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«teur a supporté la fatigue et les ennuis de l'enseignement : «entre les leçons publiques, il ne m'a pas épargné les in<«<structions particulières; ses bons avis ont développé més « dispositions, ses louanges m'ont inspiré du courage, ses << avertissements ont dissipé ma paresse. Il a tiré de l'engour« dissement, comme par la main, mon esprit lent et tardif; << il ne m'a pas versé la science goutte à goutte, dans la vue << de se rendre plus longtemps nécessaire, il aurait voulu « pouvoir me la donner tout à la fois. Je serais un ingrat, si « je ne le mettais au nombre de ceux que j'aime et que je << respecte le plus. »

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Ce noble sentiment, ce pieux respect, Cicéron ne le conservait pas seulement envers ses maîtres, il l'étendait jusqu'au lieu même où il avait reçu leurs leçons.

Qui ne sait que Marc Aurèle rendait grâces au ciel, avant tout, de deux choses la première, c'est d'avoir eu luimême de bons instituteurs; et la seconde, d'en avoir trouvé d'excellents pour l'aider à élever ses propres enfants?. Ce prince portait son respect pour ceux qui avaient été ses maîtres jusqu'à leur rendre une espèce de culte domestique : il avait orné son foyer de leurs images d'or, et il mettait des fleurs sur leurs tombeaux.

En un mot, les anciens, comme dit Juvénal, voulaient que les enfants honorassent dans un instituteur la sainte autorité et les bienfaits d'un père.

Mais ce respect qui est dû aux instituteurs, à tant de titres dont le paganisme lui-même proclame la valeur, leur est dû encore pour une autre raison plus intime et plus profonde : la loi du respect a ici sa première et indestructible racine et son impérieuse nécessité dans la nature essentielle des choses, et au fond même de l'œuvre qui est à faire dans l'enfant.

L'éducation, en effet, est essentiellement une œuvre d'autorité et de respect: si l'une de ces deux grandes conditions vient à manquer, l'œuvre périt. Si l'autorité manque dans l'instituteur, eût-il toutes les vertus, il sera condamné à l'impuissance si le respect manque dans l'enfant, eût-il le

plus excellent instituteur, tous les soins les plus intelligents de l'affection la plus dévouée seront inutiles.

J'ai dit que l'instituteur doit respecter religieusement l'enfant qui lui est confié; c'est une des grandes lois de l'éducation. Mais à plus forte raison l'enfant doit-il respecter celui qui l'élève. Un enfant dont on fait l'éducation est essentiellement un être respectueux, ou il n'est rien et tombe au-dessous de tout.

Je dois aussi nommer la reconnaissance, à laquelle l'instituteur a droit aussi bien qu'au respect; mais il n'y faut guère compter. Dussé-je attrister mes lecteurs, je le répéterai : « L'éducation est un ingrat ministère. »

L'instituteur se dévoue pendant de longues années, dix heures par jour, et au delà; supporte les inégalités du caractère, les défauts grossiers, les boutades de mauvaise humeur; sa vie tout entière est sacrifiée à l'éducation de l'enfant, et cependant l'ingratitude est le prix ordinaire de tant de dévouement et de tant de sacrifices.

Et il y a de cela deux grandes raisons sur lesquelles j'insiste, parce que je ne sais rien de plus grave à méditer par les instituteurs et par les parents eux-mêmes.

La première, c'est que tout ce qu'on fait pour les enfants, les services sérieux qu'on leur rend, l'instruction, les soins, la nourriture même qu'on leur donne, tout ce qui n'est pas un plaisir nouveau et inattendu, leur est à peu près indif férent, ou du moins, s'ils ne peuvent s'en passer, comme des aliments, cela leur paraît si simple, si bien dû, qu'ils n'y font aucune attention et n'en savent aucun gré. Voyez-les à la maison paternelle tout ce que leurs parents font pour cux leur semble une véritable dette, ou plutôt ils ne définissent rien, mais ils témoignent bien rarement quelque reconnaissance. Les instituteurs les plus dévoués ne peuvent pas espérer mieux..

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Je dirai plus, car je veux tout dire qu'on remplace à peu près complétement leurs parents auprès d'eux, qu'on les élève même gratuitement, qu'on prenne d'eux les soins les plus paternels, qu'on se charge de les nourrir, de les vêtir;

non-seulement ils n'en éprouvent aucune reconnaissance, mais souvent même cela leur causera un certain embarras, une gêne qui les éloignera de vous; les bienfaits qui vont si loin leur plaisent peu, et quelques-uns auront de la peine à vous les pardonner, si vous n'y mettez pas une délicatesse

infinie.

