Page images
PDF
EPUB
[graphic][ocr errors][subsumed]

NOTES DE VOYAGE D'UN ARCHITECTE DANS LE NORD-OUEST DE L'EUROPE PAR FÉLIX NARJOUX, CROQUIS ET DESCRIPTIONS.

Sous le titre modeste de Notes de voyage, un architecte de la ville de Paris, M. Félix Narjoux vient de publier un livre fort intéressant, qui, bien qu'écrit surtout en vue de ses confrères et par conséquent un peu spécial pour les non-initiés, n'en constitue pas moins une étude forte, consciencieuse, d'une lecture facile et agréable pour tout le monde.

Le voyage de M. Narjoux comprend une partie de la Hollande, le Hanovre, la ville libre de Hambourg et le Danemark; et à ce sujet il me faut lui chercher querelle sur la seconde partie du titre qu'il a donné à son volume. J'ai bien peur en effet que ce titre ne prête à rire à l'étranger, où notre réputation comme géographes n'est rien moins que bien établie.

La Hollande, le Hanovre et Copenhague ne font point partie du nord de l'Europe. Dans tous les atlas imaginables ils sont englobés dans l'Europe centrale; et même en admettant que notre voyageur ait pris son point de départ pour point de comparaison, son appréciation serait encore fausse, car les trois pays par lui visités sont bien au nord de Paris, mais nullement à l'ouest de la France.

En dehors du titre général, qu'il faudra changer à la seconde édition, M. Narjoux a mis en tête de ses descriptions un sous-titre qui devra également être modifié. C'est la mention Hollande, Allemagne, Danemark.

Je n'aurais point parlé de cette triple mention, bien qu'elle m'eût paru singulièrement ambitieuse, si de l'autre côté de nos frontières elle n'avait été vivement relevée et critiquée avec une certaine verve. M. Narjoux en effet n'a visité que trois des onze provinces néerlandaises; en Allemagne son parcours a été (toute proportion gardée) encore plus sommaire et ses arrêts se sont bornés à Hanovre, Hambourg et Altona. En Danemark il n'a visité que Copenhague et Elseneur. Cela suffit pour faire une abondante moisson de souvenirs et de croquis, mais non pas pour porter sur un pays tout entier des jugements suffisamment mùris. C'est ce que relève avec beaucoup d'hu

mour le critique hollandais dont je parlais à l'instant. « A mon avis, dit-il, il y a du Cuvier dans les veines de chaque Français. Donnez-leur un détail ils vous décriront un ensemble. Ils voient une ville et ils décrivent une province; ils rencontrent un individu et ils jugent tout un peuple. »>

Le coup porte droit, car M. Narjoux ne se borne point à étudier les monuments, il juge aussi les habitants, leurs mœurs qu'il n'a guère eu, j'imagine, le temps de bien approfondir et leur caractère qu'il n'a pas le loisir de pénétrer. Il prend même dans sa

[graphic][merged small][merged small][subsumed]

préface le soin de nous révéler toute l'importance de ses croquis, car les édifices élevés dans chaque pays, nous dit-il, « sont comme l'indice de la grandeur et du degré de civilisation d'un peuple ». Ces paroles, fort bien dites du reste, se chargent malheureusement de justifier les attaques du critique hollandais; mais le plus curieux dans tout ceci, c'est que celui-ci retombe justement dans la faute qu'il reproche à l'architecte français, en généralisant outre mesure ses appréciations, et en jugeant tous les écrivains français, d'après les Notes de voyage.

Ces réserves faites, je m'empresse de constater que le nouveau livre de M. Narjoux est écrit avec une plume légère, sans prétention, sans érudition mal placée et sans

obscurités. L'intérêt se soutient d'un bout à l'autre, et dans les parties plus spéciales, où le technique revendique sa place, les croquis viennent merveilleusement en aide à l'esprit du lecteur.

