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leur faire payer; même celui qui commande à Pontoise qui a d'autres maisons où il sera aisé de se revancher (1). »

Les faits dont parle Henri IV s'étaient passés le 21 août 1591. La garnison de Pontoise, profitant effectivement de l'absence du capitaine d'Hédouville, que le roi appelle « Erdouville », avait pillé l'Isle-Adam, incendié le château et mis le feu en divers endroits.

Les Ligueurs conservèrent, toutefois, intacte la tour du château dans laquelle ils laissèrent une garnison composée de lansquenets pour garder le passage de l'Oise. Mais l'Isle-Adam ne resta pas longtemps au pouvoir des soldats de M. d'Alincourt. Le 12 septembre suivant, MM. d'O, de Fontenay et autres qui étaient partis de Senlis avec le régiment de la garde, d'autres troupes, quatre pièces de canons et 254 boulets de batterie, en huit charrettes, et 24 caques de poudre à canon, parurent devant cette petite ville. L'artillerie était commandée par Jonny, commissaire royal. On somma les lansquenets de se rendre; sur leur refus, le feu fut ouvert immédiatement, et une brèche pratiquée à coups de canon. On allait donner l'assaut quand les Ligueurs, se voyant dépourvus de moyens suffisants de défense, firent des propositions de rendre la place. Le capitaine d'Hédouville reprit la défense du château et maintint libre le passage de la rivière si favorable aux communications (2).

Dans la prolongation de la trève, du 1er septembre 1592, consentie entre MM. d'O et d'Alincourt, la neutralité de la ville et du château de l'Isle-Adam est confirmée par cette nouvelle convention d'une manière formelle, le 13 mars 1593.

Le 11 juillet de cette même année 1593, un terrible ouragan de grêle causa des dégâts considérables.

Reprenons la suite des seigneurs qui ont possédé le domaine de l'Isle-Adam.

Henri Ier, duc de Montmorency, connétable de France, second fils d'Anne de Montmorency, succéda à son frère dans la propriété de l'Isle-Adam.

Il mourut en 1614 dans la ville d'Agde, dépendant de son gouvernement de Languedoc.

Henri II, de Montmorency, connétable de France, après le décès de son père, hérita de tous les domaines de l'Isle-Adam. Par suite de l'arrêt du Parlement de Toulouse du 30 novembre 1632, qui condamna le connétable à perdre la tête sur l'échafaud, tous ses biens furent confisqués et mis à la disposition du roi.

En considération des services de la maison de Montmorency et en faveur de Charlotte-Marguerite de Montmorency, princesse de

(1) Le roi pensait alors, sans doute, au château d'Hallaincourt. (2) Extrait de la Ligue à Pontoise, par M. Le Charpentier.

Condé, et des duchesses d'Angoulême et de Ventadour, sœurs du connétable, le roi, par lettres patentes du mois de mars 1633, donna aux duchesses d'Angoulême et de Ventadour les domaines d'Ysigny, et au prince de Condé et à son épouse tous les domaines de l'Isle-Adam.

Du mariage de Charlotte-Marguerite de Montmorency avec Henri II, prince de Condé, est issu Armand, dit le Grand Conti, chef de la branche des princes de ce nom (1). C'est à partir de ce prince que la châtellenie de l'Isle-Adam est entrée dans la famille des Conti et qu'elle y est demeurée jusqu'en 1784, époque où cette terre a été acquise du dernier des Conti par Monsieur et cédée le même jour au roi Louis XVI.

Par le partage des biens de la succession de Henri II, prince de Condé, fait en 1651, tous les domaines de l'Isle-Adam échurent à Armand, prince de Conti, frère puîné du Grand-Condé, qui épousa, le 22 février 1654, Anne-Marie, fille de Jérôme, comte de Martinozzi, noble Romain, et d'une sœur du cardinal de Mazarin.

C'est ce même prince de Conti qui, étant lieutenant-général du Languedoc, abolit la société dite: Abbaye de la jeunesse de Beaucaire, en 1660, dont le singulier abbé était chargé d'organiser les plaisirs publics et de les présider. Cette abolition eut lieu : « à cause » des insolences et de l'infinité des désordres qui troublent le re» pos publicq et qui empêschent le commerce ordinaire qui doibt » estre entre les habitants d'un même lieu (2). »

Ce prince religieux écrivit un traité contre la danse et les spectacles. Il établit à l'Isle-Adam des prêtres de la congrégation de Saint-Joseph dont la maison mère était à Lyon. Outre la cure de la paroisse, il leur céda également le service des chapelles de SaintPierre du Château, et de Saint-Lazare de l'ancienne maladrerie. Ces prêtres missionnaires devaient continuer à instruire gratuitement les jeunes enfants, ce qu'ils faisaient déjà depuis 1660 (3).

