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sentiments comme à nos regards. Par son poli, par son froid mortel, l'émail jure avec les colorations, les palpitations de la vie, et il semble réfractaire à toute tendresse. Je n'imagine pas comment un dévot peut prier devant une madone en faïence, comment il n'est pas effrayé à certaines heures de ces figures émaillées, surtout lorsque l'artiste en a peinturé les cheveux et les sourcils, teinté les prunelles et vermillonné la bouche, les faisant alors à l'imitation des spectres.

L'argile, la pierre, le marbre ont des pores, et ne sont pas, comme dirait la science, mauvais conducteurs de l'électricité morale. Le biscuit même et le parian peuvent être la matière d'une statuette, parce qu'ils se rapprochent du marbre par la couleur et par le grain. Mais l'émail intransparent qui enveloppe les sculptures de Luca della Robbia se refuse aux communications intimes de l'esprit : il est impénétrable à la chaleur des âmes. Sous ce revêtement glacé, sous cette espèce de chemise industrielle, les figures de l'artiste florentin n'ont plus le caractère, d'ailleurs admirable, que l'art leur avait imprimé. Elles sont devenues semblables aux pagodes de la Chine, ou, si l'on veut, aux statuettes et aux petites momies égyptiennes en émail vert, qui, bien que finement travaillées, sont plutôt des objets curieux que des objets beaux.

C'est ici une nouvelle preuve de cette vérité qu'il est toujours dangereux pour un art d'empiéter sur le terrain d'un autre. De même que les peuples perdent leur physionomie à mesure qu'ils approchent des frontières de leur pays, de même les arts s'affaiblissent lorsqu'ils arrivent aux confins de leur domaine, et se corrompent lorsqu'ils les dépassent.

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EXPOSITIONS RÉTROSPECTIVES

D'ORLÉANS ET DE REIMS

L'ARCHÉOLOGIE, ne commence guère à Orléans qu'avec la Renaissance, et il a fallu la découverte inattendue de bronzes antiques pour faire tout d'un coup de son musée archéologique l'un des plus riches de France en grandes œuvres de cette nature. Aussi l'exposition rétrospective a-t-elle bien peu de choses à nous montrer qui soient antérieures au xvIe siècle. Il faut en excepter les inévitables silex qui occupent peu de place, heureusement; plusieurs bijoux antiques envoyés de Paris et enfin une Vierge d'ivoire assise sous un dais, et présentant un oiseau à l'Enfant Jésus debout sur son genou, ivoire charmant du XIII au XIVe siècle appartenant à Mlle Fabre, d'Orléans. Disons immédiatement, à propos des ivoires, et afin de n'y plus revenir, qu'il y en a un certain nombre de faux à l'exposition même parmi ceux que l'on attribue au XVIIe siècle.

En sculpture, nous avons à signaler les quatre bustes en terre cuite de Molière et de La Fontaine, de Voltaire et de J.-J. Rousseau, appartenant à Mme Dupuis, d'Orléans, qui sont signés de Houdon à ce que l'on nous a assuré. Nini ayant habité Chaumont-sur-Loire, il n'est pas étonnant qu'il y ait sur les rives de ce fleuve plus dangereux qu'utile de nombreux amateurs de ses médaillons d'une exécution si précieuse et si large en même temps. M. Maurice de Terrouenne en possède quatorze à lui seul, auxquels MM. Danton et de Beaucourt en ont ajouté quelques autres. Quant au bronze, il est représenté par un chef-d'œuvre : le buste de Jean de Morvillier, très-homme de cour, mais aussi peu évêque que possible, qui le fut cependant assez, à Orléans, pour plaider contre son chapitre à cause de sa barbe qu'il voulait garder. Il mourut en 1570. C'est le buste qui décorait son tombeau, que l'on attribue à Germain Pilon et que nous reproduisons ici. Les dates n'y contredisent point, non plus que la souplesse connue du talent de Germain Pilon qui, en présence de la nature, se montrait plus sobre que dans les figures décoratives où une manière qui lui est propre se reconnaît.

Ce buste austère que l'on a admiré à l'exposition de l'Histoire du travail en 1867 appartient à l'évêché d'Orléans.

