Page images
PDF
EPUB

Cela rappelle les ménagements de la loi scandinave pour la femme et les parents de l'utlaëgr ou proscrit 1.

Le paragraphe suivant de la même constitution autorise implicitement les guerres privées par les conditions mèmes qu'il y attache et les limites qu'il leur impose.

« 3o Quiconque veut faire la guerre à un autre seigneur doit l'en prévenir officiellement par un messager, au moins trois jours à l'avance. Si ensuite le seigneur attaqué et lésé nie qu'il ait été prévenu, le messager, ou à son défaut deux témoins dignes de foi, pourront attester le lieu et le moment où le défi aura été dénoncé. »

«Toute rupture d'une trève convenue sera considérée comme une violation de la paix. Il en sera de même de tout mauvais traitement exercé contre le messager porteur du défi. Cette action honteuse sera considérée comme un manque de foi, et entraînera la privation des droits civils 2. »>

Dans une autre constitution faite plus spécialement pour l'Italie que pour l'Allemagne, l'empereur Frédéric tente des efforts manifestes pour supprimer totalement les guerres privées 3.

Si ce prince avait eu complétement foi dans son autorité législative, s'il avait cru posséder le pouvoir absolu que lui avait attribué l'archevêque de Milan à la diète de Roncaglia, il aurait purement et simplement défendu les guerres privées sous des peines sévères. Mais, malgré les formes impérieuses de son langage, il craignait de n'avoir pas la force de faire observer ses lois, si un autre lien que celui de la sujétion à son autorité ne

Voir les chapitres vi et vi, e partie.

Cette constitution est de l'année 1187. Elle est postérieure à celle que nous ana lysons ensuite, et que Cujas a pourtant placée la dernière dans le cinquième livre des fiefs.

'Cette constitution est bien adressée à tous les sujets de l'empire: mais, dans ce qui regarde la suppression des guerres privées, l'empereur Frédéric n'a jamais cherché à l'appliquer qu'en Italie.

4 Dans son discours à Roncaglia, Frédéric avalt semblé vouloir associer la diète à son œuvre législative; il disait : « Tàm nobis quàm vobis, dùm jus condimus, cau⚫ tiùs prævidendum est : quia quùm leges institutæ fuerint, non erit liberum judicari de eis, sed oportebit judicare secundùm ipsas. » Mais l'archevêque de Milan lui répondait : « Scias itaque omne jus populi in condendis legibus tibi concessum, ⚫tua voluntas jus est. Sicuti dicitur: quod principi placuit, legis habet vigorem, » quùm populus ei, et in eum omne suum imperium et potestatem concesserit. » On ne peut pas se servir du droit romain avec une habileté plus complaisante et plus servile. (Radevici Frisingensis, lib. 11, cap. ш et iv.)

[blocks in formation]

venait pas enchaîner les consciences. Aussi il prit le parti d'ordonner « que tous les ducs, marquis, comtes, capitaines, valvasseurs, gouverneurs de province, consuls et magistrats plébéiens des villes, que tous les hommes libres enfin, de l'âge de dix-huit ans jusqu'à celui de soixante, prêtassent serment d'observer et de maintenir la paix, et renouvelassent ce serment tous les cinq

ans. >>

Voici quelle était la peine attachée à la violation de ce serment et à la rupture de la paix.

« Pour une cité, civitas, c'était une amende de 100 livres d'or envers la chambre impériale, et de 20 livres pour la simple ville ou la bourgade, oppidum. Pour les ducs, les marquis et les comtes, l'amende était de 50 livres, de 20 pour les capitaines et les grands vavasseurs; de 6 livres pour les petits vavasseurs et autres citoyens libres. Des indemnités proportionnées aux dommages étaient de plus allouées aux victimes de la rupture de la paix. >>

On voit donc que l'amende est graduée de haut en bas, suivant le rang féodal, et qu'au premier rang figurent les cités, c'est-à-dire les communes, jouissant de la plénitude des immunités impériales.

