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soldats dispersés après Waterloo, par les marques de notre attachement à nos rois avant les journées de juillet, on aperçoit partout des traces de gloire et de malheur. Les chiffres de la duchesse d'Étampes, devancière de la comtesse de Châteaubriand, attirent les yeux, traces périssables de beautés évanouies. François Ier, qui sentait l'inanité de ses plaisirs, avait gravé avec la pointe d'un diamant ces deux vers sur un carreau de vitre:

Souvent femme varie :

Mal habil qui s'y fie.

Jeux d'un prince qui avait fait déterrer Laure pour la regarder. Où est le carreau de vitre? Des Français s'associèrent dans le dessein d'acquérir pour Henri, non encore banni, un parc abandonné dans un royaume conquis par ses pères. Courier éleva la voix contre l'acquisition, et le jeune homme innocent, auquel il avait voulu arracher Chambord,* a survécu.

Cet orphelin vient de m'appeler à Londres, j'ai obéi à la lettre close du malheur. Henri m'a donné l'hospitalité dans une terre qui fuit sous ses pas. J'ai revu cette ville témoin de mes rapides grandeurs et de mes misères interminables, ces places remplies de brouillards et de silence, d'où émergèrent les fantômes de ma jeunesse. Que de temps

déjà écoulé depuis les jours où je rêvais René dans Kingsington jusqu'à ces dernières heures! Le vieux banni s'est trouvé chargé de montrer à l'orphelin une ville que mes yeux peuvent à peine reconnaître.

Réfugié en Angleterre pendant huit années, ensuite ambassadeur à Londres, lié avec lord Liverpool, avec M. Canning et avec M. Croker, que de changements n'ai-je pas vus dans ces lieux, depuis Georges III, qui m'honorait de sa familiarité, jusqu'à cette Charlotte que vous verrez dans mes Mémoires! Que sont devenus mes frères en bannissement? Les uns sont morts, les autres ont subi diverses destinées : ils ont vu comme moi disparaître leurs proches et leurs amis. Sur cette terre où l'on ne nous apercevait pas, nous avions cependant nos fêtes et surtout notre jeunesse. Des adolescentes, qui commençaient la vie par l'adversité, apportaient le fruit semainier de leur labeur afin de s'éjouir à quelques danses de la patrie. Des attachements se formaient; nous priions dans des chapelles que je viens de revoir et qui n'ont point changé. Nous faisions entendre nos pleurs le 21 janvier, tout émus que nous étions d'une oraison funèbre prononcée par le curé émigré de notre village. Nous allions aussi, le long de la Tamise, voir entrer au port des vaisseaux chargés

des richesses du monde, admirer les maisons de campagne de Richmond, nous si pauvres, nous privés du toit paternel! Toutes ces choses étaient de véritables félicités. Reviendrez-vous, félicités de ma misère? Ah! ressuscitez, compagnons de mon exil, camarades de la couche de paille, me voici revenu! Rendons-nous encore dans les petits jardins d'une taverne dédaignée pour boire une tasse de mauvais thé en parlant de notre pays mais je n'aperçois personne; je suis resté seul!

:

Rancé va quitter Chambord, il faut donc que je quitte aussi cet asile où je crains de m'être trop oublié. Je vais retrouver la Loire non loin du parc abandonné; elle ne voit point la désolation de ses bords: les fleuves ne s'embarrassent point de leurs rives. Ne demandez pas à la Loire le nom des Guise dont elle a pourtant roulé les cendres. A cent cinquante lieues d'ici, je rencontrai, il y a huit mois, en terre étrangère, près du jeune orphelin, M. le duc de Lévis, fidèle héritier du compagnon de Simon de Montfort. Mirepoix était maréchal de la Foi, titre qui semble avoir passé à son dernier neveu. J'ai retrouvé aussi madame la duchesse de Lévis, qui porte le grand nom d'Aubusson; elle aurait pu écrire l'histoire de Philippine-Hélène, si elle n'avait des malheurs moins

romanesques à pleurer. Je n'étais pas, dans mon dernier voyage à Londres, reçu dans un grenier de Holborn par un de mes cousins émigrés, mais par l'héritier des siècles. Cet héritier se plaisait à me donner l'hospitalité dans les lieux où je l'avais si longtemps attendu. Il se cachait derrière moi comme le soleil derrière des ruines. Le paravent déchiré qui me servait d'abri me semblait plus magnifique que les lambris de Versailles. Henri était mon dernier garde-malade voilà les revenants-bons du malheur. Quand l'orphelin entrait, j'essayais de me lever; je ne pouvais lui prouver autrement ma reconnaissance. A mon âge on n'a plus que les impuissances de la vie. Henri a rendu sacrées mes misères; tout dépouillé qu'il est, il n'est pas sans autorité : chaque matin, je voyais une Anglaise passer le long de ma fenêtre; elle s'arrêtait, elle fondait en larmes aussitôt qu'elle avait aperçu le jeune Bourbon quel roi sur le trône aurait eu la puissance de faire couler de pareilles larmes? tels sont les sujets inconnus que donne le malheur.

A peine retourné de Chambord, un courrier dépêché de Blois vint apprendre à Rancé la maladie du duc d'Orléans. L'abbé se remit en route: Gaston était en danger; ce prince, si peu digne à Castelnaudary de la valeur du Béarnais, le parleur

de la Fronde, ne trouva pas un mot sur ses lèvres à dire à la mort un spectre se tenait debout au pied de son lit; Montmorency sans tête lui demandait le talion.

Rancé écrivit à Arnauld d'Andilly la lettre qu'on va lire, et que je dois encore à la politesse de M. de Montmerqué.

« Blois, 8 février 1660.

» Je n'aurois pas été tant de temps sans avoir >> l'honneur de vous escrire si la maladie et la >> mort de Monsieur ne m'en avoient empesché. >> Je vous avoue que, l'ayant assisté autant que je >> l'ai pu dans les derniers moments de sa vie, je >> suis tellement touché d'un spectacle si déplo» rable que je ne puis m'en remettre. On a ceste >> consolation qu'il est mort avec tous les senti>>ments et toute la résignation qu'un véritable >> chrestien doit avoir en la volonté de son Dieu. >> Il reçut Nostre-Seigneur dès le commencement » de son mal, et eut le soin lui-mesme de le de>> mander une seconde fois pour viatique avec de >> grandes démonstrations d'une foy vive et d'un » parfait mespris des choses du monde. Quelle » leçon, Monsieur, pour ceux qui n'en sont pas » détachés et pour ceux qui sont persuadés de

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