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corps de nation italienne. Les diètes ou assemblées nationales ne se tenaient plus régulièrement; si elles se réunissaient pour quelque circonstance extraordinaire et exceptionnelle, elles présentaient encore plutôt l'image d'une fédération aristocratique que d'un conseil subordonné au souverain. D'ailleurs ces diètes une fois dissoutes il n'y avait plus de manifestation possible d'une vie nationale proprement dite. Aucune entreprise en commun ne pouvait se former, aucun impôt n'aurait pu être établi au profit d'un état sans lien et sans chef, aucune levée en masse n'aurait été ni ordonnée, ni exécutée. Les grands vassaux n'avaient plus de juges; leurs déprédations et leurs crimes étaient assurés de l'impunité la plus complète.

Aussi quand l'empereur venait enfin se montrer en Italie après l'une de ces espèces d'interrègnes, il y trouvait comme un effrayant arrérage de dommages à réparer et de crimes à punir.

Ce qui augmentait encore pour les empereurs d'Allemagne, la difficulté du gouvernement de l'Italie, c'est que pour y faire respecter leur autorité, ils étaient obligés de s'y transporter avec des forces imposantes. Or, le service militaire avait déjà, à cette époque, pris la forme du service féodal; il n'était dû au suzerain que pendant un temps et avec des conditions déterminées. Les vassaux particuliers1 surtout se plaignaient de ce que leurs suzerains voulaient exiger d'eux plus qu'ils ne devaient faire d'après les conventions réciproques de leur association.

Or, il était impossible qu'avec de faibles escortes ou avec des armées temporaires, qui se seraient dissoutes au bout de quelques semaines de service effectif, les empereurs d'Allemagne pussent établir une domination fixe et un ordre stable au sein de l'Italie.

C'est ce que sentit un prince, dont l'habileté n'a pas été généralement assez appréciée; nous voulons parler de Konrad II, connu sous le nom de Konrad-le-Salique.

Il n'hésita pas à proclamer sur l'Heerbam, ou levées militaires, une loi qui modifiait les coutumes féodales, et qui était spéciale pour les expéditions en Italie. Voici les principales dispositions de la constitution qu'il promulgua à cet égard.

Lorsque l'empereur voulait franchir les Alpes avec une armée, soit pour se faire couronner à Rome, soit pour remettre l'ordre et faire reconnaître son autorité dans la Péninsule, il devait adresser

↑ On appelait ainsi en Allemagne les Walvasores et arrière-vassaux par op. position aux vassaux immédiats qui tenaient leurs bénéfices ou fiefs de l'empereur lui-même.

l'ordre du départ à tous les vassaux de la couronne un an et six semaines d'avance. Le contingent des hommes d'armes à fournir était dans les fiefs indépendants, un peu moins considérable proportionnellement que dans les domaines de la couronne1.

Les princes et grands vassaux qui ne se rendaient pas à cette convocation appelée heerbam, perdaient leurs fiefs, aussi bien que les arrière-vassaux qui ne suivaient pas leurs suzerains. S'ils n'escortaient pas l'empereur à son départ de l'Allemagne, ils devaient se trouver à un jour fixé dans les plaines de Roncaglia, où l'empereur les passait en revue. Les vassaux de la couronne eurent le droit d'imposer à leurs cavaliers le service militaire, même quand ceux-ci ne tenaient aucun immeuble de l'état en fief; mais alors ils devaient leur payer la solde prescrite par la coutume du lieu ou par la loi de l'état, à moins qu'ils n'aimassent mieux détacher des terres de leurs propres domaines et les donner en fiefs à ces chevaliers. Alors les revenus des fiefs représentaient la solde militaire.

La règle commune, pour toutes les expéditions en général, était que les arrière-vassaux ou walvassors devaient faire le service féodal durant six semaines. Donc, les arrière-vassaux tenant fiefs, n'avaient point de paye à demander à leurs suzerains pendant ce temps. Quand les expéditions, comme celles d'Italie, duraient plus de six semaines, ils devaient continuer leur service; mais les suzerains étaient obligés, à dater de ce moment, de pourvoir à leur entretien, et dès-lors il n'y avait plus de distinction entre les chevaliers tenanciers et non tenanciers.