(1) Le titre de prince de Conti avait déjà été porté avant Armand par François de Bourbon, fils de Louis de Bourbon, premier prince de Condé, marié en 1605 à LouiseMarguerite, fille du duc de Guise.

Cette princesse de Conti, célèbre par son esprit et sa beauté, devint veuve en 1614. Les uns attribuent à J.-B. Rousseau, les autres à La Fontaine, le couplet suivant adressé à cette princesse sur la passion vraie ou fausse que le roi de Maroc avait pour elle depuis que son portrait était tombé entre les mains de ce monarque:

Votre beauté, grande Princesse
Porte les fruits dont elle blesse
Jusques aux plus sauvages lieux.
L'Afrique avec vous capitule,
Et les conquêtes de vos yeux

Vont plus loin que celles d'Hercule.

Bulletin du Bouquiniste, 1863.

(2) Presque toutes les villes du Midi avaient de ces associations joyeuses. Notices biograph. du Gard, par L. Alègre, 1880, t. II.

(3) La gratuité des écoles n'était pas chose nouvelle. Déjà le concile d'Orléans, en

C'est également sous ce même seigneur que la peste éclata dans la contrée. L'Isle-Adam eut beaucoup à en souffrir ; ce fléau sévit en l'année 1663.

Ce vertueux prince de Conti mourut en 1666, laissant deux fils en bas âge.

Durant le veuvage et la tutelle d'Anne-Marie, le château de l'IsleAdam fut incendié. Tandis qu'on était occupé des travaux de réparations, la pieuse douairière se retira à Jouy-le-Comte, dans un petit pavillon qui était au chevet de l'église. C'est elle qui, après avoir bâti le presbytère de cette paroisse et augmenté le jardin, commença des travaux de réparation et d'agrandissement de l'église, interrompus par sa mort, arrivée en 1672.

Messire Jacques, curé de Jouy-le-Comte, fait le plus bel éloge de cette princesse en disant d'elle: Ipsa sibi elogium est.

Par le partage des domaines d'Armand de Conti fait entre ses deux jeunes enfants, la seigneurie de l'Isle-Adam échut à LouisArmand, comme fils aîné. Ce prince épousa, le 16 janvier 1680, Anne-Marie, fille légitimée de Louis XIV et de La Vallière. Il fut élu roi de Pologne à la mort de Sobieski, en 1697. Le célèbre Jean Bart conduisit le cortége royal; mais lorsque le prince arriva pour prendre possession du trône, il le trouva occupé par Auguste II. Ce prince est mort en 1709.

Louis Armand, prince de Bourbon-Conti, étant décédé sans postérité, François-Louis, son frère puîné, lui succéda dans tous les domaines de la seigneurie de l'Isle-Adam. Il épousa Marie-Thérèse de Condé dont il eut Louis-Armand, né le 10 novemhre 1695.

François-Louis, prince de Bourbon-Conti augmenta considérablement le domaine de l'Isle-Adam. Ce fut lui qui, désirant annexer le terrain occupé par les bâtiments de l'église et du prieuré, ruinés de vétusté, sollicita un échange. D'accord avec Monseigneur de Charnillard, évêque de Senlis, qui jouissait alors de la commende du prieuré de Notre-Dame, avec l'abbé de Saint-Martin de Pontoise qui avait la nomination du dit prieuré, et avec S. E. le cardinal de Janson, en sa qualité d'ordinaire de l'église de l'Isle-Adam, cet échange eut lieu contre le fief, maison, jardins et dépendances de M. Bardou de Valicieux. Ce domaine était situé en la grande rue de l'Isle-Adam. Outre cette importante transaction, le prince fit également restaurer le château et construire le pavillon à gauche, à la place de la grosse tour qu'il fit abattre. Ce vieux monument féodal que la jalousie des comtes de Beaumont n'avait jamais osé

800, prescrivait la gratuité dans les écoles des paroisses. Ce sont les laïques et non les religieux qui ont exigé à leur profit des rétributions scolaires. A défaut de pieuses fondations, ordinairement c'était le clergé qui faisait les frais de l'instruction des pauvres.

faire démolir, montrait avec orgueil les mille cicatrices que lui avaient faites les biscaïens et les boulets de l'ennemi!

Le xviie siècle venait de commencer son cours avec la décadence des mœurs, les luttes du Parlement, les audaces de la philosophie, les attaques du trône et de l'autel et tous les coups de tonnerre, lugubres avant-coureurs de l'orage révolutionnaire.