Dans la même constitution, « les juges et les défenseurs des villes et autres lieux, sont tenus, sous des peines sévères, de faire respecter la paix et d'en punir les violateurs : les conventicules dans les cités, les conjurations et associations, soit entre les villes, soit entre les personnes, sont punies d'une livre d'or d'amende pour chaque associé. Les évêques devront joindre leurs censures ecclésiastiques aux expiations de la loi pénale. Ceux qui donneront asile aux violateurs de la paix seront punis des mêmes peines que ces violateurs eux-mêmes. Que les uns et les autres soient privés de tous leurs biens qui seront vendus publiquement et distribués au peuple par le juge. »

Dans ce luxe de précautions, prises pour prévenir et pour réprimer les guerres privées, on sent une autorité qui doute d'elle-même. La première des constitutions précédemment analysées avait été promulguée dans une diète de Ratisbonne; la seconde avait été faite à Nuremberg, en la présence des princes de

1 Publicentur et dispensentur à judice et non confiscentur, comme le fait remarquer Cujas. C'était encore un moyen tenté pour rendre l'autorité impériale moins odieuse, et ces mesures de rigueur plus populaires.

l'empire, de leur conseil et de leur consentement 1. Cette fois, l'empereur semble agir dans la plénitude de sa puissance législative : or, avec les idées du moyen âge, il ne devait pas croire qu'une loi non acceptée par les diètes d'Allemagne et d'Italie, pût être regardée comme une loi proprement dite. Cela paraît d'autant moins possible que le 12 siècle était celui où les coutumes proprement dites avaient le plus de puissance et qu'elles ne pouvaient être détruites ou même modifiées que par la volonté nationale. D'ailleurs, Frédéric s'attaquait ici à l'un des points fondamentaux de la féodalité; le droit de guerre privée était regardé alors comme la plus précieuse des libertés politiques. Et, comme le dit avec raison un historien moderne : « Interdire ce droit était un coup d'État, une mesure aussi violente que le serait aujourd'hui, en Angleterre, la suppression » de la liberté de la presse, et celle de la liberté individuelle 2. » Aussi cette tentative de compression extrême, eu égard à l'état social de cette époque, ne put avoir aucun succès. Elle ne que montrer l'inanité de l'interdiction des conventicules t des associations, en provoquant la création de la ligue lombarde, qui fut victorieuse des armes de l'empereur, et le força à signer, en 1183, la fameuse paix de Constance. Dans ce traité, Frédéric fut contraint de se dépouiller en grande partie de ses droits régaliens qu'il avait voulu étendre au delà de toute limite raisonnable, et, à dater de ce moment, les républiques italiennes commencèrent à avoir une existence légale et reconnue.

Un peu plus tard, saint Louis, comme nous l'avons vu, travailla aussi à restreindre les guerres privées; mais avec quelle mesure et avec quel respect des droits établis! Aussi son œuvre ne souffrit presque pas d'interruption et fut glorieusement continuée et achevée par ses successeurs. Au contraire, la brusque réforme de Frédéric Barberousse, à peine essayée et mal exécutée, n'eut pas même la durée de sa vie; et après lui, les guerres privées se perpétuèrent en Italie, et surtout en Allemagne, jusqu'aux 15 et 16° siècles. Albert Du Boys.

In præsentia principum, consilio et consensu eorum. De feudis, lib. v. 'Histoire de la lutte des Papes, par Cherrier, t. 1, p. 184.

Sciences historiques.

HISTOIRE DE LA PAPAUTÉ

Avec des

PENDANT LE 14 SIÈCLE,

Notes et des Pièces justificatives. PAR L'ABBÉ CHRISTOPHE, CURÉ DU DIOCÈSE DE LYON. 3 vol. in-8. Paris. Librairie de L. MAISON. 1833.

