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dentelles et de broderies des xvI et XVIIe siècles, touché indirectement à la question si grave de la participation facile, complaisante et naturelle des grands artistes aux travaux de l'industrie. Nous n'avons rien à retrancher aujourd'hui à ce que nous avancions alors; nous aurions même beaucoup à ajouter, si depuis quelque temps déjà tout sur cette matière n'avait pas été dit, surtout par un aimable savant que nous regrettons tous. On a compris que nous entendons parler du feu comte Léon de Laborde et de son admirable rapport du xxx Jury (Beaux-Arts) de l'Exposition universelle de Londres en 1852 : un travail qu'on ne refera plus, qu'on ne lira jamais assez, et où tout le monde qui écrit sur ces matières a largement puisé depuis. Gros volume de plus de mille pages, il est encore plus gros d'idées lumineuses, de faits, et des conseils les plus sages, les plus pratiques. Nous reviendrons une fois encore sur ce sujet, si bien développé aussi par Emeric David et dernièrement traité magistralement par Édouard Fétis, pour constater que l'illustre comte de Laborde prenait ses plus solides arguments, pour ce qui tient à l'Italie, dans les écrits de Vasari. Une école néocritique pourtant voudrait insinuer que les Vies des Peintres sont un livre écrit sans suffisante vérité historique, en vue de déprécier les autres écoles italiennes de peinture au grand avantage de la florentine, laissant à chaque page trop désirer des appréciations plus impartiales. Ces critiques si difficiles nous semblent aussi bien injustes, car, il faut bien l'avouer, sans l'ouvrage de Vasari l'histoire de la peinture en Italie n'existerait pas; toutes les monographies des autres écoles que nous possédons ne partant que de lui. Ces auteurs n'ont pas seulement pris à Vasari l'idée, la forme de son livre, mais très-souvent ils ont largement puisé dans ses Vies, bien que presque toujours sans même le citer : « Sicut canes ad Nilum bibentes et fugientes ». Ce reproche on pourrait l'adresser aussi à des écrivains d'art de nos jours, qui, en pillant sans vergogne journellement le livre vasarien, ont encore le courage d'en médire. Nous pourrions citer des exemples fort récents de cette ingratitude.

Pour être juste envers nous-même, nous devons nous reconnaître, à défaut d'autres qualités, celle bien modeste de lecteur assidu, infatigable de tout ce qui se publie sur l'art italien. Rio, Gruyer, Selvatico, Ranalli, Rosini, Kruger, Nagler, Waagen, Lanzi, Passavant, Clément,

1. De l'influence du dessin sur la richesse des nations. Paris, Charpentier, 1852, in-8°.

2. Édouard Fétis: L'Art dans la Société et dans l'État (Mémoire présenté à l'Académie de Bruxelles le 6 octobre 1870).

Charles Blanc, sans compter les anciens, sont toujours dans nos mains, Crowe et Cavalcaselle surtout, si remarquables pour leurs recherches diligentes, pour leur critique si finement savante. Eh bien! qu'auraientils tous pu faire sans les Vies de Vasari ? A chaque page de leurs volumes ce nom est toujours là; même ses inexactitudes ont servi, ont poussé à des nouvelles recherches, d'où jaillit la vérité.

La prédilection de Vasari pour l'École florentine, mon Dieu ! elle est bien facile à comprendre1; quand on a l'honneur d'y appartenir, il doit être bien difficile de ne pas éprouver une certaine fierté. « Florentinis ingeniis nil ardui est, » dit Cennino Cennini. Vasari était un peu de l'école de cet abbé de Saint-Yves, dans l'Ingénu de Voltaire; il pensait qu'un homme qui n'était pas né à Florence ne pouvait avoir le vrai sentiment de l'art, tout comme Saint-Yves n'admettait le sens commun possible qu'à Paris.

Cette vanité, si vanité il y a, Vasari la partagea avec tous les Florentins du XVIe siècle, qui acceptaient imperturbablement, ni plus ni moins que s'ils leur étaient dus, les hommages des plus illustres Italiens du reste de la péninsule, tels que l'Arioste. Les écrivains florentins s'arrêtent volontiers non-seulement à se mirer dans la splendeur vraiment exceptionnelle de la gloire artistique de la Toscane sur les autres États italiens, mais aussi «< per essere eglino molto observanti alle fatiche e agli studi di tutte le facoltà sopra qualsivoglia gente d'Italia. » (Varchi, St. fiorentina, vol. III, pag. 56.)

On n'a pas du reste fait assez attention à la différence qui existe entre les deux éditions de ses Vies, données de son vivant. On dirait vraiment qu'il avait pressenti les reproches qu'on lui a faits plus tard, et dans la seconde édition, il revient sur bien des jugements et se fait plus juste pour les autres écoles. On n'a qu'à lire la vie de Fra Giocondo, Liberale ed altri Veronesi, pour s'en convaincre. Du reste cette accusation est une absurdité car « on peut promettre d'être sincère, mais il ne dépend pas de nous d'être impartial. » Ce mot de Goethe est d'une grande vérité, surtout dans les disputes artistiques, dans lesquelles :

<< E poi l'affetto lo intelletto lega. »

Depuis quelque temps on semble revenir à des sentiments plus vrais

1. Telle est aussi l'opinion de Mariette « On reproche à Vasari, » dit-il dans sa lettre à Caylus sur Léonard, « d'avoir été trop partial à l'égard des peintres de son pays; c'est un défaut dont il est difficile de se garantir et qui lui est commun avec presque tous les auteurs de qui l'on a des vies de peintres, dont ils étaient compatriotes. 2. Firenze, Torrentino, in-4°, 1550; et Firenze, Giunti, 1568, in-4o.

et plus justes; le public se ravise et il s'opère en faveur de Vasari une réaction. Le mérite de ce bon mouvement en est aux savants illustrateurs de l'édition de Le Monnier, qui, tout en constatant les nombreuses erreurs de notre historien, ont su faire bonne justice de ces commérages.

