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de cette année. M. Cermak a une place à part, c'est un Parisien du Montenégro et un Slave de Paris, il est des nôtres et nous lui faisons toujours fête parce que c'est un travailleur acharné qui jamais ne s'arrête et ne se satisfait pas à bon marché. Dans son Épisode du siège de Naumbourg quelle collection de charmantes têtes d'enfants! il y a là bien de la grâce sans afféterie, une distinction parfaite dans le choix et beaucoup d'harmonie. Nous attendons de lui par ce temps d'agitation des provinces slaves du sud, quelque brave épisode plein de caractère et d'énergie. M. Chelmonski a eu un vrai succès d'artiste; son Dégel en Ukraine a une saveur toute particulière; ce n'est pas complet, mais l'œuvre sent bien son terroir, on ne va pas plus loin dans l'observation de la nature, la neige fondante est d'un rendu qui a frappé tout le monde. On regrette que dans les deux tableaux les types soient un peu exagérés et que le pinceau négligent n'ait fait qu'indiquer d'un trait spirituel bien des parties qui ne devraient pas être aussi accessoires. M. Pascutti, qui est Vénitien, si je ne me trompe, avait envoyé l'année dernière un charmant tableau pris sur nature au quai du pont du Rialto, un Marché au poisson; il est allé cette année explorer la province dalmate, et a rapporté de ces curieux pays où ses ancêtres ont dominé, pendant plusieurs siècles, une scène de mœurs bien caractéristique, une Noce près de la frontière d'Herzégovine. Le voyageur a plaisir à reconnaître les lieux qu'il a parcourus et les types devant lesquels il s'est arrêté. C'est à Sign, je crois, bien près de la frontière turque, que M. Pascutti a dû voir passer ce cortége bariolé, ces jolies filles, coiffées de l'Okrouga, curieusement couvertes de monnaies et de médailles, et ces enfants blonds qui précèdent la noce.

Ceux qui ont vu cette autre scène orientale : Le Retour du tapis saint de la Mecque, comprendront mieux la scène peinte par M. Constantin Makowsky; que de talent dans un tel tableau! J'en veux à ceux qui ont été chargés de placer les toiles, d'avoir accroché aussi haut une œuvre aussi importante.

M. Suchodolski, qui a pour prénom Zdrislaw, et qui, malgré les apparences, est né à Rome, a modestement dérobé sa personnalité au public en n'indiquant même pas une signature dans son tableau les Funérailles d'un Moine. La toile était placée dans ce grand salon de droite à l'extrémité, où s'étalait la grande scène religieuse de M. Gustave Doré. Ces funérailles, conçues dans une gamme sobre, exécutées avec un esprit pour ainsi dire religieux, placées dans un cadre de paysage noble et d'un haut caractère, nous avaient tout d'abord frappé, et nous avons dû courir au livret pour savoir le nom de l'artiste. Il y a vraiment un

sentiment pieux et profond, quelque chose de mystique, une conviction réelle dans la façon dont est exprimé le sujet.

M. Van Haanen a mérité une médaille, nous la lui avons tous décernée. De ses deux toiles, Petite Fille vénitienne et les Ouvrières en perles

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à Venise, c'est la seconde que nous préférons : il a bien senti les types féminins de Venise ou plutôt de Murano, car je vois l'endroit près de l'église où il a dû peindre cette jolie scène. - Le caractère est absolument vrai, ce sont bien là ces types variés, ces teints singuliers des filles de la lagune, si distinctes entre elles par le teint, la couleur des cheveux,

mais qui toutes, la tête nue et décoiffées avec grâce, ont la même démarche et, drapées dans leur châle de couleur neutre, traînent leurs pantoufles dans les stradine ou sur la Riva dei Schiavoni. M. Van Haanen est Autrichien malgré son nom. Je devrais du même trait de plume indiquer au moins les œuvres de MM. Fontana Delleani, Fattori Balaca, le délicieux Harem à la campagne et l'Ordre d'écrou de M. Pasini, la toile trop pleine et trop serrée que M. Casanova a intitulée Le Petit héros; les Chrysanthèmes et Marguerites, de M. Van Coppenolle, les Pivoines, de M. Van den Bos, le Chat qui s'amuse, de M. Van den Bosch, un peintre très-hardi, mais qui peint en décorateur et rend la robe d'un chat comme il exprime le papier ou l'encrier que l'animal renverse. On remarquera que les Belges sont très-amateurs de fleurs et de fruits; c'est la tradition à laquelle ils restent fidèles, car M. Van den Kerckhove, de Bruxelles, qui est élève de Portaels, a envoyé un Marché aux Fleurs, et M. Van der Voort in de Betouw, né à Amsterdam, a envoyé des Fruits. M. Van Marcke est de Sèvres et on le voit à sa peinture qui est vigoureuse et grasse; la Falaise fait penser à Troyon, c'est un mérite et il est bon de rappeler ce beau peintre énergique et sain, mais c'est toujours un regret pour nous de voir un artiste qui pourrait être lui, abdiquer sa personnalité pour faire penser sans cesse à son maître, si puissant qu'il ait été.

Je voudrais encore m'étendre sur M. Munckacsy et je crains bien de ne pouvoir le faire. Il est personnel celui-là, si personnel que la foule ne le comprend guère et se demande pourquoi les artistes font un tel cas d'un homme qui détache violemment des figures claires sur des fonds opaques, et renverse le procédé des ombres chinoises. C'est qu'il a un œil d'artiste et un sentiment original, il a trouvé une gamme à lui, il a son champ entouré d'un mur et qui lui appartient. En art c'est une force, et si on ne s'exagère pas dans sa manière, si incomplète qu'elle soit, on a les suffrages de ceux qui s'y entendent. La princesse de Metternich, qui, par le fait, est la compatriote de M. Munckacsy, disait un jour en visitant le Salon que c'était de la peinture triste. Je ne donne pas cela pour un mot profond, mais il est toujours très-intéressant pour nous de voir les gens du monde exprimer sincèrement leur opinion sur ceux qui nous intéressent en art. Le fait est que, comme gamme de ton et comme champ d'exploitation au point de vue du sujet, M. Munckacsy s'est longtemps voué aux scènes pénibles et, comme il les exprimait dans une langue très-austère et dans une gamme très-sombre, cela serrait le cœur. Je crois aussi qu'il y avait un grain de politique dans son intention, il tenait pour les proscrits. Aujourd'hui c'est tout autre chose; l'artiste nous donne

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MADELEINE.

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