Quand Jésus-Christ établit son Eglise, il dit aux Apôtres : Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre; «comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie; allez, enseignez toutes les nations. Voilà que je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles; le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront point'. Mais il dit à Pierre, le prince des Apôtres : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'Enfer ne prévaudront jamais contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Pais mes agneaux, pais mes brebis; confirme tes frères dans la foi 2. » L'antiquité chrétienne, la tradition, les Pères et les Docteurs de l'Eglise, ceux-mêmes de l'église d'Orient avant le schisme, ont reconnu dans ces paroles du Sauveur les titres incontestables de la primauté et de la puissance suprême dont se trouvaient investis Pierre et les souverains pontifes, ses successeurs. Qui, le Saint-Siége ou la Papauté, dans l'Eglise catholique, est le centre d'où la vie se communique à toute la circonférence; c'est la base sur laquelle repose l'édifice immortel de Jésus-Christ. Là où est Pierre ou la Papauté, là est l'Eglise. Ubi Petrus, ibi Ecclesia. Sans autorité représentée par un chef, point de gouvernement possible, a dit le premier poëte de l'antiquité zis xoipuuos irrw; paroles qui ont servi d'épigraphe à l'ouvrage immortel du Pape, d'un des plus profonds penseurs du dernier siècle. Singulière bizarrerie de l'esprit humain! L'anglicanisme, qui déblatère contre le papisme, qui regarde le pape comme l'antechrist, a été contraint, dès sa naissance, d'investir de la puissance suprème et spirituelle, un tyran, monstre

Luc., XX, 21. Matth., xxv, 19, 20; XXIV, 35.

2 Matth., xvi, 18, 19. Joan., xxi, 15, 16, 17. Luc., xXII, 32.

de luxure, Henri VIII; et de nos jours, la Grande-Bretagne n'a-elle pas sa papesse dans la reine Victoire? La Russie schismatique ne reconnaît-elle pas pour pape son czar, Nicolas, qui délègue la puissance spirituelle à un colonel de cavalerie pour présider le saint synode? Le calvinisme et le lutheranisme qui ont renié toute autorité, en admettant le libre examen, se meurent divisés en des milliers de sectes, et sont envahis par le rationalisme et le panthéisme. Au moyen âge, dans ces siècles de ferveur et de foi, où la société en Europe était constituée catholiquement, la tiare dominait le diadème, parce que les rois et les empereurs reconnaissaient eux-mêmes cette suprême puissance, dont la confiance des peuples avait investi les vicaires de Jésus-Christ sur la terre, en soumettant leurs différends à l'arbitrage des papes. Nous partageons pleinement l'opinion qu'émet M. l'abbé Christophe dans ce passage remarquable, que nous plaçons sous les yeux du lecteur, pour lui faire apprécier la touche large, noble et sévère de cet écrivain :

« Les souverains pontifes du 11°, du 12° et du 13° siècle, en proclamant la supériorité de l'Eglise sur l'Etat, du sacerdoce sur l'empire, répondaient aux idées des peuples, à l'opinion publique de leur époque. Donc, en voulant faire prévaloir le contraire, les empereurs allemands déclaraient la guerre à l'opinion publique. Évidemment, ils s'opposaient au vœu général, au besoin du temps; car un vœu général suppose toujours un vœu de même nature, ils voulaient faire rétrograder la société. » Cette différence dans la situation des papes et des empereurs explique naturellement la différence qui éclate aussi dans la fortune des uns et des autres. Les papes triomphèrent constamment, parce que les moyens d'attaque et de défense ne leur manquèrent jamais; ils les trouvaient dans les sympathies des peuples divers. Les empereurs succombèrent toujours, parce que, n'ayant point à leur service les moyens moraux, ils étaient forcés de recourir à l'emploi de la force, qui achevait de les déconsidérer.

» Cette différence de situations explique encore la différence du caractère signalé par l'histoire dans la politique des papes et des empereurs. En général, la politique des empereurs est étroite, odieuse, inconséquente; on n'y distingue rien de libéral, de généreux; l'égoïsme s'y trahit partout. Pour embarrasser leurs adversaires, ils ne craignent pas de favoriser des schismes, d'entretenir des mannequins décorés du nom de papes, toujours

« PreviousContinue »