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Le sieur Daniel de Gueutteville, échevin, qui étoit chargé de l'ordre et direction de cet exercice, y avoit invité tous les habiles gens en fait d'armes de plusieurs endroits. Il en vint d'Amiens, Abbeville, Beaumont, Beauvais, Caen, Compiègne, Creil, Fallaise, Fescamp, Gisors, Ham, Lagny, Magny, Mantes, Meaux, Mellot, Montreuil, Paris, Rouën, Rosay, Vernon, de la province de Brie, avec un grand nombre de noblesse du pays. » (1)

Ce passage nous a paru de nature à intéresser d'autant plus vivement nos confrères de la Société Historique du Vexin, qu'il fournit un détail et quelques noms échappés aux recherches si consciencieuses du regretté Alfred Potiquet sur les Anciennes Compagnies d'Arquebusiers du Vexin. (2)

Il démontre, par exemple, l'existence avant 1609 de la Compagnie de Beaumont, sur laquelle feu Potiquet n'a trouvé aucun renseignement antérieur à 1615.

Avec quelle joie, si ce détail lui avait été connu, notre laborieux confrère n'aurait-il pas signalé la présence à ce Concours exceptionnellement solennel de ses chers concitoyens, les arquebusiers de Magny!

Il est certain qu'il n'eût pas non plus manqué d'ajouter ce fait remarquable à la note qu'il consacre aux chevaliers de l'arquebuse de Mantes.

Peut-être n'eût-il point osé conclure de ce seul texte que Montreuil-en-Vexin possédât une Compagnie, car le nom de Montreuil appartient à plusieurs localités voisines du Vexin sans lui appartenir, et la même observation peut s'appliquer à Rosay ou Rosoy; mais à coup sûr il n'aurait pas écrit : « Nous n'avons trouvé » trace d'aucune de ces Compagnies dans le Vexin Normand, » s'il avait constaté la présence de celle de Gisors à Dieppe en juillet 1609. Malheureusement, comme nous l'avons dit, cette date et les quelques noms que nous venons de rappeler sont tout ce que l'on peut tirer du document que nous avons transcrit.

Non plus que l'abbé Guibert, les autres chroniqueurs Dieppois ne nous fournissent point les noms des lauréats qui brillèrent en cette occasion, bien qu'ils ne tarissent pas en éloges sur la fête et sur la réception pompeuse que Dieppe fit à ses hôtes et qui nous donne quelque idée de la magnificence des Compagnies d'arquebusiers.

Quarante ou cinquante Compagnies auraient été invitées, d'après le prêtre Asseline (3), trente-quatre ou trente-cinq se rendirent à

(1) Guibert, Mémoires, etc., tome I, p. 241.

(2) Mémoires de la Société historique du Vexin, tome VI, p. 71-88.

(3) Les Antiquitez et Chroniques de la ville de Dieppe (Dieppe, 1874, deux vol. in-8°), tome II, p. 128.

l'invitation des Dieppois (1). Elles arrivèrent au jour fixé, c'est-àdire le samedi 4 juillet (2), aux portes de la ville. Les bourgeoisarbalétriers de Dieppe, séparés en deux Compagnies, montés sur de bons chevaux, les attendaient au dehors et se portaient à leur rencontre. Une Compagnie bourgeoise, campée à chaque porte, les saluait au passage d'une décharge de mousqueterie, puis, au son des trompettes, ils étaient menés au logis qu'on leur avait préparé. Le dimanche 5 juillet, M. de Sigongnes, gouverneur, organisa un cortège magnifique. Les huit Compagnies bourgeoises, magnifiquement vêtues, avec des étendards neufs, précédaient et suivaient les bourgeois-arbalétriers, au nombre de 15 ou 20, qui faisaient escorte au grand prix. Celui-ci, « qui estoit porté par quatre hommes nuds et noirs comme des nègres, » enchaînés comme des esclaves (3), <«< consistoit en un navire de quatre brasses, très bien doré, » qui figurait les armes de la ville, c'est-à-dire une barge d'or en champ parti d'azur et de gueules.

