Page images
PDF
EPUB

« les lèvres, un vrai mot de philosophe chrétien en«trant dans l'éternité ! »

M. Charma, suivant son biographe, n'était pas seulement un philosophe chrétien, c'était aussi un antiquaire, mais pas un antiquaire comme tout le monde : « Il mêlait, dit-il, à toutes choses, même à l'étude des << tombeaux romains ou des vases gaulois, un grain de « cette philosophie analytique qui le suivait partout; « pour lui, l'archéologie n'est pas l'art de piocher aux « bons endroits, mais une science ayant des principes, << un but dans l'ensemble des connaissances humaines; << sa doctrine me paraît très-nettement résumée dans <«< ce mot inscrit par lui au commencement d'une de « ses plus intéressantes recherches : « Étudions ses «< détails, mais ne nous y arrêtons pas. » En effet, a c'est bien là sa manière de procéder: soigner l'anaalyse, mais pour la synthèse. - Grâce à l'observation « de ce principe, ses travaux archéologiques ne con<< sistent pas en une nomenclature fastidieuse; il a << toujours en réserve une vue d'ensemble qui donne à « son style une élévation à laquelle on ne s'attend pas, « à sa pensée une portée qui surprend en pareille « matière. »

M. Charma était encore un biographe distingué: << Ses biographies de Fontenelle et de Condorcet, pour « les théories duquel il est très-indulgent, révèlent, « dit M. Frère, d'éminentes qualités littéraires; l'his<toire de la vie et des œuvres de Lanfranc, de saint An

[ocr errors]

« son mouvement, dit-il, n'est pas en lui; il ne saurait << y avoir deux grands hommes dans un même sys« tème, pas plus qu'il n'y a deux âmes dans un corps. « Le premier moteur, c'est Guillaume (le Conquérant ). << Mais, ajoute-t-il, je ne voudrais pas non plus l'amoina drir, et c'est quelque chose que d'avoir compris une << haute pensée, et d'en avoir été, pendant près de vingt ans, le digne ministre et l'intelligent intera prète. »Ne voyant plus en lui l'homme public, mais l'homme de science, et l'étudiant comme écrivain et comme philosophe, M. Charma reconnaît que Lanfranc a contribué par sa leçon à former (et c'est bien là son meilleur ouvrage) un des esprits les plus élevés, un des philosophes les plus profonds du moyen-âge, saint Anselme de Cantorbéry, sur le front duquel brilla du plus vif éclat la double auréole de la piété et du génie.

M. Frère partage de tout son cœur les préférences de M. Charma pour saint Anselme : « Saint Anselme a pour lui, dit-il, une individualité caractéristique dont le << trait principal est la foi la plus sincère, et en même «< temps la plus réfléchie. Évêque à un moment où il « était surtout difficile de l'être, il déclarait à Henri Ier, «< ce monarque assez instruit pour mériter le surnom « de Beauclerc, qu'il ne se reconnaîtrait l'homme d'au«< cun mortel. Je suis chrétien, disait Anselme, je suis «moine, je suis évêque, je veux garder ma foi à tous, « selon ce que j'en dois à chacun. A sa douceur, dit

[ocr errors]

l'apôtre s'est mis au service d'une loi qui ne fléchit «< point; c'est qu'il parle au nom des sublimes vérités <devant lesquelles tout n'est que poussière et néant; «< c'est que le dernier vicaire du Christ est encore bien « au-dessus du premier des princes de la terre! il n'est << pas de couronne qui ne s'abaisse devant la main qui << bénit. >>

Après avoir décrit la vie active d'Anselme, nous l'avoir fait connaître comme un des chefs les plus intrépides de l'Église militante au XIe siècle, il le suit dans sa vie spéculative; il essaie de démontrer que, si Anselme fut le plus grand prélat de son temps, il en fut encore le maître le plus habile, l'orateur le plus éloquent, l'écrivain le plus distingué, le plus profond philosophe.

C'est avec une intention patriotique, dit M. Frère en terminant, qu'il a passé moins rapidement sur la partie de l'œuvre de M. Charma qui touche spécialement la Normandie. Nous devons l'en féliciter, car, comme il l'a dit si bien « Lanfranc, saint Anselme et l'abbaye du Bec « sont des gloires normandes, et, par ces temps de « mollesse, on doit avoir la fierté de ses gloires régionales, comme d'autres ont la fierté de leurs aïeux. »

[ocr errors]

RENAULT,

Conseiller honoraire à la Cour.

Compte-rendu d'une brochure de M. l'abbé Tapin sur saint Thomas de Cantorbéry, par M. Gaston Le Hardy.

Suivant une tradition recueillie par des historiens que personne n'ose accuser de l'avoir inventée, saint Thomas de Cantorbéry, durant l'exil qui précéda sa mort, passa quelques jours au Val-Richer et à Lisieux, où l'on garde encore aujourd'hui, comme reliques et témoins de son passage, quelques ornements épiscopaux ayant alors servi au futur martyr des libertés de l'Église catholique, immolé aux royaux essais des libertés anglicanes.

Dans la petite brochure dont vous m'avez chargé de vous rendre compte, M. l'abbé Tapin s'est donné la tâche de détruire la vieille tradition lexovienne. Cependant, à l'aide de quelques restrictions plus ou moins nettes et de suppositions plus ou moins hasardées, il prétend disjoindre la question du séjour de saint Thomas au Val-Richer et à Lisieux de l'authenticité de ses reliques.

« C'est ainsi, dit-il, que nous éloignons de nous tout soupçon d'attenter au respect dû aux choses saintes, en même temps que nous sollicitons les esprits sérieux à des efforts dont le résultat doit être d'augmenter la piété, de dissiper des inquiétudes et d'éclairer l'ignorance toujours prétentieuse des contradicteurs.

« Nous n'avons donc plus en présence que cette donnée de la tradition qui affirme que saint Thomas de Cantorbéry a passé au Val-Richer le temps qui s'est écoulé depuis le jour où il fit sa paix avec son roi jusqu'au moment où il se disposa à rentrer définitivement dans son diocèse. >>

l'Angleterre; puis, du même coup, il circonscrit la période pendant laquelle le prélat aurait pu venir dans le Lieuvin. Des six années d'exil du saint évêque, il se dispense ainsi d'examiner celles qui s'écoulèrent de 1164 jusqu'au 22 juillet 1170.

Débarqué à Gravelines, en Flandre, le 3 novembre 1164, saint Thomas passa quelque temps à St-Omer, puis à Soissons, où il fut honorablement accueilli par le pieux roi Louis VII, et de là se rendit à Sens près du pape Alexandre III, banni lui-même d'Italie. L'exil du saint archevêque fut une longue Odyssée que je ne puis entreprendre de retracer. L'abbaye de Pontigny fut son asile ordinaire, mais non sa constante résidence, et l'actif et courageux prélat fit de nombreux voyages, tant à la cour de France qu'auprès de tous ceux qui le soutenaient dans sa lutte contre le despotisme de Henri II.

Le Lieuvin, comme le reste de la Normandie, était soumis à l'autorité de ce prince. Un voyage à Lisieux était sans doute une périlleuse entreprise. Cependant, quand on songe au caractère plein de hardiesse et d'activité de saint Thomas, à l'évident intérêt qu'il avait à s'entendre avec l'évêque Arnoult, son ami, au courant de toute son affaire, et très-influent auprès de leur commun souverain, alors on se souvient que la police de ce temps était bien imparfaitement faite sur les grandes routes; elle n'était pas pour prendre ombrage de deux ou trois pauvres moines voyageant

« PreviousContinue »