Après quelques figures en bronze du XVIe au XVIIe siècle, à M. Pierre, et les

médaillons des Varin et des Dupré exposés par M. Jarry-Lemaire, il nous faut franchir les temps et même les limites qui séparent les genres pour arriver tout d'un coup à la fin du XVIIIe siècle et aux bronzes d'ameublement. Deux flambeaux en forme de trépieds à jours, d'une composition un peu compliquée et trop surchargée de détails, mais d'une fort belle exécution, nous donnent le nom de MARTINCOURT poinçonné sous leurs pieds. Notre ami Paul Mantz qui sait tout, l'avait déjà relevée sous une réplique des mêmes modèles à ce qu'il nous semble appartenant au marquis d'Hertfort et que la Gazelle des Beaux-Arts a publiée (t. XIX, p. 459). Le Martincourt qui a ciselé les flambeaux de Mme la baronne de Triqueti nous semble connu d'ailleurs de ceux qui ont fait de l'art du XVIIIe siècle leur étude particulière. MM. E. et J. de Goncourt le citent, en effet, comme un des habiles ciseleurs de son temps (Gazette des Beaux-Arts, t. XXIV, p. 459). Plusieurs de ses œuvres doivent passer pour être de Gouthières auquel nous attribuons deux appliques d'un dessin assez maigre, composées dans le genre de Salembier, mais d'une merveilleuse finesse de ciselure, que nous croyons appartenir à M. de Geffier.

De tels bronzes à l'orfévrerie il n'y a pas loin, aussi nous citerons immédiatement quelques pièces d'argenterie du XVIIIe siècle parmi lesquelles M. E. Pichon, de Dreux, attribue deux flambeaux à L. Le Roy (1750) et une écuelle à Priel (4768 à 1772). Nous noterons aussi deux flambeaux d'argent, de l'époque de Louis XV, à M. Grivot, d'Orléans. Parmi un grand nombre de bijoux plus ou moins anciens dont les dames d'Orléans s'étaient dépossédées en faveur de l'exposition, nous ne retenons que la collection de M. le marquis de la Rochelambert composée de parures normandes, auvergnates et orléanaises du siècle dernier, et d'une importante réunion de tabatières.

Une intéressante série de montres, donnant la succession des formes et des décors depuis la Renaissance jusqu'à la Révolution, avait été exposée par M. H. Jehan, de Sully-sur-Loire.

La serrurerie était magnifiquement représentée, grâce à l'envoi de M. A. G. Moreau, de Paris. Bien que M. Moreau pratique lui-même l'art dont il avait envoyé des spécimens, nous croyons vierges de toute retouche ses verrous et ses serrures du xve siècle à platine ornée d'un réseau flamboyant avec poignée pendante, ceux qui proviennent des châteaux historiques de la Renaissance, et enfin ses clefs nombreuses qui nous montrent les différentes formes affectées par cet objet depuis les Romains jusqu'à Louis XVI. Leur possesseur nous semble avoir résisté à la tentation de remettre même en état ses pièces les plus anciennes et nous croyons qu'il a eu raison. Là fraude est si facile dans le travail du fer qu'il vaut mieux pécher par excès de prudence dans les restaurations ou même s'en abstenir.

La céramique était naturellement très-importante. Avec quelques plats italiens elle nous montrait la suite ordinaire des faïences hollandaises et françaises où l'on pouvait rencontrer quelques pièces remarquables appartenant à M. Brierre, à M. Jacob, à M. Pierre, ainsi qu'à Mme Patay. De grands épis de faïence vernie au plomb, plutôt du xvir que du XVIe siècle, et probablement de fabrication normande, avaient été envoyés de Valençay par M. W. de Montzey.

La porcelaine d'Orléans avait naturellement à montrer quelques beaux spécimens tant de pâte tendre que de pâte dure. Elle fut fabriquée, à ce que nous apprend M. A. Jacquemart, par un certain Gérault qui commença par établir en 1753 une faïencerie de terre fine dont les produits sont excessivement rares, bien que les documents semblent indiquer une production fort importante. Un atelier d'où sont sorties des pâtes

tendres qui ressemblent beaucoup à celles de Menneey et de Sceaux, lui succéda en 1755, pour faire place à une fabrique de pâte dure en 1764. MM. Boucher de Molendon, Lacoste, Didier, Daire et Mme la baronne Hue avaient exposé un choix intéressant de groupes et de pièces décorées de cet atelier auxquels M. Collin fils

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avait joint des pièces de la fabrique de Lebrun, successeur de Gérault, et M. Guenette, deux vases en terre jaspée de la fabrique de Machart-Grammont qui existait à Orléans en 1797 sur le marché à la volaille.