Les princes ou grands vassaux trouvaient dans ce réglement nouveau l'avantage de disposer ainsi de tous leurs chevaliers, pour un temps beaucoup plus long : l'empereur y gagnait une armée véritable avec laquelle il pouvait achever de grandes entreprises militaires, et changer en pouvoir réel sa domination nominale sur l'I

talie.

Enfin les chevaliers ou arrière-vassaux n'étaient pas obligés de

↑ Constitutio de expeditione romana, Senkemberg, corpus juris feudalis Germanici, édit. Eisenhardt, p. 170, et Eichorn, Deutsche staals, und rechts geschichte tome 11, 5 262. On a faussement attribué cette constitution à Charles-le-Gros: elle est certainement d'un empereur de race germanique, et les meilleurs auteurs l'attribuent à Konrad II.

a S'ils ne se présentaient pas au jour fixé, ils étaient condamnés à l'amende ou même pouvaient perdre leurs fiefs.

faire des dépenses au-dessus de leurs forces pendant les expéditions les plus lointaines.

D'ailleurs, s'ils pouvaient avoir quelque chose à souffrir de ces longs services qui leur étaient imposés, et qui les entraînaient si loin de leur famille et de leurs affaires, ils en furent amplement dédommagés par le soin que prit Konrad de leurs intérêts, en leur assurant l'hérédité de leurs bénéfices, qui n'était point encore reconnue par les princes et grands vassaux de l'empire.

Peu après qu'il eut été élu souverain de la Germanie, Konrad se rendit à Aix-la-Chapelle, et là, dit son chapelain qui a été son biographe, il tint dans le palais impérial un plaid public et une diéte. Assis sur le trône de Charlemagne, il régla admirablement toutes les affaires de l'État : il fit avec un rare discernement la part des droits divins et humains.... Il gagna tous les cœurs par son équité envers tous, par son affabilité envers les clercs, quoiqu'il fût peu lettré lui-même, enfin il se concilia les chevaliers en les assurant qu'il ne souffrirait pas qu'on leur enlevât les bénéfices qu'ils tenaient de leurs parents *.

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Il paraît, en effet, que les chevaliers ou arrière-vassaux de l'Allemagne, vouèrent à ce propos à Konrad II une reconnaissance et un attachement durables; car quelque temps après ceux de Souabe résistèrent aux instigations de leur duc Ernest, qui voulait les entraîner dans sa révolte contre l'empereur; et ils lui firent cette réponse singulière : « Si nous étions les esclaves du roi et qu'il nous › eut assujettis à vos lois, nous vous suivrions dans toutes vos entreprises; mais nous sommes libres, et l'empereur n'est rien de plus que le défenseur suprême de notre liberté. Nous la perdrons dès › que nous nous détacherons de lui. Ainsi, dès que vous exigerez quelque chose d'injuste, nous userons de notre liberté pour re› tourner à l'empereur, qui ne nous a soumis à vous qu'à de cer⚫taines conditions 3. >>

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On voit par là que le droit féodal allemand de cette époque ne

1 Vers la fin de 1024 et le commencement de 1025, l'élection s'était faite en septembre 1024, à Kaimba sur le Rhin.

2 Wippo, vita Kunradi, 11, cap. IV, De itinere regis per regna, dans rerum Germanicarum veterum scriptores, tome 1, in-folio, Francfort 1607. a Mili» tum vero animos in hoc multum attraxit, quod antiqua beneficia parentum >> nemini posterorum aufferri sustinuit. »

3 Wippo, ibid. cap. : Ubi dux Ernestus se denuo reddidit, même recueil $45.

ressemblait pas au droit féodal français, par rapport aux relations du vassal particulier avec son suzerain. Nos monarques français, et entre autres saint Louis, ont reconnu dans des circonstances mémorables que les vavassours qui avaient suivi leur baron dans une rẻbellion contre l'autorité royale, n'étaient passibles d'aucune peine, parce qu'ils n'avaient fait qu'accomplir un devoir féodal et remplir leurs obligations d'hommes-liges auprès de leur suzerain immédiat.

Quoi qu'il en soit, Konrad II voulut étendre ce réglement important à l'Italie; seulement dans ce pays où les traditions du droit romain se mêlaient aux traditions du droit barbare, la solennité d'une promulgation orale, même au milieu de l'assemblée nationale la plus nombreuse, n'aurait pas suffi, comme en Germanie, pour donner à un réglement quelconque l'autorité d'une loi. Il fit donc à cet égard une constitution écrite, qui nous a été conservée, et qui devint comme la base de la féodalité italienne et allemande.