Outre les prix secondaires, en vaisselle d'argent et non d'étain, valant ensemble 2,400 livres, « ce vaisseau portoit un petit garçon et une petite pièce de canon (4), qu'il chargeoit et déchargeoit de temps en temps pour saluer les Compagnies pendant qu'elles marchoient en bon ordre au son des tambours et des trompettes. »> (5)

On se rendit ainsi de l'Hôtel-de-Ville à une prairie située en dehors de la ville, où les bourgeois et les troupes du château firent un simulacre de petite guerre; puis on revint dans le même ordre au jardin du gouverneur, où des abris et des tentes avaient été préparés, les uns pour le tir, les autres pour servir de lieu de repos et de centre de ralliement aux Compagnies du dehors, « ayant à chaque tente un escriteau en lettres d'or du nom de la ville,» à laquelle appartenaient les chevaliers, qui étaient au moins cent cinquante. (6)

Le lundi matin 6 juillet, « l'on commença à tirer: ce quy ne fut

(1) Daval, Histoire de la Réformation à Dieppe (Rouen, 1878, deux vol. petit in-4°), tome I, p. 180.

(2) La convocation avait d'abord eu lieu pour le 24 mai, mais la solennité fut reportée au 5 juillet (ibid.)

(3) « Enchainez au furein, » dit Guibert (p. 242), c'est-à-dire avec des cordages, cf. A. Jal, Glossaire nautique verbo funain, funin, etc.

(4) Deux pièces de cannon,» d'après les Daval qui citent l'inscription qu'on lisait derrière le navire :

Ces Maures, trainez en servage

Du bras vainqueur qui les a pris,

Viennent icy pour rendre hommage
A celuy quy aura le prix.

(5) Asseline, Les Antiquitez et Chroniques, t. II, p. 129-130.

Réformation, t. I, p. 182.

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(6) Ibid. p. 180-182.

achevé que le lundy suivant. Le grand prix fut gagné par ceux de Dieppe et de Beauvais esgallement. Ces derniers se contentèrent de prendre pour leur part 125 1. en jacobus qu'ils cousirent à leur bannière, et les premiers firent présent de ce grand prix à M. de Sigongne; mais ceux de Beauvais voulurent se promener par les ruës de la ville avec le prix devant qu'ils receussent leur argent » (1). M. de Sigongne fit plus tard suspendre ce navire à la voûte de la nef de l'église Saint-Jacques, en manière d'ex-voto et en mémoire de la magnificence qu'avait déployée la ville en cette circonstance solennelle. (2)

Nous ignorons quelle fut la part des Compagnies du Vexin dans la distribution de la « vaisselle d'argent » qui formait les prix secondaires, nous sommes seulement assurés qu'elles firent bonne figure, comme en témoigne la chanson qui fut alors composée, mais dont malheureusement quelques couplets mutilés sont seuls arrivés jusqu'à

nous.

C'est par eux que nous finirons :

Les enfants d'Abbeville
De Magny, de Beaumont,
De Rouen, bonne ville,
Avec ceux de Vernon
Vinrent faire apparoitre
Que ce prix meritoit
Que chacun fit connoitre
Comme il se deffendoit.

Les enfants de la Brie
Sans estre negligens
Vinrent en braverie
Et tous ceux d'Amiens
Ayans tous assurance
D'emporter quelque prix.

Gisors, Meaux et Mante,

Mellot, aussi Monstrueil,

Lagny, ville plaisante,

Falaise, Caen et Croeil,
Ham, Fescamp et Compiegne,

Beauvais, Paris, Rosoy
Deployoient leur enseigne

Comme fideles au Roy.

(1) Asseline, ibid. p. 183.

(2) Ibid. p. 131.

Le sieur de Gueutteville
Bravement les recoit

A Dieppe, noble ville,

Où ce beau prix estoit. (1)

A coup sûr, le bon Asseline, en se bornant à ces fragments, n'a rien fait perdre à la gloire de la poésie française, mais peut-être estil regrettable pour l'histoire de l'arquebuse en Picardie et au Vexin qu'il n'ait point eu le courage de transcrire au long la chanson, les registres des bourgeois-arbalétriers de Dieppe ayant probablement péri lors du fameux bombardement de 1694, ou s'étant perdus depuis.

(1) Asseline, ibid. p. 128.

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