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mière vertu chrétienne, celle pour la sauvegarde de laquelle la justice a été établie. Le parti socialiste repoussait l'aumône comme un outrage et une dégradation; il fallait lui prouver que la charité ne prescrit que l'aumône, et non le communisme, qui ne serait tout au plus que le fruit d'un conseil, lequel ne saurait s'appliquer à une société entière, sans méconnaître la faiblesse de l'homme et la fougue de ses passions.

Cet exemple suffira pour faire comprendre les conséquences de l'omission que nous signalons. S'il n'y a point de conseil, si tout ce qui est bien est par cela même obligatoire, on restreint forcément le bien dans la limite du devoir, ou l'on rend obligatoire ce qui ne l'est pas. Ainsi prouver l'existence du devoir par la distinction du bien et du mal, ou faire de ces deux notions deux notions qui s'impliquent réciproquement, c'est anéantir le conseil, ou, si on l'admet, se condamner à une contradiction flagrante.

Admettons donc, à côté du devoir, le Conseil, et reconnaissons que, s'il y a des choses bonnes qui sont obligatoires, il y en a aussi qui ne le sont pas.

Mais quelles sont les idées précises que renferment ces notions qui servent de base à la morale, et dans quel ordre doit-on les classer?

Nous n'essaierons pas ici de définir l'obligation morale: tout le monde comprend aisément ce que l'on veut désigner par ces mots. Idée simple, par quels éléments se définirait-elle? Quand on dirait avec quelques auteurs que c'est un lien qui nous astreint à quelques actions, ou qui nous astreint à les omettre, comprendrait-on mieux ce que c'est que l'obligation morale? Le devoir, en général, est la même chose il désigne l'obligation où nous sommes d'obéir à une loi qui nous commande et nous régit. On le prend quelquefois pour désigner une action en particulier que nous sommes obligés de faire ou d'omettre; mais ici il est synonyme du mot obligation, L'obligation suppose un commandement, un précepte supérieur, lequel à son tour suppose le droit, le droit de commander qui enfante dans les sujets le devoir, l'obligation d'obéir. Nous ne définirons pas non plus le droit, qui est une de ces idées parfaitement connues, et dont personne n'a besoin d'attendre la définition pour la comprendre. Que l'on nous dise que c'est la puissance légitime de faire ou d'obtenir quelque chose, ou toute autre définition que l'on voudra, l'on sera toujours obligé de supposer cette notion parfaitement connue,

sous peine de ne pas se faire comprendre, ou de ne pas définir exactement.

Il n'y a point de difficulté pour ces notions; mais au delà naissent, comme nous l'avons dit, de nombreuses dissidences. Qu'est-ce que le bien? Nous en avons une foule de définitions, lesquelles supposent toutes un système particulier sur les questions fondamentales de la morale. Les uns le définissent ce qui est commandé par la loi du devoir 1; les autres, ce qui est conforme à l'ordre universel 2; d'autres, ce qui est conforme à la droite raison, à la vérité 3; d'autres, enfin, ce qui est conforme à l'essence des choses, à l'impératif catégorique 5, à la nature et aux propriétés soit essentielles, soit accidentelles des étres ", etc. Plus tard nous apprécierons ces notions; pour le moment, nous nous contenterons de définir le bien plutôt en disant ce qu'il n'est pas qu'en disant ce qu'il est. Pour ne point partir d'une notion que l'on pourrait nous contester, nous en appellerons simplement au témoignage de la conscience, qui sait bien le distinguer sans se préoccuper de sa nature intrinsèque et intime 7.

Or, pour la conscience, qu'est-ce que le bien moral? Le bien moral est ce qui emporte avec soi l'idée de mérite, qui est digne de louange, d'approbation et de récompense, tandis que le mal est ce qui est digne de blâme, de réprobation et de châtiment, définition large qui suffit pour le moment, et que tous les partis peuvent embrasser sans abjurer leur cause, parce qu'elle ne suppose rien que le témoignage de la conscience.

