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dans ces secrets de Dieu, qu'il nous est à peine permis de pressentir et d'entrevoir.

Maintenant nous allons assister à la reconstruction du grand édifice social; nous allons voir se relever lentement les autels du Dieu vivant, que les disciples de Voltaire et de J.-J. Rousseau ont. renversés avec tant de fureur et d'impiété; mais, négligeant le récit des innombrables victoires du nouveau Cyrus qui à force de gloire va effacer les crimes de la France, nous nous contenterons de raconter comment il parvint, après une si longue tempête, à rendre la paix à l'Église catholique.

L'abbé Alphonse CORDIER.

Sciences législatives.

HISTOIRE DU DROIT CRIMINEL
DES PEUPLES MODERNES,

CONSIDÉRÉ DANS SES RAPPORTS AVEC LES PROGRÈS DE LA CIVILISATION DEPUIS
La chute de l'empire romaiN JUSQU'AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

CHAPITRE XXII 1.

Lois criminelles de l'Italie méridionale.

Des constitutions du royaume des DeuxSiciles, ou de la législation donnée à ce royaume par l'empereur Frédéric II.

Frédéric I avait été surtout le législateur de l'Italie du nord. Frédéric II le fut de l'Italie méridionale.

Cet empereur, qui avait été le pupille et l'élève de la Papauté, et qui en devint par la suite le constant adversaire, avait passé son enfance dans le royaume de Sicile. Son éducation avait été plus italienne qu'allemande. Il aimait le climat, les mœurs et la civilisation du Midi. Son esprit cultivé ne pouvait supporter l'ignorance brutale et grossière des nobles Germains: il se trouvait au contraire naturellement en rapport avec celui des jurisconsultes et des lettrés de l'Italie, où commençait à luire la première aube de la Renaissance.

Après qu'il eut été élu empereur d'Allemagne, il se sentit entravé dans l'exercice de son pouvoir politique, par les priviléges

Voir le chap. xxi au no précédent, ci-dessus, p. 113.

de tous les princes ecclésiastiques et laïques de qui il tenait la couronne. Ce fut un motif de plus pour lui, de désirer retourner dans son royaume héréditaire de Sicile, où son autorité n'était pas resserrée dans les mêmes limites.

Il s'empressa donc d'aller en prendre possession, aussitôt qu'il eut réglé les affaires de l'empire. En passant, il se fit couronner à Rome par le pape Honorius III. Là, en sa qualité d'évêque du dehors et de chef temporel du monde chrétien, il promulgua une constitution par laquelle il confirma les immunités reconnues ou accordées au clergé par ses prédécesseurs; il y couvrit aussi les pèlerins d'une protection particulière, et renouvela les anciennes prescriptions impériales sur le maintien de la paix, surtout à l'égard des laboureurs; enfin il ordonna la répression de toutes les hérésies, au moyen de peines rigoureuses et infamantes, telles que le bannissement perpétuel et la confiscation des biens 1.

Il voulait, par toutes ces concessions au Saint-Siége, se faire pardonner de réunir sur sa tête la couronne de Sicile au diadème impérial. Une telle réunion n'était pas seulement contraire aux intérêts et aux désirs de la Papauté, elle était aussi en opposition avec le droit public de l'empire d'Occident. En effet, d'après ce droit, la possession directe, par le prince devenu empereur, d'un grand fief, comté, duché ou royaume, n'était pas regardée comme compatible avec sa qualité de chef d'une fédération de grands vassaux. Comme on ne pouvait pas être à soi-même son homme lige, le duc de Bavière, de Saxe ou d'Autriche, du moment qu'il était promu à la dignité impériale, devait résigner son duché en d'autres mains.

En vertu de ce principe, dont les grands feudataires allemands désiraient aussi l'application, Innocent III, avant même le couronnement de Frédéric II comme roi de Germanie, avait obtenu de lui l'assurance formelle de renoncer au titre de roi de Sicile et au gouvernement de ce royaume. Cette promesse, que Frédéric avait déjà faite de vive voix à Rome, au souverain Pontife, il l'avait solennellement renouvelée dans une diète, tenue à Strasbourg, le 1er juin 12152. Mais toute la vie de ce prince fut em

' Constitut. in Basilic. Beati Petri, ap. Pertz leg., t. 1, p. 213.

