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Ces historiens des deux derniers siècles ont eu de nos jours d'habiles et heureux continuateurs. Vous n'attendez pas de moi que je vous les nomme en commentant leur œuvre cela dépasserait infiniment les limites de cet entretien. Permettez-moi du moins, en envoyant un salut discret aux hommes dévoués à la science et à l'histoire qui sont dans cette enceinte, et pour plusieurs desquels on peut dire que le culte du passé est en quelque sorte un patrimoine (applaudissements), permettez-moi de donner un souvenir de regret à celui qui avait été l'un des promoteurs de ces excursions scientifiques, et qui, après avoir avec son ami Fitan, publié ce document si précieux pour votre pays, le Journal d'un Bourgeois de Gisors, eût consacré certainement une large part de son temps à l'étude de vos antiquités, si la mort ne l'eût prématurément moissonné il y a quelques mois à peine.

En payant ce tribut à la mémoire d'Henri Le Charpentier, je souhaite, Mesdames et Messieurs, car je ne voudrais pas terminer par une parole de tristesse, je souhaite et j'espère voir s'élever parmi nous une jeune et ardente génération de chercheurs, venant combler les vides douloureux qui se sont faits coup sur coup dans les rangs des travailleurs de la Société Historique. L'œuvre à faire est belle, grande et vaste: infinis sont les champs qui s'ouvrent devant nous. Dieu aidant, mesurons notre tâche avec confiance, et puissent les ouvriers ne pas manquer à la moisson! (Applaudissements répétés.)

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LETTRE

SUR LE CHATEAU DE GISORS

Par A. DE DION

Montfort, 1er juillet 1884.

MONSIEUR ET CHER PRÉSIDENT,

Vous avez bien voulu, en m'engageant à prendre part à l'excursion que la Société historique du Vexin va faire à Gisors, me demander une communication sur le château de cette ville. Vous me rappeliez que j'ai publié, en 1867, dans le Bulletin monumental une Exploration des châteaux du Vexin, et que dans une réunion tenue à Rouen, en mai 1876, j'ai lu une étude sur les frontières de la Normandie. Des circonstances imprévues m'empêchant, à mon grand regret, de me rendre à votre invitation, j'aurais voulu mettre un certain nombre de ces brochures à votre disposition pour servir de texte aux discussions qui ne peuvent manquer d'avoir lieu sur les différentes parties de ce monument. N'en ayant plus à ma disposition, je veux comme preuve de bonne volonté, en reproduire ici les principales parties.

Je souhaite beaucoup que quelqu'un du pays, plus au fait de la

topographie locale, après avoir rassemblé tous les textes et visité tous les lieux, reprenne la question et nous donne le tableau complet des luttes dont la frontière entre les deux Vexins fut le théâtre pendant le xie et le xire siècle.

A partir de la Seine, la frontière de la Normandie était formée par le cours de l'Epte sur une longueur de 80 kilomètres. Sur ses rives, à tous les passages, se dressaient des châteaux destinés à défendre l'entrée du pays. En face de ceux-ci, d'autres, en aussi grand nombre, garnissaient les points faibles de la rive française.

C'est une erreur assez générale de croire qu'au moyen âge chacun construisait des châteaux à sa fantaisie. Nul au contraire ne pouvait construire une tour ou un château, ni même le réparer sans l'aveu de son suzerain; se passer de cette permission était une révolte. Ce droit du souverain n'était pas un envahissement du pouvoir royal sous Saint-Louis, comme le dit M. Viollet-le-Duc dans un passage intéressant de son dictionnaire (art. Manoir); il était de l'essence du régime féodal et faisait partie de cette vigoureuse organisation sociale. Les grands vassaux y tenaient avec autant de rigueur que le roi lorsqu'ils en avaient la force. Nous trouvons ce droit consacré dans les coutumes de Normandie proclamées en 1080 au concile de Lillebonne.

Dans un château en plaine nul ne pouvait donner au fossé qui le fermait plus d'un jet de terre de profondeur (c'est-à-dire que l'ouvrier devait jeter la terre du fond sur le bord sans se servir de banquette de relais; une profondeur de 2 mètres 50 à 3 mètres était le maximum que l'on put atteindre). Nul ne pouvait ajouter à la palissade qui garnissait ce fossé des tours et des redans; nul enfin ne pouvait sans la permission du duc, construire un château dans une île ou sur des rochers.

Nulli licuit in Normannia fossatum facere in planam terram, nisi tale quod de fundo terram potuisset jactare superius sine scabello; et ibi nulli licuit facere palicium nisi in una regula et id sine propugnaculis et alatorüs; et in rupe et in insula nulli licuit in Normannia castellum facere (Martène. Thes. anecd. IV. 47-)

Ces règles furent souvent violées dans les moments d'anarchie ou chacun agissait à sa guise. Pendant la minorité de Guillaume le Batard on vit s'élever le redoutable château d'Arques et un grand nombre d'autres ; puis lorsqu'il fut devenu Guillaume-le-Conquérant tout fléchit devant lui, et les plus puissants vassaux de la Normandie, les comtes d'Évreux et d'Alençon furent contraints de souffrir un donjon royal dominant leur principal forteresse. Mais aussi à la mort de ce prince redouté ils se hâtèrent de chasser les garnisons royales qui les surveillaient. Chacun, à leur exemple, profitant de la mollesse du duc Robert, on vit, au milieu de la confusion générale,

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