Nous n'avons pas dit ce qui entraîne avec soi l'idée d'obligation, nons ne le pouvions sans éliminer le conseil, le meilleur qui, à coup sûr, est un bien.

Toutefois, comme c'est l'ambiguïté du mot bien qui a égaré bon nombre de moralistes dans la recherche des fondements de la morale depuis Platon jusqu'à nos jours, il ne sera pas hors de propos d'insister pour distinguer soigneusement le bien moral.

Il y a trois sortes de bien : le bien sensible ou le plaisir; le bien réel ou l'utile, et le bien moral ou la vertu. Le bien sensible ou

'M. Noget Lacoudre, Phil., t. m, p. 138. 2 Jouffroy. Bayle, etc., etc., Théologie de Bailly, t. 1, p. 258.

Lyon, t. 1, p. 50.

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'Nous aurions peut-être dû faire usage de la méthode que nous avons conseillée ; mais, comme nous réfutons, nous avons été retenu par la crainte qu'on ne nous ae cusat de faire une pétition de principe.

le plaisir se distinguant assez par lui-même du bien moral et du bien réel, il n'est pas besoin de s'arrêter à en marquer les différences. Le bien réel, au contraire, a souvent été confondu par le fait avec le bien moral, par ceux-là même qui l'avaient le plus soigneusement distingué d'abord 1. Il est donc nécessaire de nous y arrêter quelques instants.

Le bien réel, ou l'utile, est multiple, et se divise suivant le genre d'utilité que l'on recherche, suivant la fin que l'on se propose d'obtenir. Il peut se confondre avec le calcul du plaisir, si l'on fait du plaisir l'objet de ses intérêts et de ses désirs. L'utile peut s'entendre encore des intérêts matériels qui touchent encore de près à l'ordre des jouissances sensibles. On peut désigner par là notre intérêt bien entendu, comme êtres sensibles et intellectuels à la fois; et c'est surtout de celui-ci qu'il est question.

Placés sur cette terre par un être intelligent, par une providence paternelle, nous avons tous une fin à atteindre; cette fin, que notre Créateur nous a révélée lui-même, doit satisfaire tous nos désirs, toutes nos tendances naturelles, Cetle satisfaction de nos tendances naturelles est ce qu'on appelle le bonheur, lequel nous est réservé pour une autre vie dont les mystères ne nous ont pas été pleinement découverts. Ce bonheur qui remplira toutes nos facultés n'est pas le bien moral lui-même, quoiqu'il en soit la fin le bien moral est le moyen de l'acquérir. Mais au-dessous de cette fin suprême, nous en avons une autre à remplir ici-bas, qui serait aussi la satisfaction de toutes nos tendances, si elles étaient toutes légitimes, si la chute originelle n'était pas venue les pervertir et les troubler. Or, cette fin n'est pas non plus, est encore moins le bien moral, quoiqu'elle soit cependant pour nous un bien; la satisfaction que nous éprouvons lorsque nous parvenons à l'atteindre, et qui est pour nous un certain bonheur, par le bien-être qui en est la suite, n'a encore rien de commun avec l'ordre moral.

(La suite au prochain cahier.)

L'abbé BIDARD.

Jouffroy, Cours de droit naturel, passim.-Cousin, argument de l'Entyphron, - Platon, Entyphron., etc., etc.

Versailles. Impr. de BEAU jeune, 28, rue Satory.

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SOMMAIRE. Actes de quelques martyrs des deux sexes qui souffrirent pour le nom de. Jésus-Christ, sous le règne de la Convention: - les quatorze victimes de Laval; les onze ursulines de Valenciennes; - les quarante-deux religieuses d'Orange. La Convention est remplacée par le Directoire.

Avant de raconter les derniers travaux de la Convention nationale, il nous semble nécessaire de citer ici quelques-uns des actes des martyrs qui souffrirent la mort, sous les proconsuls envoyés dans les diverses provinces de France par ce monstrueux sénat.