* Cette promesse fut consignée dans un acte écrit et qui fut envoyé à Innocent III: on y lit ces mots : « Ità quod ex tunc nec habebimus nec nominabimus nos regem Siciliæ. » (Lunig. Cod. Ital. Diplom., t. 11, p. 860.) Jamais promesse plus sacrée et plus authentique ne fut plus audacieusement violée.

ployée à en éluder l'exécution et à se jouer du serment sur la foi duquel la Papauté avait patroné son élévation à l'empire.

Il feignit de ne pas se croire lié envers Honorius III, par les engagements pris envers Innocent. Sans s'inquiéter des réclamaions de ce pape et de son successeur, Grégoire IX, il garda à la fois l'empire d'Allemagne et la Sicile, dont il s'efforça de faire un royaume à part, qui serait son bien propre, et où il exercerait la plénitude du pouvoir.

L'essai d'un gouvernement absolu, qui aurait échoué à cette époque dans le reste de l'Europe, pouvait être tenté avec succès dans le royaume des Deux-Siciles. La féodalité, qui y avait été importée par les Normands, n'avait pas eu le temps d'y pousser des racines profondes et de s'y créer des positions inexpugnables. Ainsi, par exemple, le droit de haute justice, devenu, dans la plus grande partie de l'Europe, un accessoire de la souveraineté territoriale et baronniale, était encore généralement considéré en Sicile, comme un droit appartenant à la couronne; et si quelques grands vassaux s'en étaient emparés en l'absence du roi, cet empiétement n'était point consacré par le temps, ni accepté par l'esprit public.

Frédéric II commença par revendiquer ce droit régalien partout où il avait été usurpé; il se le fit même restituer par les seigneurs auxquels ses prédécesseurs l'avaient concédé. L'abbé du Mont-Cassin, qui le possédait dans ses domaines, en vertu d'une charte de l'empereur Henri VI, fut contraint d'y renoncer. Enfin un décret, conçu dans les termes les plus généraux et les plus exclusifs, statua que la justice criminelle ne serait plus exercée que par le roi ou par ses employés, dans toute l'étendue du royaume des Deux-Siciles; défense absolue fut faite aux prélats, comtes ou barons, de l'exercer, a l'avenir, dans leurs diocèses ou dans leurs domaines. Cette règle n'admit aucune exception 1.

C'était en quelque sorte étouffer la féodalité dans son germe: car on considérait la haute justice comme l'une de ses attributions caractéristiques; c'était un de ses plus grands moyens de puissance et même de richesse.

En coupant court à cette usurpation de l'un des droits régaliens les plus essentiels et les plus précieux, Frédéric II aplanissait tous

Quod nullus prælatus, comes, baro, etc. officium justitiarii gerat (Constitut. regn. sic., lib. 1, tit. XLVI. Canciani, t. 1o, p. 319).

les obstacles qui auraient pu s'opposer à l'établissement d'un ordre judiciaire régulier et bien organisé.

Du reste, tout n'était pas à créer en Sicile. Les conquérants normands y avaient apporté leurs coutumes, que Robert Guiscard avait fait rédiger sous le nom de Defetarii1.

Le grand roi Roger avait fait un pas de plus : il s'était efforcé de jeter les fondements d'une nouvelle constitution, en promulguant diverses lois d'ordre public; les deux rois Guillaume, qui vinrent après lui, cherchèrent encore à améliorer la constitution du royaume.

Frédéric II, cet esprit fort du moyen âge, ce Joseph II anticipé, ne poussait pas cependant le mépris de la tradition jusqu'à s'imaginer pouvoir faire table rase de ce qui avait existé avant lui, jusqu'à essayer, comme nos révolutionnaires modernes, de créer un édifice social à priori, sans tenir aucun compte du passé.