Mais ce qui leur inspire encore moins de gratitude, et ce qui les choque même, c'est précisément le plus grand service qu'on leur puisse rendre, à savoir: la correction de leurs défauts. Oui, c'est là ce qui les blesse profondément; ils ne peuvent souffrir qu'on s'occupe à réformer leur nature; ils aimeraient bien mieux un instituteur qui, leur laissant leurs défauts, toucherait moins à leur personnalité. C'est pour cela surtout qu'ils ne sont à mes yeux, et aux yeux de toute raison éclairée, que des ingrats, mais des ingrats qu'on doit toujours aimer. L'instituteur, digne de la mission d'en haut, doit porter son abnégation jusqu'à se désintéresser de la reconnaissance même; et, s'il ne veut pas rencontrer les plus amers mécomptes, il faut qu'il y renonce, au moins dans le temps où il fait son œuvre. Mais ce à quoi il ne peut jamais renoncer, c'est le respect.

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Je dirai même moins il demande la reconnaissance, et plus il s'en détache, plus il demande le respect, et plus il en est digne. Le désintéressement serait d'ailleurs ici une prévarication déplorable, et le renversement même de l'œuvre qu'il est chargé d'accomplir. Fût-il prince et fils du roi, il faut que l'enfant respecte celui qui l'élève, ou il ne sera pas élevé; et lorsque le duc de Bourgogne, dans un de ces emportements terribles dont le duc de Saint-Simon nous raconte qu'ils faisaient tout trembler autour de lui, dit un jour à Fénelon « Non, non, monsieur, je sais qui je suis et qui vous êtes, » on sait comment Fénelon lui apprit qu'il ignorait l'un et l'autre, le remit à sa place, et ne lui pardonna qu'à la prière de Louis XIV, du grand Dauphin et de madame de Maintenon.

Fénelon avait raison, et plus ceux qu'on élève sont destinés à de grandes choses, plus il faut leur enseigner la loi du

respect. Plus ils doivent occuper un rang élevé en ce monde et y exercer d'autorité, plus il faut leur apprendre à se respecter eux-mêmes et à respecter les autres. Ses envieux ont accusé notre langue d'être quelquefois légère jusqu'à la frivolité, d'avoir une aisance facile et vaine, et je ne sais quelle souplesse dont souffre la gravité des mœurs publiques ; je n'examine point ici la justesse de ces plaintes; mais, quand la langue française dit : « C'est un homme qui ne se respecte « plus. Un prince doit se respecter lui-même, s'il veut que << les peuples le respectent; » quand la langue française prononce de telles paroles, il faut l'avouer, jamais avertissements plus graves n'ont retenti plus dignement en aucune langue à l'oreille des hommes.

Quoi qu'il en soit de ces diverses remarques sur les expressions sévères par lesquelles notre langue se plaît à flétrir ceux qui manqueront au respect, il est assurément remarquable que, quand Jésus-Christ voulut frapper du trait le plus énergique de sa divine parole un homme profondément dépravé, le Maître céleste ne sut dire de lui que ces mots : « C'est un homme qui ne respecte ni Dieu ni les hommes. >> C'était tout dire; quand on ne respecte ni Dieu ni les hommes, il y a longtemps qu'on ne se respecte plus soimême, et alors nul ne sait les bassesses intellectuelles, morales et physiques auxquelles il est donné d'atteindre,

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Ce que je tiens à affirmer en ce moment, c'est que, dans l'éducation surtout, les fautes contre le respect sont les fautes les plus malheureuses qui se puissent rencontrer. Et pour quiconque n'est pas un enfant et a l'intelligence des choses divines et humaines, après les fautes que l'impiété fait commettre, il n'y en a point de plus graves. Où en sommes-nous à cet égard?

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VARIÉTÉS.

LETTRE DE M. JOMARD A PROPOS DE LA NOTICE SUR FEU DEMOYENCOURT.

M. Jomard, président honoraire de la Société pour l'Instruction élémentaire, après avoir lu l'article nécrologique publié sur feu Demoyencourt dans le dernier numéro du Bulletin de la Société de l'année 1858, a écrit la lettre suivante à M. Godart de Saponay, lettre que nous sommes heureux de publier comme complément de la notice sur Demoyencourt.

Monsieur le vice-Président,

Paris, 9 février 1859.

Je viens de lire avec beaucoup d'intérêt la notice néerologique que vous avez consacrée à la mémoire de notre bien regrettable collègue Demoyen court. Aucun des professeurs qui ont dirigé des écoles d'enseignement mutuel n'a rendu plus de services que lui à la propagation de cette bienfaisante méthode par le dévouement, le travail et la haute intelligence, et il méritait l'hommage que vous lui avez rendu. Dès les premiers jours, il dirigeait un de ces établissements avec autant de distinction que de zèle, et l'école Duras a servi de modèle à beaucoup d'autres. Témoin des efforts qu'il a faits pour répondre à la confiance de la généreuse fondatrice et des fondateurs du nouveau système, ayant moi-même été heureusement en position de le seconder, je puis ajouter mon témoignage à ceux que vous avez rapportés. Le baron de Gerando, mon illustre ami, ne manquerait pas, s'il vivait, d'y joindre le sien, ayant encore plus d'autorité. Permettez, monsieur le vice-Président, que j'y ajoute quelques mots.

C'est parce que je connaissais, par expérience, tout le mérite de M. Demoyencourt que, douze ans après cette époque

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