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EXCURSION

à l'abbaye de Bonport, à Pont-de-l'Arche et à Poses.

COMPTE RENDU

Par M. Louis RÉGNIER,

Inspecteur de l'Association.

Voir l'abbaye de Bonport, les églises de Pont-del'Arche, de Léry et de Notre-Dame-du-Vaudreuil, le barrage et les écluses de Poses, tel était l'objectif de la première excursion de l'Association Normande aux environs de Louviers. Ce programme avait de quoi séduire. Aussi les excursionnistes furent-ils nombreux, une quarantaine environ, dont plusieurs dames, que les promenades annuelles de la Société d'Études diverses de l'arrondissement de Louviers avaient familiarisées avec l'archéologie et avec les archéologues, en dépit des soi-disant beaux esprits qui volontiers rabaissent l'une à de ridicules occupations et font des autres l'objet d'interminables plaisanteries.

Le trajet de Louviers à Bonport se fit allègrement et gaîment, malgré un brouillard assez intense qui dérobait aux regards les riantes perspectives de la vallée. Les beautés de la forêt de Bord, autrement

dite forêt de Pont-de-l'Arche, les échappées que procurent de nombreux percements, la majesté des magnifiques plantations de hêtres dont la vue, suivant la remarque de M. Legrelle, « console un peu les vieux normands de la disparition croissante des futaies à corneilles du pays de Caux » (1), tout cela fut à peine soupçonné, et la descente sur Pont-del'Arche et la vallée de la Seine ne se présenta pas avec son charme habituel. Le soleil parut pourtant comme nous approchions de Bonport, mais il ne parvint pas du premier coup à dissiper la brume, et ceux de nos confrères qui n'avaient pas dans leurs souvenirs la vision ensoleillée de ce vaste panorama durent admirer quasi de confiance la situation, ravissante et majestueuse tout à la fois, du célèbre monastère.

L'abbaye de Bonport.

Tout le monde connaît la tradition qui se rattache à l'origine de Bonport. Richard Coeur-de-Lion, chassant dans ces parages, poursuivait un cerf avec une telle impétuosité que son cheval s'élança dans la Seine à la suite de l'animal. Le péril était grand. Cependant, le roi put regagner la rive, et, pour remercier la Providence, peut-être même pour accomplir un vou fait au moment du danger, il

(1) Arsène Legrelle, Pont-de-l'Arche, dans la revue la Normandie, 9e année, p. 368 (numéro de juin 1894). Ce charmant article, dans lequel l'auteur a consacré deux pages gracieuses à la flore de Pont-de-l'Arche, était destiné au tome second non paru de l'ouvrage intitulé: Les Environs de Rouen.

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fonda, à l'endroit même où il avait abordé, une abbaye de religieux cisterciens à laquelle il donna, par reconnaissance, le nom significatif de NotreDame de Bonport. On a prétendu fixer le fait au 4 octobre 1190, mais la chronologie des événements contemporains rend cette date inadmissible, et il faut se contenter de dire que l'abbaye de Bonport fut fondée en 1189 ou 1190.

Bonport a perdu, partie à la Révolution, partie dans la première moitié du XIXe siècle, sa haute et vaste église, son cloître et quelques-uns de ses bâtiments conventuels. Mais tout ce qui subsiste a eu la bonne fortune d'échoir à des mains respectueuses, et ces restes vénérables sont aujourd'hui entretenus avec un soin qui fait plaisir à voir. M. Lenoble, l'heureux propriétaire de la vieille abbaye, a même restauré plusieurs parties des bâtiments fâcheusement modifiées au XVIIIe siècle par des religieux devenus, eux aussi, avides de confort, et dont l'esprit trop académique ne comprenait plus la grandiose beauté des constructions d'autrefois. La salle capitulaire a retrouvé ainsi sa voûte, ses colonnes, ses baies si élégantes. Nos confrères purent, d'ailleurs, apprécier l'exactitude et la fidélité de ces « restitutions » sobres et bien entendues, comme aussi admirer la piété avec laquelle sont recueillis et conservés tous les fragments et débris d'importance diverse que des terrassements, voire même de simples travaux de jardinage, font journellement retrouver.

M. Lenoble a, depuis quelque temps, un autre titre à la reconnaissance des archéologues: c'est la

manière dont il a encouragé et facilité les recherches d'un jeune ecclésiastique, vicaire de Pont-del'Arche, que la vue de tous ces débris si suggestifs avait enflammé d'une louable ambition, celle de reconstituer par la description et par le dessin le magnifique ensemble du Bonport d'autrefois. M. l'abbé Chevallier a su mener à bien, autant que le permettaient les débris et les documents existants, cette tâche à la fois attrayante et difficile; il en a tiré un livre qui paraîtra bientôt et dont le manuscrit, présenté par l'auteur au concours d'archéologie ouvert par la Société libre d'Agriculture de l'Eure en 1901, a obtenu le prix biennal fondé par M. Lucien Fouché.

M. Lenoble voulut bien nous faire lui-même les honneurs de sa belle habitation et des restes de l'abbaye, dont nous pûmes à loisir examiner tous les détails; mais il tint à laisser à M. l'abbé Chevallier le soin de nous donner sur chaque partie du monastère les renseignements historiques et archéologiques qui convenaient. Nous vîmes ainsi successivement: les débris de l'église, qui, hélas! n'est plus représentée que par la seule partie inférieure des murs et des piliers, fragments encore intéressants, d'ailleurs, et relativement bien conservés, sauf au déambulatoire, où tout a disparu ; les vestiges du cloître, reconstruit pour la troisième fois au XVIIIe siècle; - le splendide réfectoire, vaste salle voûtée de 30 mètres de long sur 10 de large, qui a surtout contribué à la réputation moderne de Bonport, et qu'embellissait jadis une élégante chaire de lecteur, dont il reste fort heureusement

la

quelques précieux vestiges, juste assez pour permettre à M. l'abbé Chevallier d'en donner dans sa monographie une authentique reconstitution; la cuisine, d'une si curieuse structure, un des rares spécimens conservés de ces anciennes cuisines monastiques dont le plus beau type en France est la fameuse tour d'Évrault, à Fontevrault; salle voûtée qui était sans doute le noviciat et que M. Lenoble a transformée en un musée où l'on voit avec intérêt des tombes plates, dont une faite de carreaux émaillés, des effigies funéraires en relief, des chapiteaux, bases, clefs de voûte, fragments divers ornés de sculptures; enfin, l'ancienne bibliothèque, située au premier étage et de si grand air avec ses hautes boiseries de la fin du XVIIe siècle.

Notre visite se termina par les appartements du rez-de-chaussée, aménagés avec beaucoup de goût par M. Lenoble. On y admire une série de beaux bahuts des XVe, XVIe et XVIIe siècles, de jolis meubles du temps de Louis XV et de Louis XVI, des tapisseries anciennes de fabrication flamande, etc. Une petite salle a conservé un revêtement de boiseries du XVIIIe siècle qui prouve que les religieux de cette époque, s'ils ne savaient plus apprécier l'art des ancêtres, avaient toujours le sentiment d'un luxe de bon aloi et d'une richesse bien ordonnée.

Il y avait une heure que nous étions à Bonport, une heure trop rapidement écoulée. Nous dûmes prendre congé de M. Lenoble, et M. de Longuemare se fit notre interprète à tous en remerciant l'aima

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