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la Messe. S. Augustin nous donne lui-même un exemple de pareils changements, en instituant et en abrogeant selon les temps certaines leçons dans son Église 1.

On ne peut pas indiquer d'une manière complète quel était le rapport du chœur avec les chants de la Messe. S. Augustin dit qu'un psaume était chanté après l'épître; le psaume occupait donc la place qui fut donnée plus tard aux séquences qui se chantent entre l'épître et l'évangile 2. On conçoit par là pourquoi plusieurs prédications se faisaient sur des textes de psaumes, puisque l'évangile était immédiatement précédé d'un psaume et suivi de la prédication. Le psaume n'était pas toujours chanté, il arrivait aussi qu'il fût lu par le lecteur.

S. Augustin appelle la prédication tractatus ou sermo et le prédicateur tractator3. Le prédicateur était assis dans la chaire et entouré des auditeurs, et parce qu'on expliquait ordinairement des textes de la Bible, l'enseignement de la prédication recevait aussi le nom d'école1.

S. Augustin rapporte (Sermo 218, 1) que le vendredi saint la passion se lisait solennellement (solemniter), comme elle est encore lue aujourd'hui. Or, comme c'était la coutume qu'à partir du jour de Pâques la résurrection fùt lue selon les quatre évangiles, S. Augustin voulut introduire également la lecture de la passion selon les quatre évangiles; mais ses fidèles ne voulurent pas y consentir. « Passio quia uno die legitur (le vendredi saint), non solet legi nisi secundum Matthæum (aujourd'hui la passion selon S. Matthieu est lue le dimanche des Rameaux, et la passion selon S. Jean le vendredi saint.) Volueram aliquando, ut per singulos annos secundum omnes evangelistas etiam passio legeretur (ce qui se fait aujourd'hui); factum est; non audierunt homines quod consueverant, et perturbati sunt. » Cette innovation dans l'office divin troublait et confondait les fidèles n'est-ce pas un témoignage bien remarquable de leur attachement au culte traditionnel? Toutefois, pour donner de l'à-propos à ses prédications, S. Augustin faisait lire des leçons qui s'y rapportaient, comme il le dit lui-même (Sermo 362) : « Congruas ex Evangelio et Ap stolo fecimus recitari lectiones. » Ce n'étaient donc pas ici des extraits traditionne's. 2 Sermo 32, 4: « Ad hoc pertinet, quod etiam apostolica lectio ante psalmi canticum præsignavit, dicens, etc. »

3 Sermo 32, 23. Pertractare signifie prècher. Sermo 36, 1; 32, 7; 177, f.

S. Augustin dit en parlant de la prédication: « Qui amant frequentare istam scholam. » Sermo 32, 2. « Neque, quia de superiore isto loco loquimur vobis, ideo magistri vestri sumus. Ille est enim omnium magister, cujus cathedra est super omnes cœlos; sub illo in unam scholam convenimus, et vos et nos condiscipuli sumus; sed monemus vos, quomodo solent majores scholæ. » Sermones inediti ed. Denis, p. 58. « Schola Christi. » Sermo 98, 3; 178, 2. La prière finale de la prédi cation était pro plebe adstante. Sermo 362, 31. S. Augustin appelle de même la synagogue Judæorum schola, nom qui se donne encore aujourd'hui aux écoles des Juifs (Sermo 137, 6). C'est aussi pour cela qu'il représente l'Église chrétienne comn

En voyant cette distribution de l'office divin, on ne peut douter que la première partie de la Messe ne fût destinée à l'instruction et particulièrement à l'instruction sur la Bible, qui fournissait le fond des leçons et des prédications et dont la lecture était par là même recommandée1. La prédication se faisait comme aujourd'hui dans la grande nef (atrium) de l'église. Le prédicateur avait la Bible avec lui dans la chaire, il en lisait des passages d'une certaine étendue. Cette institution a passé des prédications des synagogues aux Eglises 2. On faisait aussi des prédications à l'office divin du soir 3. On prèchait régulièrement les dimanches, ainsi qu'aux fêtes du Seigneur et des Saints; on prêchait aussi les jours ouvriers, puisque la Messe se célébrait journellement *. Le prédicateur choisissait un texte dans une des trois leçons, ordinairement dans celle de l'Evangile, parce qu'il précédait immédiatement la prédication et que par là il était encore présent à la mémoire des auditeurs. Lorsque le prédicateur n'était pas prêt un dimanche, il promettait la conclusion de la prédication pour le dimanche suivant. Dans ce cas il faisait encore une fois fire l'évangile du jour précédent (Sermo 93).

une école opposée à la synagogue : • Dominus docturus Ecclesiam et habiturus scholam præter judæos, etc. » Ibid.