Les amateurs de l'Orléanais en sont encore aux émaux limousins du XVIIe siècle, qui valent mieux cependant que les émaux modernes dont certains faussaires ont

empoisonné la province. Nous avons vu cependant chez M. Pierre quelques belles pièces du xvIe siècle, trop récemment acquises pour qu'il ait pu les exposer à côté des plaques où M. l'abbé Desnoyers et M. de Lille-Loture nous montrent des séries trop complètes des émaux des Laudin et des Nouhailher.

Une importante collection de reliures avait été réunie à l'aide des contributions de MM. L. Jarry, Delorme, Baguenault de Viéville et Herluison, l'éditeur plein de goût des livres qui se publient à Orléans : reliures du XVIe au XVIIIe siècle qui, sous leur maroquin décoré suivant les goûts divers qui se sont succédé pendant trois siècles, protégent des livres rares, d'autant plus précieux qu'on les ouvre moins. Si les manuscrits à miniatures étaient rares, des pièces intéressantes, surtout pour l'histoire de l'Université d'Orléans, avaient été prêtées par les archives municipales, et M. Boucher de Molendon avait exposé un choix de signatures des plus illustres contemporains de Jeanne d'Arc.

De l'héroïne d'Orléans à la République une et indivisible il y a loin. Il faut franchir la distance cependant et s'arrêter devant la vitrine où M. l'abbé Rocher a exposé une importante collection de tabatières et d'éventails patriotiques. L'art de tout ceci ne vaut guère mieux que celui des assiettes si chères à Champfleury, mais toutes ces manifestations vulgaires de l'émotion produite par la Révolution sont, à cause de cette vulgarité même, intéressantes à contempler ainsi réunies. Elles montrent mieux la grandeur de l'événement qui eut de si vastes conséquences, et de si inattendues, et de quels espoirs il fut accueilli par le peuple et la bourgeoisie. Me la comtesse de Séraincourt, en exposant quelques épaves du naufrage de la monarchie qui auraient appartenu à Robespierre, a peut-être voulu faire voir pourquoi ces espoirs sont si longs à se réaliser.

L'École de sculpture qui à la Renaissance rayonna de Blois pour décorer les maisons, les châteaux et les églises des bords de la Loire trouva certainement un grand foyer d'activité dans l'Orléanais. Les maisons historiques d'Orléans en font foi, et il suffit de parcourir celle qui, ayant été transformée en musée archéologique, a recueilli un grand nombre de vestiges du passé pour reconnaître combien le mobilier était digne des demeures qu'il garnissait. L'exposition le montrait également tant par la table en noyer de l'époque de Du Cerceau appartenant à M. Blondel de la Rougery; ainsi que par une petite crédence également en noyer appartenant à Mme Pillon. Le coffre, à un seul vanțail sculpté d'un Saint-Georges, est porté sur une large traverse qui relie les pieds en forme de pilastres et qui est sculptée d'un triomphe. L'inscription : CONTRE DIEV NVL NE PEULT RIEN FAIRE, incrustée en bois blanc sur le bandeau de l'arc que la traverse dessine à sa partie inférieure, prouve l'origine française de ce meuble.

Parmi d'autres meubles qui sont du XVIIe siècle, nous noterons un grand cabinet d'écaille porté sur colonnes, incrusté d'ivoire, à M. Germon, ainsi qu'un bureau de marqueterie de M. Émile Bernaux.

Les œuvres de la peinture sont peu nombreuses et le catalogue a montré beaucoup de réserve dans les attributions qu'il a données à un certain nombre d'entre elles.

Nous signalons à la commission de l'inventaire des Richesses d'art de la France un magnifique tableau signé de Jouvenet, représentant Jésus au Jardin des oliviers, provenant de la chapelle des Bénédictines d'Orléans et donné à la cathédrale après le concordat. La cathédrale possède également un Portement de croix, qui peut être de Zurbaran à qui on l'attribue, et qui est un souvenir de la guerre d'Espagne.

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