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terrains stratifiés (urgeberge, flotzgebirge), soit d'après des vues à priori sur la structure de la terre, soit d'après l'absence ou la présence des restes des corps organiques.

Les idées ingénieuses d'Arduini (1) qui concordent d'une manière si sensible avec les opinions émises un peu plus tard par Werner, ne paraissent pas avoir été connues hors de l'Italie; déjà cependant, les anciens naturalistes suisses, Lang, Scheuchzer, Bourguet, avaient décrit et figuré les poissons des schistes de Glaris, les pectunculites et les ostracites du Pilate et du Guppenberg, les nummulites des Alpes de Schwitz (2), et la connaissance de ces fossiles avait dû faire placer le terrain du calcaire alpin avec le calcaire stratifié (Flotz-kallh), quelque extraordinaire que pût sembler d'ailleurs l'existence du calcaire stratifié à une hauteur de cinq jusqu'à huit mille pieds, à l'époque où régnait généralement la théorie des sédimens. Plus tard même, Escher (3) dans ses premiers travaux, renchérit encore sur l'idée que l'on s'était formé sur l'ancien niveau de la mer, en annonçant qu'il avait trouvé des fossiles dans des débris de la Jungfrau, élevée de 12,000 pieds. Cependant le système géologique prit à l'école de Werner un développement plus considérable; d'abord le calcaire stratifié (flotz-kallh) fut distingué en calcaire plus ancien (le zechstein), et en calcaire plus moderne (le muschelkalk); quelques années plus tard, on dénomma comme une formation calcaire encore plus ancienne, le calcaire de transition (reberg ans kalk), alternant avec la grauwacke.

Des élèves distingués de l'école saxonne qui ne se faisaient pas illusion sur l'étroitesse des bases de la nouvelle doctrine, s'empressèrent d'en chercher de plus larges dans les autres montagnes du globe. Les Alpes furent explorées dans toutes leurs directions et des suites nombreuses de roches qu'elles renferment comparées avec celles de la Thuringe et de la Saxe, et avec les caractères décrits dans les leçons de Freiberg. Le zélé Escher, qui voyait avec peine arracher à la Suisse la gloire de fonder elle-même la théorie de ses montagnes, rivalisait d'ardeur avec eux.

M. de Humboldt (4) croyait retrouver le zechstein dans le calcaire

(1) Arduini opera, Venez., 1775, traduite en allemand. Dresden, 1778. (2) Il ne trouve aucune indication des fossiles des Alpes, ni dans C. Genn. der er foss., 1565, ni dans Wagner, Hist. nat. Helv., 1680. (3) Geognost. nebers, der alpen 1796. Alpinas, 1806.

(4) Dans l'année 1793. Nebers die unterird, Gasarten, 1799.

alpin plutôt à cause du défaut complet d'analogie que ce dernier présentait avec le muschelkalk, que parce que les deux terrains comparés offraient une grande analogie de caractères. MM. de Buch (1) et Karsten (2), partageaient alors la même manière de voir; appuyée sur l'autorité de ces grands géologues, cette opinion s'introduisit dans le Manuel géologique de Reuss (3), qui, aussi long-temps que le système de Werner prédomina, fut regardé comme l'oracle de la science géognostique. Calcaire alpin et zechstein devinrent alors une expression synonymique, et les caractères de ces deux formations se trouvèrent réunis dans le système géologique comme dans les descriptions de roches, sans aucune ligne de démarcation, et liés ensemble par une concordance apparente. Cependant M. de Buch (4) avait déjà reconnu la présence du calcaire de transition dans les Alpes et avait décrit comme tel le calcaire noir, alternant avec la grauwacke schisteuse (grauwackeschiefer) à Abtenau et auprès de Werfen. Reuss croyait encore, de son côté, que plusieurs des formations calcaires décrites pár de Saussure devaient être réunies à ce calcaire plus ancien. Gruner (5), que Werner comptait au nombre de ses élèves les plus capables, en rapportant la molasse et le nagelflüh au groupe du grès bigarré et en admettant avec le plus grand nombre des géologues suisses (6) de l'Europe, que les terrains calcaires les plus antérieurs reposent snr le nagelflüh, introduisait conséquemment le muschelkalk ou calcaire stratifié moderne dans la série des terrains des Alpes Suisses.