Le 13 août 1717 naissait à Paris Louis-François de Bourbon, prince de Conti cinquième du nom. Il était fils unique de LouisArmand, prince de Conti, et de Louise-Elisabeth de Bourbon Condé. Il entra en possession de la seigneurie de l'Isle-Adam, à la mort de son père, le 4 mai 1727, et épousa, en 1732, LouiseHenriette de Bourbon, duchesse d'Orléans, qui mourut deux ans après, en mettant au monde Louis-François-Joseph, comte de la Marche, né le 1er septembre 1734.

Cet illustre seigneur de l'Isle-Adam, vulgairement appelé le Père Prince, moins pour le distinguer de son fils que pour lui donner un témoignage de reconnaissance et d'affection, était né avec les plus brillantes qualités qui l'ont rendu célèbre dans la guerre, les sciences, les arts et la politique. Un poète a résumé son éloge dans ce simple quatrain :

Des héros de son sang il augmenta l'éclat;
Mécène des savants, idole du soldat,
Favori d'Apollon, de Thémis, de Bellone,
Il protégea les arts et défendit le trône.

Notre vaillant prince et seigneur donna des preuves de sa valeur guerrière. En 1744, il gagna la bataille si meurtrière de Coni en Sardaigne, et prit la ville de Mons deux ans après. En récompense de ses services militaires, le Roi lui concéda six pièces de canon prises sur l'ennemi. Ces trophées ornaient l'avant-cour du château de l'Isle-Adam.

Le poète l'a dit : Notre prince guerrier était devenu l'idole du soldat qui avait combattu sous ses ordres et aidé à ses victoires. Jamais il n'oublia de tels services; nous pourrions en citer nombre de preuves, mais choisissons un seul exemple, il suffira pour attester le dévouement et la reconnaissance réciproques du général et du soldat.

Ce bon prince aimait à témoigner son attachement pour ses compagnons d'armes; il les traitait en amis et les recevaient dans son château de l'Isle-Adam.

Rappelons un fait singulièrement comique qui se passa en 1750. Un officier du prince de Conti, étant couché dans le château de l'Isle-Adam, sentit tout à coup enlever sa couverture; il la retire; on renouvelle la plaisanterie; tant qu'à la fin l'officier, ennuyé,

jure d'exterminer le mauvais plaisant, met la main à son épée, cherche dans tous les coins de la chambre et ne trouve rien. Étonné, mais brave, il veut, avant de conter son aventure, éprouver encore le lendemain si l'importun reviendra. Il s'enferme avec soin, se couche, écoute longtemps et finit par s'endormir; alors, on lui joue le même tour que la veille. Il s'élance du lit, renouvelle ses menaces et perd son temps en inutiles recherches. La crainte s'empare de lui; il appelle un frotteur qu'il prie de coucher dans sa chambre, sans lui dire, toutefois, pour quel motif. Mais l'esprit qui avait fait son tour ne paraît plus.

La nuit suivante, il se fait accompagner du frotteur à qui il raconte ce qui lui est arrivé, et ils se couchent tous deux. Le fantôme ne tarde pas à manifester sa présence. Il éteint la chandelle qu'on avait laissée allumée, les découvre lestement et s'enfuit; comme nos deux braves avaient entrevu dans l'ombre une façon de monstre difforme, hideux et gambadant, le frotteur s'écrie que c'était le diable et court chercher en la chapelle du château de l'eau bénite. Mais au moment qu'il levait le goupillon pour asperger la chambre, l'esprit le lui enlève et disparaît.

Les deux champions poussent des cris, on accourt, on passe la nuit en alarmes, et le matin on aperçoit, sur le toit de la maison, un gros singe qui, armé du goupillon, le plongeait dans l'eau de la gouttière et en arrosait les passants (1).

Il faut avouer que si cette grotesque aventure ne fit pas grand honneur à la bravoure du compagnon d'armes de notre prince et seigneur, du moins les habitants du château et du bourg de l'IsleAdam en eurent grande liesse. D'ailleurs, rappeler ce souvenir, c'est expliquer bien des faits analogues; à ce titre nous réclamons indulgence.

L'hospitalité était légendaire au château de l'Isle-Adam; c'était le rendez-vous des princes du sang; les philosophes du jour s'y rencontraient avec les savants et les artistes; en un mot, tous les gens d'esprit étaient assurés d'y trouver bon accueil.

Madame de Genlis nous apprend que chez M. le Prince de Conti, à l'Isle-Adam, chaque dame invitée trouve une voiture et des chevaux à ses ordres; elle est maîtresse de donner tous les jours à dîner dans sa chambre à sa société particulière.

La gaîté, l'esprit et la grâce, dans cette résidence princière, ne faisaient jamais défaut. Citons, pour exemple, une pièce de vers extraite d'une notice sur le marquis de Chauvelin, publiée par Gabriel Abry (Bruxelles, 1859).

M. le marquis de Chauvelin savait manier tout à la fois la plume

(1) Migne, Dictionnaire des sciences occultes, art. Esprits.

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