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années que dura son long exil.

Cependant, M. l'abbé Tapin démontre-t-il même cela? N'ayant sous la main ni la Vie quadripartite, ni D. Bouquet, ni D. Luc Dachery, ni Roger de Hoveden, ni Baronius, ni Surius, je ne peux, ainsi que j'en ai prévenu la Compagnie, reprendre à fond l'histoire de saint Thomas; je me contente de suivre l'auteur de la brochure, sans essayer de refaire son travail, convaincu d'ailleurs qu'il n'aura pas négligé ce qui, dans ces auteurs, pouvait servir à sa thèse. Or, voilà les faits tels qu'il les établit.

Le 22 juillet 1170, à l'entrevue de Fréteval, auprès de la Ferté-Bernard, le prélat fit sa paix avec le roi d'Angleterre, et, pendant que Henri II devait faire réparer les torts qu'il avait causés à l'Église, saint Thomas obtint la permission d'aller remercier ceux qui lui avaient donné leur appui pendant sa disgrâce. Ses historiens le montrent à Sens, à Paris, à Tours, à Chaumont près de Blois, puis encore à Sens et enfin à Rouen. Mais ils négligent d'indiquer des dates qui fixent la durée de ces voyages, ni leurs étapes.

M. l'abbé Tapin s'efforce de suppléer à leur silence par des supputations plus ou moins exactes cela peut surprendre de la part d'un critique assez exigeant pour ne vouloir admettre une tradition, si elle ne s'appuie sur un texte. Mais, à coup sûr, ces calculs de probabilité ne lui donnent guère le droit de prétendre,

La brochure de M. l'abbé Tapin soulève donc une intéressante question de critique, mais elle ne la résout

pas.

Les traditions ont une valeur réelle qu'une négation appuyée seulement de déductions problématiques ne suffit pas à abolir, et le silence d'un ou de plusieurs historiens sur le fait qu'elles constatent n'est qu'un silence, c'est-à-dire rien.

Qu'il me soit permis de le dire en finissant, les traditions sont des matériaux historiques très-mal mis en œuvre par l'école de dénicheurs de saints. Loin de vouloir les détruire et de chercher ainsi à mutiler l'histoire, dans le prétentieux dessein de la redresser, les véritables érudits cherchent plutôt à recueillir les faits conservés dans la mémoire des populations, à les préciser et à les rattacher aux autres récits du passé.

Le témoignage humain n'a pas besoin, pour conserver sa valeur, d'avoir été matériellement formulé sur une feuille de parchemin; et si, au travers des âges, la tradition s'est quelquefois obscurcie, c'est un travail pieux que de la rétablir et de la fixer, c'est un travail ingrat de chercher seulement à l'effacer et à la détruire.

Gaston LE HARDY.

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Le Fusil primitif.

Dans son Étude sur une Charte relative à une grande ville de bois, insérée au tome XXV de nos Mémoires, M. Puiseux rattache à une expédition conduite par l'amiral de France Jean de Vienne, en 1385 & la plus << ancienne mention de l'arme qui, de perfectionne«ments en perfectionnements, est devenue le fusil « moderne. Jusqu'à présent, dit-il, on n'en a pas fait << remonter l'usage au-delà de l'année 1411, où l'on « voit, d'après Juvénal des Ursins, 4,000 canons et <«< couleuvrines figurer dans l'armée du duc d'Orléans. « Il est évident, pour le P. Daniel, que cela doit s'en<< tendre de pièces de petit calibre, analogues à ces « gros mousquets dont on se servit depuis en les ap« puyant sur des fourchettes, et cette conjecture me «< paraît confirmée par la mention faite par le même « Juvénal, à l'année 1414, de canons à main. Or, voici, « ajoute M. Puiseux, une pièce authentique qui montre « Jean de Vienne employant, en 1385, des canons por«tatifs jetant plomb. C'est là, trente ans plus tôt qu'on « ne le pensait, le mousquet primitif. Il en est de même << de presque toutes les inventions du moyen-âge, etc., « etc. >>

Je vais commencer par enchérir sur M. L. Puiseux, et cependant je finirai par me séparer de lui.

dont on peut le mieux abuser.

Mais ces canons à main, ce n'est pas seulement en 1385 que je les vois, c'est près de trente ans plus tôt. En 1358, Etienne Marcel fait mettre à l'Hôtel-de-Ville l'artillerie du Louvre qu'on se disposait à conduire à Meaux; et dans l'ordre émané de lui, où cette artillerie est détaillée, figurent trois canons à main ou futez, deux sans feust (Voyez l'Histoire de l'Hôtel-de-Ville de Paris, par M. Le Roux de Lincy, 1" partie, p. 234).

et

La question d'époque est donc vidée contre 1385 au profit de 1358, jusqu'à ce que 1358 le cède à son tour à quelque autre date..... pour ce qu'on appelait les canons à main.

ni

Mais j'incline fort à penser que ni canon à main, canon portatif, ni couleuvrine, ne signifient le mousquet, tout rudimentaire qu'on le suppose : je veux dire qu'aucun de ces mots n'exprime l'arme à feu qui se décharge, étant tenue par l'homme. Je crois que tout cela a trait à des canons d'assez petite taille pour être déplacés. manuellement (1), mais je ne veux que montrer cette question à ceux qui seraient disposés à l'approfondir: je ne le suis pas pour le moment.

Je leur recommanderai seulement un document qui pourrait leur échapper. C'est un article publié par la Revue Anglo-Française, en septembre 1834, sur un

(1) Notez cette synonymie donnée par Marcel: ou futez: ce qui veut dire sans doute que leur affût permettait de les remuer même à bras,

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canon trouvé en mer près de Calais. Cet article me paraît, d'après une table du Magasin pittoresque, avoir été reproduit, texte et planche, dans le tome IV, p. 199, de ce Recueil. M. Puiseux, qui souligne le plomb que jetaient les canons portatifs de Jean de Vienne, verra qu'il ne peut s'en appuyer; car le vieux canon dont il s'agit, et qui n'était pas fait pour être employé comme mousquet, était encore chargé, et c'est un boulet de plomb qu'on y trouva.

Je montrerai aussi que je ne suis pas seul de mon bord. Dans son livre sur Jacques Coeur, p. 442, M. le baron Trouvé dit: « Les canons furent d'abord de fer. « On donna ce nom, dans les premiers temps, non<< seulement aux grandes pièces d'artillerie, mais encore « aux armes à feu d'un petit calibre que l'on pouvait « porter et remuer avec la main, tels que les crapaudeaux « et les couleuvrines. Il y en avait, au rapport de Juvénal « des Ursins, 4,000 dans l'armée du duc d'Orléans, << sous Charles VI. >>

Je laisse de côté une erreur de M. Trouvé, qui lui est commune avec M. Puiseux : l'armée en question est celle du duc de Bourgogne et non celle du duc d'Orléans. Ce qui importe ici, ce sont les mots : « qu'on peut porter et remuer avec la main. » L'auteur ne dit pas : qu'on peut décharger en la portant. Il comprend donc comme moi l'expression canon à main.

Si le mousquet primitif eût été connu en 1358, il ne lui aurait pas fallu cent ans pour se perfectionner et devenir usuel, et je ne lirais pas dans une Notice du Musée d'artillerie, imprimée en 1833: «...Les poitrinals à mèche, ce qu'il y a de plus ancien dans les armes à feu portatives, remontent en France au règne de Louis XI. >>

Eug. DE SAINTE-BEUVE.

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