1 Sermo 36, 8 : « Si hoc oblitus es, lege Evangelium instrumentum tuum. »

Dans la prière finale de la prédication S. Augustin dit (Sermo 362, 31): « Deprecemur Dominum pro nobis et pro omni plebe sua adstante nobiscum in atriis domus suæ.» Atria est la nef de l'église et non pas le parvis, car celui-ci se nommait porticus; c'est ici que se tenaient les mendiants (Sermo 25, 8). On pourrait conclure des mots adstante nobiscum que le prédicateur se tenait debout, ce qui cependant n'était pas; car S. Augustin dit expressément (Sermo 355, 2) : « Ego sedens loquor, vos stando laboratis. » C'est pourquoi il appelle la chaire sedes sublimis (Sermo, 147. 1). Les passages suivants se rapportent à ce que nous venons de dire concernant la Bible : « Hoc quod gestamus in manibus, Scriptura scilicet, quam videtis, commendat nobis, etc. De hac secundum lectionis tenorem, quam me portare conspicitis, pauca dicam,» Sermo 37, 1. « Codicem sumam, Evangelium aperiam, verba ejus recitabo. » Sermon. ined. ed. Denis, p. 120.

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Sermon. ined. ed. Denis, p. 99.

Serm. 128, 6; 154, 1; 155, 1.

'S. Augustin le rapporte tout au long (Sermo 49, 1) : « Lectiones sanctas plures, cum recitarentur, audivimus, et de his nos oportet dicere, quod Dominus fuerit donare dignatus; sed lectionum omnis auditor, quod recentius lectum est, magis meminit, et ut inde aliquid a tractatore verbi dicatur, exspectat. Cum ergo ultimum sit sanctum Evangelium recitatum, non dubito exspectare caritatem vestram, ut de ista vinea (MATTH. VI, 10) aliquid audiatis. Sed ego memini, superiore dominico quid promiserim. Cum enim de S. propheta, quod lectum fuerat, aliquid exponere voluissem, tractari, quantum potui, de judicio, tantumque sermo productus est,

Dans les plus anciennes prières de la Messe latine, on mentionne encore parfois les trois patriarches; il paraît qu'une pareille prière se trouve aussi dans la Messe africaine, puisque S. Augustin explique à ses auditeurs comment ils peuvent avoir une affinité spirituelle, mais non pas une affinité corporelle, avec le patriarche Abraham. Cette explication n'était nécessaire qu'autant que, dans les prières ecclésiastiques des chrétiens convertis du paganisme, Abraham était appelé leur père 1.

Par les recherches que nous venons de faire, on comprend facilement ce passage capital de S. Augustin, où il distingue les deux parties de la Messe, la première pour les catéchumènes, l'autre pour les fidèles. La première finissait avec la prédication après l'Evangile. Il l'appelle déjà Missa, abréviation de la formule missa est congregatio catechumenorum. Cette partie finie, les fidèles restaient seuls à l'église pour assister à la seconde partie de la Messe 2.

l'armi les Messes pour des personnes particulières, S. Augustin mentionne celles pour les fidèles trépassés; il ne leur donne pas de nom particulier, il est vrai, mais il explique un passage du livre de Job d'une manière qui se rapporte nécessairement à la consécration et à la communion de la Messe. Cette explication .est confirmée par l'observation que les Messes pour les défunts ne se disaient que pour les chrétiens qui avaient pris part à la cène, et qu'elles ne se disaient pas pour les infidèles ou les païens, lors même qu'ils étaient parents de fidèles survivants 3.

ut non remaneret temporis spatium, quo possem de ceteris disputare. Unde me promisi hodierno die de justitia esse dicturum. » Sermo 60, 5 : « Quid ego dicam ? Jam me propemodum Evangelii lector paulo ante hac cura liberavit. Non ego lego, sed lecta recolo. » Beaucoup de sermons supposent au commencement que la lecture de l'Evangile a été faite d'abord. Voyez aussi Serm. 149, 156,

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1 Sermo 4, 11 : « Non ad nos pertinet pater Abraham; filii sumus Abrahæ imifando fidem Abrahæ, » C'est pourquoi il dit par rapport à l'office divin des juifs et des chrétiens (Sermo 19, 3): Sacramenta sunt mutata, non fides. » S. Augustin suit en ceci Clément d'Alexandrie, Strom. 2, 6, conformément à GALAT. 3, 9, 16, 29.

2 Sermo 49, 8 ; « Post sermonem fit missa catechumenis (c'est-à-dire les catéchumènes sont congédiés); manebunt fideles. Venietur ad locum orationis (scil, dominica). Scitis, quo accessuri sumus (à la cène), quid prius dicturi sumus? Dimitte nobis debita nostra. » 11 appelle la seconde partie de la Messe sacrosancta mysteria. Serm. 88, 5. Congregatio christianorum était le nom des chrétiens assemblés dans l'église. Serm. 91, 5.

* Sermo 361, 6: « Patriarchis exequias celebratas esse legimus, parentatum esse non legimus....-Et quod objiciunt quidam de Scripturis : Frange panem tuum et XXXVI VOL. 2 SERIE. TOME XVI. N° 92. 1853, 11

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Il suit même des paroles de S. Augustin que les Messes pour les morts se répétaient annuellement, et que c'étaient par conséquent des anniversaires, car elles étaient célébrées en mémoire des défunts, et par conséquent non pas seulement au jour de leur enterrement. Le mot memoria signifie aussi chez S. Augustin' tombeaux. Lorsque ceux-ci se trouvaient dans l'église, on pouvait y dire les prières pour les morts après la Messe; mais quand ils étaient hors de l'église, cela donnait naturellement l'occasion d'y placer un catafalque, comme on fait encore aujourd'hui'. Dans un autre endroit, S. Augustin déclare que les Messes pour les morts sont une ancienne tradition et une observation de l'Eglise universelle 2.