Cependant, le petit nombre d'exceptions que nous venons de citer ne suffisait pas pour changer l'usage du langage usité; les doutes même les mieux fondés qui se manifestaient de différens côtés sur la présence générale du zechstein dans les Alpes trouvaient à peine des partisans.

Personne, à cette époque reculée, n'est allé plus loin qu’Ultinger, dans sa description du reste estimable de l'Allgau (7), pour

(1) Min. beschr. von landecsh, 1797, beobd. aufreisen 1, 1802.

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(6) ( Manuel) Mineral. Beschr. der westl. schweiz in Stopfeners Magaz. IV, 1789.

(7) Leonh. taschenb. VI et VII, 1812.

retrouver dans les Alpes tous les terrains stratifiés de la Thuringe, Selon lui, une formation de conglomérat et de grès analogue au todtliegende, succède au calcaire de transition qu'il nomme, avec Escher, calcaire des hautes montagnes; sur cette formation repose le zechstein, ou calcaire alpin, au-dessous duquel se trouve immédiatement le calcaire des hautes montagnes, et qui peut en être difficilement distingué; une secoude formation de grès correspond au grès bigarré (buntes sandstein); à cette formation succède le muschelkalk, comme un terrain dans lequel dominent des marnes sablonneuses, et qui renferme de grandes masses de fer argilifère, lentiforme; enfin la molasse doit représenter le quader sandstein. Cette comparaison de la série des formations alpines avec celle du nord de l'Allemagne ne peut être considérée comme le résultat d'un examen rigoureusement vrai, puisque, sans parler des différences essentielles qui existent entre les roches et les fossiles des deux contrées, on pourrait révoquer en doute jusqu'à l'existence matérielle des formations indiquées; cependant elle fit faire un pas important à la géologie des Alpes, en ce qu'à partir de cette époque, les terrains de grès et de marne schisteuse, qui jusqu'alors avaient été négligemment placés avec les terrains calcaires, furent nettement désignés et reconnus comme des divi: sions importantes des terrains de sédiment des Alpes.

On devrait s'attendre à trouver dans l'ouvrage important qu'Ébel publia à cette époque, les bases solidement jetées de cette partie de la géognosie alpine; bien loin de là, au contraire, l'auteur de la structure de la terre (1) semble avoir été le seul qui n'ait point envisagé le problème à résoudre qui s'offrait à lui, dans l'esprit scientifique dominant. Conduit par l'idée extrêmement judicieuse, que dans l'histoire naturelle des Alpes, comme dans les autres parties de cette science, le principe de la classifi cation ne devait pas reposer sur les caractères peu apparens que la nature semble avoir elle-même négligés, mais bien sur ceux qu'elle même rend manifestes à nos yeux, Ébel reconnut que les chaînes formaient les véritables termes ou unités naturelles dans le système de ces montagnes. Dans sa description, les montagnes calcaires septentrionales se divisent en quatre chaînes indépendantes (il est bon de dire qu'il les a observées seulement en Suisse, et sur un espace peu étendu); chacune de ces chaînes est caractérisée par la disposition particulière des couches, le gisement et la nature

(1) Bauder Erde, 1808.

des roches qu'elles renferment, et l'on pourrait même se hasarder à attribuer à chacune d'elles un âge différent, si dans un grand nombre d'endroits les couches d'une chaîne ne se continuaient pas dans celles d'une autre. Du reste, Ébel semble avoir attaché peu d'importance au principe émis par l'école freibergienne, sur la division par formation d'âge. Ce n'est même qu'en passant qu'il a remarqué que l'étage inférieur des deux chaînes méridionales doit correspondre au calcaire de transition, tandis que l'étage supérieur et toute la masse des deux chaînes septentrionales représente le calcaire alpin, autrement nommé zechstein.