Il est à regretter que chaque diocèse n'ait pas, à l'exemple de celui du Mans, recueilli les actes de ses propres martyrs, durant la persécution de 1793, ainsi que le faisaient les chrétiens des premiers siècles de l'Eglise; car cette curieuse et édifiante collection serait une chose excellente à répandre aujourd'hui parmi le peuple catholique de tous les pays tourmentés par la fièvre révolutionnaire. On y verrait d'un côté tous les excès dans lesquels une Raison impie fit tomber les bourreaux philosophes de cette sanglante époque, et de l'autre, le courage héroïque et les sublimes réponses des victimes de cette même Raison qui, séparée de Dieu, ravala l'homme au-dessous de Ja brute.

Voici quelques pages, extraites des Mémoires ecclésiastiques concernant la ville de Laval et ses environs, de 1789 à 1802. Notre lecteur y trouvera des renseignements précis sur la persécution révolutionnaire.

Voir le dernier article au no précédent, ci-dessus, p. 101.

XXXVI VOL. 2 SERIE. TOME XV.

1853 N° 93

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« Il s'était formé à Laval un tribunal révolutionnaire dont pas » un membre n'était de la ville. Il condamna à mort quatre cent » soixante-deux personnes, dont cent trois femmes. Le 21 jan» vier, à huit heures du matin, il se fit amener quatorze prêtres, » si malades et si infirmes qu'on les avait jugés absolument inca» pables d'être transportés hors de Laval, au moment où l'on >> faisait partir pour Rambouillet cinq octogénaires, un aveugle » et plusieurs malades. Ceux des quatorze qui pouvaient encore » marcher étaient à pied; il y en eut quatre qu'on fut contraint » de conduire en charrette, entre autres M. Gallot, chapelain des » religieuses bénédictines, qui, quoique le plus jeune, était tout perclus de ses membres par suite de la goutte. Pour arriver >> au tribunal, ils passèrent au pied de l'échafaud qui était en » permanence. La salle d'audience se remplit d'une foule considérable, au milieu de laquelle se glissèrent quelques bons catholiques, par qui on a pu apprendre ce qui s'était passé. » Après la question d'usage, les juges demandèrent à chacun » des quatorze accusés: 1o As-tu fait le serment de 1791, prescrit » par la Constitution civile du clergé? 2° As-tu fait le serment de liberté-égalité? 3° Veux-tu prêter ces serments? 4° Veux-tu » jurer d'être fidèle à la République, d'observer ses lois, et, en conséquence, de ne professer aucune religion, et notamment >> point la religion catholique? Tous répondirent négativement et » avec fermeté ; ceux qui n'étaient pas curés firent, pour la plu>> part, observer qu'aucune loi ne leur avait jamais ordonné de >> faire les serments dont on leur parlait.

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» Aux questions communes à tous les prêtres, les membres » de la commission du tribunal en ajoutaient de particulières à » plusieurs d'entre eux. Le président demanda au curé de la » Trinité de Laval, M. Turpin du Cormier : « N'est-ce pas toi qui >> as empêché tes prêtres de faire le serment? - Quand on nous » le demanda, répondit-il, nous nous assemblâmes pour en dé> libérer, et nous reconnûmes que notre conscience ne nous permettait pas de le prêter.» Là-dessus, le greffier, prêtre intrus » et apostat, dit : « Il n'est pas méchant; c'est son vicaire Denais » qui l'a perdu. » Quand on proposa à M. Gallot de jurer d'être » fidèle à la République et de ne plus professer sa religion : » — Je serai toujours catholique, répondit-il. — Publiquement? » lui dit-on. — Oui, publiquement; n'importe où, je me dirai >> toujours catholique je ne rougirai jamais de Jésus-Christ. » Il » mit tant d'énergie dans ses réponses, que des patriotes, pré

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