Les églises s'appellent chez S. Augustin, comme nous l'avons remarqué plus haut, basilica, et aussi ecclesiæ; elles étaient bâties par les contributions des communautés chrétiennes, mais sous la direction immédiate d'un ecclésiastique 3. (Extrait de la Revue Catholique de Louvain.)

MONE,

Archiviste à Carlsruhe.

effunde vinum tuum super sepulcra justorum, et non tradas eum injustis (Tob., 4, 18), non est quidem de hoc disserendum, sed tamen posse dico intelligere fideles quod dictum est. Nam quemadmodum ista fideles faciant religiose erga memorias suorum, notum est fidelibus; et quia non sunt ista exhibenda injustis, id est, infidelibus, quia justus ex fide vivit (Rom. I, 17), etiam hoc fidelibus notum est. Manifestum est, quemadmodum illud intelligatur, et aperta atque salubris est hæc celebratio christianorum. » L'idée que S. Augustin attache toujours au mot fideles, la circonstance que les fideles seuls sont ici itérativement nommés, ainsi que la signification de celebratio qui termine la phrase, ne laissent aucun doute : évidemment il est ici question d'un service divin célébré pour les chrétiens défunts, et non pas d'une distribution de pain et de vin aux pauvres. S'il ne s'agissait que de celleci, on ne comprendrait point pourquoi il n'eût pas été permis de donner du pain et du vin en aumônes à la mort des païens; on ne comprendrait pas davantage pourquoi il est répété plusieurs fois que les fideles seuls avaient connaissance de la chose. S. Paul s'appelle lui-même infidelis avant sa conversion. I TIM. 1, 13.

1 Memoriæ martyrum sont les tombeaux des martyrs, ainsi que les autels avec leurs reliques. Sermo 273, 7.

* Sermo 172, 2 : « Orationibus sanctæ Ecclesiæ et sacrificio salutari et eleemosynis, quæ pro eorum spiritibus erogantur, non est dubitandum mortuos adjuvari. Hoc enim a patribus traditum universa observat Ecclesia, ut pro eis qui in corporis et sanguinis Christi communione defuncti sunt, cum ad ipsum sacrificium loco suo commemorantur, oretur, ac pro illis quoque id offerri commemoretur. ▪ Sermo 173, 1: « Celebramus dies fratrum defunctorum. »

3 Sermo 356, 10. Les églises portaient souvent le nom de leurs fondateurs. Sermo 359, 9. Elles étaient grandes, et pour les bâtir on avait besoin de beaucoup d'échafaudages et de machines. Sermo 362, ↑.

LA LITTÉRATURE FRANÇAISE SOUS LA RESTAURATION. 167

Revue de livres nouveaux,

HISTOIRE

DE

LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

SOUS LA RESTAURATION,

PAR M. ALFRED NETTEMENT.

(2 volumes in-8. Paris, chez Jacques LECOFFRE.)

La littérature, a-t-on dit avec raison, est l'expression de la so eiété. Il faut donc, pour faire l'histoire complète d'une société, faire l'histoire de la littérature. L'activité humaine ne se déploie pas seulement dans la région des faits, elle se manifeste encore dans le domaine de la pensée et de l'art, et si la littérature reçoit l'influence de son siècle, à son tour elle agit puissamment sur lui; il y a même des époques où elle est tellement mêlée à la politique, qu'il serait impossible de comprendre le développement des faits si l'on ne suivait en même temps le développement des idées. C'est le caractère de notre époque. En ce temps de révolutions et de tempêtes, il est très-difficile que l'homme de lettres, voué exclusivement au culte de l'art, reste purement académicien, et ne se mêle pas plus ou moins à la lutte ardente; c'est pour lui un devoir; c'est un péril, mais c'est une gloire. La littérature, sous la Restauration, était essentiellement politique et militante. Quelle époque solennelle! L'ancienne dynastie des rois, après vingt ans d'exil, rentrait en France; à la guerre européenne succédait la paix, et à la faveur des libertés nouvelles, concédées par la Charte, quel puissant essor allaient prendre les lettres, condamnées presque à l'immobilité sous l'Empire. « Les sceaux posés sur les divers systèmes d'idées par la puissante main de l'empereur se trouvaient tous levés à la fois. Toutes les discussions endormies, ou du moins assoupies pendant quinze ans, se réveillaient; on entrait dans une polémique universelle qui pouvait porter en même temps sur le passé, sur le présent, sur l'avenir, sur les idées et sur les faits, sur la religion, la philosophie, la littérature, la politique, l'histoire, et qui retentissait du haut de la tribune dans les journaux, dans les lettres, au

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