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les déclarations des accusés n'étaient pas suffisantes pour rectifier sa manière de voir, et de tous ces récits bizarres, incohérents et contradictoires, il concluait simplement que la confession des coupables, tout en restant vraie pour le fond, pouvait être mêlée de prestiges et d'illusions.

« Je me souviens d'avoir assisté à un conseil où une certaine fille accusée disait qu'elle assistait aux synagogues des sorciers en qualité de Reyne du Sabat, qu'elle estoit vestue à la royalle, couronnée de fleurs, courtisée du démon au-dessus le commun, et néantmoins son père, son frère, ses sœurs lui soutenoient le contraire et que jamais elle n'y avoit esté veue qu'en ses habits ordinaires, pour monstrer que les confessions des accusés peuvent estre souvent accompagnées d'illusions et de prestiges. Elle se nommoit Blaizotte Chevignot, de Thorey-soubs-Charny, belle et jeune fille qui fut pendue et bruslée avec sesdits père, mère, frères et sœurs pour grands maléfices par eux confessés et vérifiés. >>

Pourtant, si étrange que cela puisse paraître après un pareil déploiement d'aveugle sévérité, le jurisconsulte semurois, avec toutes ses aberrations et ses croyances superstitieuses, est encore à cet égard singulièrement en avant sur beaucoup d'écrivains, de légistes et de magistrats de son époque. Sans doute il n'est pas arrivé à discerner, dans ces vagues accusations de sorcellerie, à côté des pratiques lubriques et irréligieuses et des faits d'empoisonnement ou de vengeance individuelle qui s'y rencontraient trop souvent, ces actes nombreux d'hallucination qui en formaient le fond et qui attestaient simplement l'exaltation maladive ou le dérangement des facultés intellectuelles de leurs

auteurs; mais déjà ces procédures, intentées à jour fixe à l'occasion d'une disette ou d'une mauvaise vendange, l'inquiètent profondément; il a découvert bien des iniquités accomplies à l'ombre de la justice, et, s'il admet encore l'existence du crime, il se montre déjà difficile en matière de preuves, et personne plus que lui n'approuve les efforts faits par les parlements pour arrêter les désordres de tout genre auxquels ces étranges procédures donnaient lieu.

« Et est vray que soubs le manteau de la justice l'on fait de grandes iniquités, car d'abord qu'un particulier estoit soupçonné de sortilége, il estoit incontinent saisi, attaché, baigné, jetté dans l'eau, flambé par tout le corps avec cruautés extrêmes, pour auxquelles obvier le Parlement forma arrêt par lequel il fist deffense à tous juges d'user de bains ny de feu contre les accusés de sortilége, moins encore de saisir leurs biens comme aucuns avoient fait par forme d'annotation contre personnes présentes et prisonnières, et leur ordonna d'envoyer les procès en estat de juger au greffe de la Cour pour estre procédé au jugement d'iceux, mais cet arrest a esté publié à tard, car je suis souvenant d'avoir assisté au jugement de vingt procès de sorciers, qui tous furent pendus et bruslés. »

Il est intéressant de rapprocher ces paroles circonspectes, et pleines d'une certaine hésitation, de la relation enthousiaste du procès fait aux sorciers de la chastellenie de Brécy-en-Berry, de 1616 à 1617, qui forma la 98 centurie des Cent notables et singulières questions de droict, publiées par Jean Chenu, de Bourges, advocat en parlement. -Chez celui-ci, la conviction est beaucoup plus absolue, le brûlement d'un sorcier est élevé à la hauteur d'un devoir religieux, et c'est en

termes aussi violents qu'incisifs que l'on y voit censurer le scepticisme de certains esprits timorés, qui se rencontraient, paraît-il, dans les rangs de la magistrature.

<< La mescroyance d'aucuns juges, écrit l'avocat de Bourges, a rendu jusques à ce temps le crime de sorcellerie comme impuny et cette impunité a faict que le nombre des sorciers a merveilleusement multiplié et a donné une telle licence au dyable que, par le moyen de ses supposts, il a infecté une grande partie de la chrétienté. Les juges doivent soigner à la punition des sorciers, estant un sacrifice agréable à Dieu (1). »

Ces quelques lignes suffisent à faire apprécier la distance considérable qui sépare Lemulier, de Chenu et de ses très-nombreux adhérents. Avec l'examen des passages relatifs à la sorcellerie se termine ce que nous avions à dire des Adversaria. Nous avons lu ces notes éparses non sans quelque fatigue, mais somme toute avec un sérieux intérêt, et nous ne croyons pas en exagérer la valeur en les signalant comme un bon spécimen de ces registres domestiques, si communs parmi les praticiens de province au XVI et au XVIIe siècle. E. DE BEAUREPAIRE.