Aussi la législation de Roger et des deux Guillaume servit de fondement à son code nouveau. Ce code, dont son chancelier, Pierre Desvignes, fut le principal collecteur et rédacteur, est divisé en trois livres, qui se composent de 252 titres et de 290 décrets anciens et modernes, dont 42 appartiennent à Roger Ier, 23 aux deux Guillaume, et 225 à Frédéric II. Ces lois nouvelles, sous le nom de constitutions impériales ou augustales, furent promulguées et déclarées exécutoires dans un parlement national tenu à Melphi, au mois d'août 1231. On les fit publier au delà du Phare, par les maîtres justiciers de la Sicile 2.

La première préoccupation de Frédéric II paraît avoir été l'achèvement de l'organisation judiciaire dans son royaume : car il comprenait que les meilleures lois possibles seraient stériles, si elles n'étaient pas bien exécutées et bien appliquées.

Sur ce point, comme sur tous les autres, il ne se pose pas en novateur; « il ne veut, dit-il, que détruire avec la lime de la » prudence, la rouille qui s'est attachée aux vieux statuts, pen»dant des époques de désordre et d'anarchie”. » Dans ce but, il met d'abord tous ses soins à bien ordonner la justice de la cour supérieure, « de laquelle doit découler toute justice dans son

3

Ugo Falcandus, apud Muratori, rer. italicar. Scriptores, t. vi, p. 291.

Scriptor. rer. italicar., Muratori, t. v, p. 604.

Per

quæ possemus veterum statutorum caliginem provisionis nostræ lima detergere, etc. (Canciani, Leges barbarorum, lib. 1, tit. xxxvu, p. 315.)

» royaume, semblable à la source d'eaux vives que l'on distribue » ensuite par de petits canaux dans les campagnes 1. » Il décrète donc que le grand justicier résidera désormais dans sa cour, c'est-à-dire à Capoue, et il lui adjoint quatre assesseurs.

En réglant les attributions du haut justicier, il paraît ne faire que régulariser une institution déjà existante.

Le haut justicier jugeait en premier et dernier ressort les crimes de lèse-majesté et les causes féodales les plus importantes, et en appel tous les grands procès criminels et civils 2.

Les pauvres et les misérables, qui avaient à craindre dans leurs justices locales l'influence d'un adversaire puissant, pouvaient faire porter directement leurs plaintes ou leurs réclamations à la cour du haut justicier. 3.

Le haut justicier, considéré comme le premier personnage de l'Etat après le connétable, siégeait à la gauche du roi; il était habillé de rouge, et faisait porter devant lui, en signe de son emploi, la bannière rouge, bannum sanguinis. Un vestige de cet ancien symbolisme s'était perpétué à Naples jusqu'à la fin du 18° siècle; on plaçait l'étendard rouge en dehors d'une fenêtre du palais de justice, quand une sentence de mort était rendue contre un criminel 4.

Dans la hiérarchie judiciaire de Sicile, immédiatement après le haut justicier, venaient les justiciers provinciaux, ou magistri justitiarii; cette institution avait été créée par les rois normands qui avaient divisé le royaume en justiciérats, ou ressorts de justice. Les maîtres justiciers, qui présidaient les cours provinciales, s'appelèrent plus tard présidents de province, præsides provinciæ, comme dans l'ancien droit romain de Justinien.

Frédéric II et son habile chancelier comprennent déjà l'importance de la division des pouvoirs. Ainsi, parmi les améliorations qu'ils apportent à l'organisation judiciaire du royaume, on remarque l'établissement des maîtres camériers, ou camériers de la chambre, placés à côté et immédiatement au-dessous des justiciers provinciaux leur mission spéciale est le jugement

Id., ibid. - Id., ibid.

Id., ibid. Et miserabilium personarum, quarum privilegium est forum eligere, corporali præstito sacramento, quorum adversariorum suorum fortè potentiam perhorrescant, causas audiat magister justitiarius, etc.

'Giannone, Storia civile di Neapoli, lib. x1, cap. vi, 8 4.

Cette qualification est déjà employée une ou deux fois par Frédéric II pour désigner le justicier provincial (Constitutiones regni siculi, lib, u, tit. Lu, artic. 2.)

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