Du reste, il faut bien remarquer qu'à cette époque, aucune souveraineté n'aurait pu créer une loi, c'est-à-dire imposer à priori à ses peuples un décret qui n'aurait été que l'expression de sa volonté arbitraire, et qui se fût trouvée en opposition avec la volonté nationale.

La loi ne pouvait être alors que la consécration de la tradition antérieure, ou une espèce d'obligation entre des coutumes et des pratiques en contradiction les unes avec les autres. C'est sous cette dernière forme que s'était présentée à Konrad II, la question de l'hérédité des bénéfices des arrière-vassaux, lorsqu'il était venu en Italie à la fin de l'année 1037.

Detoutes parts, des Valvassors, arbitrairement dépouillés de leurs fiefs par les ducs, les archevêques et autres grands seigneurs italiens, s'étaient pressés sur le passage de l'empereur pour lui demander justice; si elle leur était refusée, ils menaçaient de la réclamer les armes à la main. Konrad les engagea à se rendre à un plaid général ou diète qu'il allait tenir à Pavie1. Là, il prit des mesures particulières contre des grands qui avaient abusé de leur puissance. Mais quelques-uns de ces actes de rigueur ne furent pas compris, et c'est ainsi, par exemple, que l'arrestation de l'archevêque Heribert excita un formitable soulèvement à Milan. Konrad désespérant de prendre cette ville trop bien défendue et trop bien fortifiée, construisit contre

Unde commotus imperator præcipit ut omnes per urbem Papiensem ad ge. nerale colloquiu n venirent. (Wippone, fragment du chapitre intitulé: quod ex Heinricus filiam Cuittonis regis in cɔnjugium duxerit.

la haute aristocratie ecclésiastique et laïque de l'Italie, une machine de guerre plus puissante que celles dont il s'était servi contre les murailles des donjons ducaux et des cités épiscopales: ce fut sa fameuse constitution impériale de 1038, qui fut en quelque sorte la charte d'émancipation des feudataires du second ordre. Il la lança contre les grands vassaux comme une flèche mortelle, en retournant en Allemagne et en laissant la sédition livrée à elle-même

Voici quelles étaient les principales dispositions de ce décret impérial si justement célèbre.

D'abord Konrad s'exprime ainsi : «Prenant sous notre haut patronage, les chevaliers ou valvassors des ducs, des archevêques et évêques des abbés et des comtes, et de ceux qui tiennent leurs bénéfices de l'empereur ou des églises, ou qui, après les avoir tenus, les ont perdus injustement, nous déclarons que tous ces vassaux supérieurs aussi bien que les arrière-vassaux et chevaliers ne doivent pas perdre leurs bénéfices s'ils n'ont pas commis un délit ou crime féodal, et s'ils n'en sont pas convaincus, comme le veut l'ancienne coutume de nos ancêtres, et le jugement des pairs du délinquant.

» Que, si à la suite d'un procès entre le seigneur et son chevalier, les pairs ont jugé que ce dernier devait être privé de son bénéfice, et qu'il ait réclamé contre cette sentence comme injuste et dictée par la haine, qu'il fasse appel à notre cour et qu'il garde provisoirement son bénéfice, jusqu'à qu'il ait pu avec son seigneur et ses pairs débattre ses droits devant cette cour. ›

Voila l'appel tel à peu près que nous l'entendons aujourd'hui; ce n'est plus l'appel tel qu'on le comprenait dans le droit féodal français.

«Que si, ajoute l'empereur, les pairs et le seigneur appelés font défaut à notre haute-cour, que le chevalier appelant garde son bénéfice jusqu'à ce qu'ils y comparaissent. Qu'un délai de six semaines leur soit accordé pour faire cette comparution, à dater de la notification qui leur en aura été faite; que ces choses soient observées pour les valvasseurs supérieurs ; que pour les inférieurs, ils puissent être jugés par notre comte ou missus ', qui aura le pouvoir de terminer la cause.

>> Nous ordonnons encore que lorsque quelqu'un de ces chevaliers ou valvasseurs aura quitté le siècle, son fief soit transmis à son fils: que si son fils était mort avant lui, mais qu'il fût issu de lui, un en

↑ II y

Italie.

avait donc encore des missi ou messagers de la chambre au moins en

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