Peu à peu cependant, l'existence du calcaire de transition des Alpes s'accroissait aux dépens du calcaire stratifié. Déjà Gruner (1) s'était plaint de la difficulté de déterminer les limites entre les diverses formations calcaires; Escher (2), par la même considération, aurait voulu réunir toute la masse du calcaire alpin sous la nouvelle dénomination de calcaire des hautes montagnes, et ne plus distinguer dans cette formation que des différences minéralogiques. Escher et Ébel, non sans avoir entraîné avec eux dans l'erreur d'autres géologues, se laissèrent guider par les principes trop étroits de l'école de Werner, en donnant trop de valeur aux caractères minéralogiques des roches. Ils nommèrent grauwacke tout grès argileux à grains non arrondis, et calcaire de transition. tout calcaire d'une couleur foncée, alternant avec des schistes argileux. Ils ne cherchèrent même pas à préciser ces dénominations par la détermination, toujours, il est vrai, très difficile dans les Alpes, des rapports de gisement de ces terrains. M. de Buch (3) s'éleva avec raison contre ces abus de la terminologie, et ce fut à cette occasion qu'il émit l'opinion que la chaîne calcaire la plus intérieure, avec ses masses de grauwacke, de schiste et d'argile, appartenait aux terrains de transition, les conglomérats de Mels, de Niésen et de Sepey, au todtliegende, et la chaîne septentrionale du Stockhorn et du tour d'Ayouzechstein. Cependant des explorations faites soigneusement dans la partie opposée des Alpes allemandes convainquirent M. Mohs (4) que tout le calcaire des Alpes, ou du moins la plus grande partie, devait être rangée dorénavant avec les terrains de transition. La comparaison des caractères minéralogiques des roches avec ceux des calcaires de

(1) Alpina, I, 1806.

(2) Alpina, 1, 1806.

(5) Belliner magazin, 1809. () Moll's Ephem., 1809.

l'Allemagne septentrionale, ont principalement déterminé sa con

viction.

Au surplus, l'alternance du calcaire alpin avec des roches analogues à la grauwacke, la difficulté de séparer d'avec le calcaire alpin récent les terrains calcaires reposant sur les terrains primitifs et alternant avec le schiste argileux ancien, le défaut assez fréquent de stratification et l'absence de fossiles, devaient d'autant plus augmenter l'autorité de l'opinion de ceux qui considéraient le calcaire alpin comme appartenant à une époque très ancienne, que l'on s'était plus familiarisé avec les caractères du calcaire de transition dans d'autres contrées.

M. de Lupin (1), qui nomme le calcaire alpin une roche engloutissant toutes les autres, croyait aussi devoir regarder ce calcaire comme plus âgé que le zechstein, et comme étroitement lié avec les terrains de transition. Ce n'était que dans les grès et dans les marues des vallées intérieures, formées au milieu de ce calcaire, dont la puissance et l'étendue sont bien autrement considérables que celles de ces deux roches, ce n'était que dans le fer oolitique, le nagelfluh et la molasse enfin, qu'il reconnaissait des formations. plus récentes.

Dans les temps modernes, nos meilleurs géologues ont parlé dans ce sens, et, nous fondant sur l'imposante autorité d'Escher, de Mohs, de MM. de Lupin, Hausmann, Charpentier, Beudant et Cordier, nous pouvons assurer, comme l'un des résultats les plus certains acquis à la science par les observations anciennes et nouvelles, que les puissaus terrains calcaires des Alpes, si l'on ne considère que la nature de la roche, ses rapports de gisement, d'alternance et de stratification, ne peuvent être rapprochés d'aucune des formations wernériennes, si ce n'est du calcaire, du schiste, et de la grauwacke des terrains de transition. C'étaient précisément ces rapports que l'école de Freiberg avait envisagés comme les plus importans dans les recherches géognostiques, et comme les caractères principaux des formations.

Une nouvelle époque commence pour la géologie du calcaire alpin avec l'apparition sur le continent des travaux des géologues anglais sur les terrains secondaires. La série des formatious secondaires, que Werner croyait se terminer avec le muschelkalk, et à laquelle d'autres géologues allemands avait à peine osé ajouter le quadersandstein, se vit tout d'un coup augmentée des groupes

(1) Moll's Ephem., 1809.

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