Etude archéologique sur l'église de l'abbaye de Longues (diocèse de Bayeux), par M, P. de Farcy.

L'abbaye Notre-Dame de Longues, au diocèse de Bayeux, fut fondée en 1168 par Hugues Wac, issu d'une famille noble et puissante qui a laissé de nombreuses marques de sa charité tant en France qu'en

(1) Cent notables et singulières questions de droict décidées par arrests, recueillies par Jean Chenu, de Bourges, advocat en Parlement. Paris, 1620, p. 437.

Angleterre. Ce fut à la célèbre abbaye de bénédictins de Hambye, au diocèse de Coutances, qu'il demanda des religieux. Ils eurent d'abord à s'occuper de l'assainissement du sol et creusèrent des canaux et un bassin qui existent encore dans l'Église et dans l'Abbatiale.

L'abbaye, à peine fondée, reçut de riches aumônes. Le roi d'Angleterre et les principaux seigneurs du voisinage voulurent être comptés au nombre de ses bienfaiteurs. En 1256, lors de la visite d'Odon Rigaud, archevêque de Rouen, elle renfermait vingt-deux moines. En 1526, elle tomba en commande. Supprimée en 1781, elle fut vendue en 1791. Enfin elle vient encore de l'être au détail, et dans peu elle aura perdu tout caractère.

Nous ne voulons décrire aujourd'hui que son église, œuvre du troisième abbé, nommé Martin; nous le voyons en 1207 obtenir la chapelle de Fumichon, de Robert, abbé de St-André-de-Gouffern; en 1216 il signa la charte de fondation du prieuré de Bohon. Elle fut donc construite à la même époque que la chapelle de l'Hôtel-Dieu de Bayeux, bâtie par Robert des Ablèges en 1220.

Malheureusement nous ne sommes plus à même d'examiner l'œuvre dans son ensemble. Lors de la réunion de la mense conventuelle de Longues au séminaire de Bayeux en 1781, il fut convenu entre Mgr de Cheylus, évêque de Bayeux, et Mgr de Cugnac, abbé commendataire de Longues, que l'on détruirait << la nef, les deux chapelles latérales, la tour, le beffroi, le clocher » ne conservant que « le chœur et la sacristie qui en faisait partie. »

On s'empressa d'exécuter ces démolitions si regrettables; les matériaux furent vendus ou employés à la construction du presbytère de la paroisse de Longues.

Cependant les deux chapelles latérales de gauche ont été conservées presque en entier et utilisées. C'est donc à l'aide de ce qui reste et surtout d'après un inventaire dressé en février 1773 par ordre de Mgr de Rochechouart, évêque de Bayeux, que nous allons essayer de reconstituer ce monument qui, sans avoir l'importance d'une église de premier ordre, nous offrait un type intéressant de certains édifices du XIIIe siècle.

L'ensemble affectait la forme d'une croix latine. La nef avait 90 pieds de longueur et se trouvait divisée en trois travées semblables à celle du clocher; elle était éclairée par cinq fenêtres garnies de vitraux : la sixième, du côté du cloître, avait été anciennement murée. Une rosace décorait la façade et une porte en chêne y donnait accès, près du gable de l'abbatiale. Lors de l'inventaire, elle était complètement abandonnée et ne servait plus au culte; aussi y voyons-nous inventorier : « une chaire toute pourrie, quatre échelles, un arbre « de chêne débité pour faire un mouton de pressoir et << un arbre de hêtre. On y remarque seulement « au milieu, du côté de l'évangile, un mausolée représentant en relief la figure de D. Louis Houel, abbé, à côté duquel est une autre figure de pierre pareillement en relief représentant saint Louis, roi « de France. Lesquelles figures sont portées sur un piédestal dans lequel est enclavée l'épitaphe de D. <«< Houel; sur le bout est une mitre en pierre et aux pieds une Notre-Dame de Pitié...... » Dom L. Houel, vingt-cinquième abbé, mourut en 1610. La description de son tombeau rappelle tout à fait les beaux mausolés de Jacques André, seigneur du Homme, et de Marie Davot, sa femme, morts en 1628 et 1637. Ils furent enterrés à Ryes, dans une chapelle qu'ils avaient fondée,

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