Ces croquis en effet, malgré leur exactitude architectonique, adoptent volontiers des allures pittoresques, qui leur donnent un charme tout spécial. On sent qu'ils ont été tracés par un artiste accessible aux émotions de la nature, et dont la main, guidée par une érudition irréprochable, était depuis longtemps familiarisée avec toutes les

[graphic][merged small]

difficultés. Aussi fourniront-ils aux architectes de notre pays, auxquels du reste ils sont destinés, une foule de dispositions ingénieuses de motifs intéressants et de détails heureux qui pourront être utilisés avec fruit.

M. Narjoux en effet ne s'est pas borné à relever le plan et l'élévation des monuments anciens. Chaque fois que l'un de ceux-ci s'est trouvé sur sa route, il s'est empressé d'en tirer tous les enseignements qu'il comportait et d'en consigner dans son livre les traits généraux et les particularités qui l'avaient frappé; mais, guidé par un excellent sens pratique, il s'est aussi appliqué à nous faire connaître les édifices contemporains, les théâtres, les écoles et surtout les maisons particulières, et il les a étudiés avec une sûreté de coup d'œil et une compétence parfaite.

Ces détails d'architecture familière, si je puis m'exprimer ainsi, étaient à peu près

inconnus de nos architectes. Les passages qui leur sont consacrés ne pourront donc manquer d'avoir un très-vif succès auprès des confrères de M. Narjoux, et il faut nous attendre, avant qu'il soit longtemps, à voir tous les heureux motifs, dont son livre

[graphic][merged small][merged small]

fourmille, mis en œuvre dans la construction de nos villas, de nos hôtels et même de nos grandes maisons de rapport.

Disons tout de suite que ce ne sera que justice. Il est en effet difficile de ne pas goûter des documents aussi pittoresques que ces encoignures (fig. 89 et 94) que M. Narjoux a dessinées à Hanovre, encoignures qui en adoucissant les angles de rues transforment les croisements de voies en élégants carrefours.

J'en dirai autant des gracieux châteaux qui entourent cette même ville (fig. 125)

des robustes façades (fig. 451) copiées à Hambourg et des hôtels pittoresques relevés dans la Vondelstraat à Amsterdam (fig. 53).

:

Les archéologues préféreront, je le sais, les souvenirs du vieux temps. Les vues et les descriptions de monuments anciens la Boucherie de Haarlem (fig 40) par exemple, ou bien la tour de Montalban à Amsterdam (fig. 76), les vieux pignons d'une rue hanovrienne (fig. 94), ou encore le château de la Couronne (le Kroonborg) à Elseneur (fig. 213).

Quant aux simples amateurs, ils se sentiront surtout attirés par les meubles et les tapisseries, les objets d'art et de curiosité que M. Narjoux a précieusement recueillis pendant son séjour à Hanovre ou soigneusement copiés au Musée de Copenhague.

Il n'est pas jusqu'aux grandes collections hollandaises, à ces galeries sans rivales, asiles de tant de chefs-d'œuvre, auxquelles M. Narjoux ne consacre quelques pages. Ce sont là toutefois des matières trop connues, sur lesquelles il a été trop longuement écrit, pour que de simples notes de voyage soient capables de jeter un jour bien vif sur les points mai compris ou demeurés obscurs.

Malgré ces très-légères critiques, dont M. Narjoux sera le premier, j'espère, à reconnaître le bien fondé, je me fais un plaisir et mieux que cela un devoir de recommander la lecture attentive de son excellent livre. Comme le dit excellemment l'auteur, les Français ne voyagent point assez. Nous éprouvons d'insurmontables difficultés à quitter notre « belle France », que dis-je ? notre Paris, car combien d'entre nous ne connaissent même pas leur pays?

C'est donc une vraie bonne fortune pour nous que d'avoir de loin en loin quelque compatriote, qui mieux inspiré que la plupart d'entre nous s'aventure au delà de nos frontières. Dans ce cas, c'est un devoir de le suivre et de répéter cette phrase par laquelle M. Narjoux termine la préface de son livre :

« C'est une excursion nouvelle et intéressante que le lecteur peut faire; une promenade curieuse au milieu de pays, de gens et d'édifices qu'il ne connaît peut-être pas ou qu'il reverra avec plaisir s'il les a déjà visités. »

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »