR LES FONDEMENTS DE LA MORALE.

PREMIÈRE PARTIE.
Étude et critique des systèmes.

CHAPITRE VI 1.

DES CONVENTIONS ET DES LOIS HUMAINES (suite).

Nous avons vu dans le précédent chapitre que c'était une entreprise de tout point déraisonnable de vouloir faire de la loi humaine le fondement de la morale; nous avons vu qu'elle manque d'autorité, qu'elle ne peut expliquer le bien et le mal, et qu'elle ne peut même servir en tout cas de règle pour les discerner, quelle que soit d'ailleurs leur origine.

Et, en effet, n'est-ce pas vraiment chercher à diviniser l'homme que de prétendre qu'il est à la fois l'auteur de la société, sa loi et sa règle, que c'est lui qui a inventé la morale, comme la vapeur et la poudre à canon; en un mot qu'il a fait et établi le bien et le mal. Voilà pourtant ce que l'on a voulu persuader au monde dans ces derniers temps. On serait tenté de croire que ceux qui enseignaient de pareilles doctrines ne croyaient ni en Dieu, ni à la morale, si l'on ne savait que ces intrépides légistes prétendaient cependant que les lois sont obligatoires au for de la conscience, et qu'ils s'élevaient avec indignation contre ceux qui, plus conséquents qu'eux, ne les regardaient que comme des lois pénales. Était-ce conviction, était-ce crainte de voir les lois énervées?

Il nous faut raisonner ici des conventions comme des lois humaines. La théorie qui en ferait la base de la morale courrait, comme la précédente, le risque d'être accusée de nier la morale et le devoir. Elle détruit, comme elle, le droit naturel;

' Voir au numéro précédent, ci-dessus, p. 385.

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