Mais à quoi bon débuter par d'aussi graves considérations à propos d'un Lit du XVIe siècle? Nous espérons ainsi prouver une fois de plus que, même dans les questions des Arti minori, c'est encore de Vasari que nous vient la lumière. Le beau meuble dont nous allons nous occuper viendra nous fournir une nouvelle preuve de cette vérité.

Dans la vie de Dello (xve siècle), en parlant de ce que ce peintre consacrait son talent aux tableaux d'église aussi bien qu'à l'ornement des meubles, Vasari ajoute : « Et pendant de longues années l'usage se maintint que les meilleurs artistes, les plus excellents peintres, se livrassent à ces occupations sans en avoir honte (senza vergognarsi) comme le ressentiraient aujourd'hui beaucoup de nos contemporains 1», et il cite les meubles de Laurent de Médicis le Vieux, peints par la main «di pittori non mica plebei, ma eccellenti maestri ».

1

L'opinion de Vasari nous est confirmée par Lodovico Dolce dans son « Dialogo della Pittura, » dit l'Aretino : « Nous devons aussi, dit-il, reconnaître de lui (du peintre) qu'il est également l'origine et la forme de tous les arts manuels, puisque architectes, maçons, orfévres, ébénistes, sculpteurs en bois, brodeurs et jusqu'aux serruriers, tous doivent plus au moins avoir recours à lui. » Vasari condamnait donc les scrupules de ses contemporains. Ce fanfaron, ce sculpteur de cape et d'épée, Benvenuto Cellini, était aussi dans ces idées, et pourtant quel artiste et quel ouvrier! Le comte de Laborde observe, avec sa lucidité ordinaire, que « Michel-Ange, Pérugin et Raphaël lui-même ne se seraient nullement refusés à peindre des meubles par le sentiment de déroger en acceptant une telle besogne, mais seulement pour avoir d'autres occupations >>. Personne désormais n'attribue aux artisans qui exécutèrent ces beaux

4. Voici les propres mots de Vasari :

<< E per molti anni fù di sorte questa cosa in uso (la peinture des bahuts, des caisses de mariage, des meubles, des lits, des coches, etc.) che eziandio i più eccellenti pittori in cosi fatti lavori si esercitavano senza vergognarsi, con oggi molti facebbono dipingere e mettere a oro di simili cose! »>

Une exposition d'art industriel est venue donner la preuve définitive de cette heureuse union qui a toujours existé en Italie, à la bonne époque, celle qui a eu lieu à Milan l'année dernière, et « d'où l'association industrielle italienne avait soigneusement écarté tous les produits des arts libéraux proprement dits, et où pourtant tout respirait l'art le plus pur, l'art sans épithète », dit M. Courajod.

ouvrages en tout genre, à cette époque et plus tard aussi, le mérite de l'invention, ni dans l'école italienne, ni dans la française, ni dans l'allemande. Andrea del Verrocchio, Ghiberti, Pollajuolo, tous d'abord orfévres, se souvenaient de leurs collègues restés simples artisans et les aidaient dans leurs travaux, aussi bien que les Allemands Wohlgemüth, Schöen et Dürer.

Personne n'a certainement visité Florence sans remarquer les lanternes en fer forgé, ainsi que toutes les ferrures du palais Strozzi, d'un galbe si élégant, d'une exécution si délicate et précieuse. Comment croire qu'un simple ouvrier tel que Niccolo Grosso (dit le Capparra, parce qu'il refusait toujours de travailler sans avoir d'abord reçu des arrhes) aurait pu produire de telles merveilles, si Simone le Cronaca ne lui en eût fourni les dessins?

Les bibliothèques publiques et particulières nous montrent bien des ouvrages, reproduits par la gravure dans la seconde moitié du xvre siècle, qui sont des recueils de dessins, de délicieuses fantaisies, à l'adresse des orfévres, damasquineurs, ébénistes, armuriers et ouvriers de toutes sortes. Ces recueils, si communs encore au dernier siècle, si rares et si recherchés aujourd'hui, sont aussi, dit M. Eug. Piot, « des commentaires indispensables du plus grand nombres des objets précieux conservés dans les musées et les collections d'amateurs ».

Mantègne, Nicoletto Rosex, Raimondi, Francia, Vico, Giorgio Ghisi, le Caravage, le Franco, nous en passons et des meilleurs, nous ont, en Italie, laissé des montants d'ornements pour les stucateurs et des dessins d'orfévrerie; de même les Mechenen, les Martin Schöen, Kranach, Aldtorfer, Aldegraver, Dürer, les deux Beham, Virgile Solis, Holbein et tous les petits maîtres, sans oublier Hopfer et les Flottner, et en France, les Dubois, Sylvius, Du Cerceau, Théodore de Bry, Hafner, Morisson, Étienne de Laulne, Pierre Woeriot, Jean Cousin, Van Shoel, Daniel Marot, qui dessina des alcôves et des lits1. On n'a, sans se déranger, qu'à consulter chez soi des ouvrages populaires et qui sont dans toutes les mains, le Magasin pittoresque ou l'Art pour tous. Et voilà l'explication naturelle, le secret du goût qui à ces heureuses époques relevait les moindres objets et animait le plus mince outil : « l'aptitude à trouver le beau dans une saine application de l'utile et l'élégance de la composition dans la simplicité des moyens. »

L'Italie est encore le pays le plus riche en monuments de la vie

1. Voir les 23 vol. de modèles à la Bibl. nat, et un article du Cabinet de l'amateur, 4re série, 2 vol., page 318.

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