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de ce duché de Bourgogne fust restablie en cette ville de Semur en Auxois, après l'interdiction générale faicte de leurs charges, le 2 du mois d'apvril de la mesme année, par Henry de Bourbon, premier prince du sang, pour le refus par eux faict de vérifier les édits de Sa Majesté, qu'ils estimoient dommageables, et ne fust l'interdiction levée qu'à l'égard de deux présidents et vingt-deux conseillers, le sieur Brulard command lors en la grande chambre et le sieur Bouchu en la tournelle. Nous nous fussions bien passés de leur arrivée, puisque leur translation est fondée sur la maladie contagieuse qui règne abondamment à Dijon, de laquelle nous pouvons être infectés, si Dieu ne nous en préserve. Le Parlement faict sa séance au couvent des Carmes dudict Semur. »

A une date postérieure, nous trouvons encore les lignes suivantes :

« La Cour de Parlement, la peste continuant en cette ville, a levé à l'ordinaire le 14 août, auquel jour y eut audience extraordinaire pour la réception du sieur Bretaigne, commis pour premier président de cette province, à cause de l'ostracisme du sieur de La Berchère, envoyé à Saumur. Le sieur Bretaigne, après avoir siégé quelques jours, mourut, et en son lieu et place a esté substitué le premier président Bouchu, lequel a pris séance comme premier président le lundy 22 mars 1638. »

Ces indications rapides et discrètes sont tout ce que Lemulier juge à propos de nous apprendre au sujet des mesures violentes prises à l'égard des Parlements de Bourgogne: Il y a bien quelques expressions qui tendraient à faire penser qu'il ne les approuvait pas complètement. Mais ses sentiments à cet égard sont, en

définitive, peu accentués, et l'émotion la plus vive qu'il éprouve à l'arrivée du président et des conseillers, est incontestablement la crainte peu dissimulée de leur voir apporter la peste dans la ville de Semur.

Il est un autre genre de détails que nous fournissent encore les notes de notre avocat, et qui révèlent parfaitement le côté pratique de son caractère. Ce sont diverses observations précises et minutieuses sur les variations atmosphériques que, dans sa longue carrière, il avait eu l'occasion de constater:

Au mot graisle, il signale notamment deux tempêtes qui ruinèrent les bleds et les vignes en 1637 et 1701. Les faits classés au mot vent sont plus nombreux. Ils ont trait à la sécheresse de 1645 et aux diverses calamités des années 1648, 1649 et 1650.

Nous en extrayons le fragment suivant, qui a pour Semur un intérêt particulier :

« Le 28 novembre 1648, année bissextile, les pluyes furent si abondantes que la rivière d'Armanson, qui n'est qu'un torrent, inonda les maisons des faubourgs des vaux de la ville de Semur et vuida une partie des vins qui estoient aux caves; sur les deux heures après minuit, le clergé marcha en procession avec le peuple, et est vray qu'à la veue du Saint-Sacrement la rivière se retira et les pluyes cessèrent miraculeusement. Le même fauxbourg jadis fut inondé et ruyné par l'impétuosité des eaux, le 18 juillet 1613. Ces grandes pluyes causèrent une stérilité universelle de bleds et froments, qui furent si rares en toute la France, qu'en l'année suivante (1649) le pauvre peuple ne mangeoit qu'aveyne et orge. La vendange, en récompense et par une spéciale faveur du ciel, fut très-abondante. En l'année 1650, le boisseau de bled se vendoit de 40 à

50 sols, et en l'année 1651, il se vendit jusques à 4 livres, jamais famine n'ayant été plus rigoureuse. »>

Le reste du manuscrit est plus exclusivement juridique. Les nombreuses questions de droit civil qui s'y trouvent développées ont perdu, pour nous, la plus grande partie de leur mérite; cependant, à la manière dont elles sont exposées, on reconnaît aisément un esprit brisé aux difficultés de la pratique et attentif tout à la fois aux explications des auteurs et aux décisions des cours souveraines. Quelques-unes de ces dissertations ont une étendue singulière et ressemblent à s'y méprendre à de véritables plaidoyers. Deux surtout nous ont paru curieuses à ce point de vue : la première, qui répond à un ordre de préoccupations qui nous est devenu étranger, a pour but de démontrer que la religieuse doit sa dot non à la communauté où elle est entrée comme novice, mais bien à celle où elle a fait ses vœux; la seconde s'efforçait d'étudier la légitimité du pouvoir disciplinaire que s'attribuait le Mespart de Semur à l'égard des sociétaires pour manquements aux devoirs professionnels. Lemulier plaida ces deux questions : l'une, pour le couvent des Ursules de Semur contre celui d'Autun; l'autre, pour le Mespart Notre-Dame contre un ecclésiastique qui, après une condamnation trop justifiée prononcée par le pouvoir ecclésiastique, avait, comme le dit notre avocat, tourné visage du côté de la juridiction laïque et jeté ses actions au bailliage d'Auxois. Cette cause l'intéressait tout particulièrement et fut, de sa part, l'objet d'une étude approfondie. Par une singulière illusion d'optique, dans la lutte de ces intérêts respectables, mais, à tout prendre, sans importance générale, il ne voyait rien moins en jeu que la question capitale des rapports

du spirituel et du temporel. Aussi, à la fin d'un exposé très-développé, a-t-il jugé à propos de formuler solennellement son opinion sur ces matières délicates.

« Il y a, dit-il, deux puissances au monde par lesquelles il est gouverné, la temporelle et la spirituelle. La spirituelle est l'état ecclésiastique, qui administre les choses divines et sacrées; la temporelle est l'empire, la monarchie ou l'état politique, qui administre, gouverne et régit les choses humaines et profanes. Chacune a son objet séparé, tellement que, comme la juridiction ecclésiastique n'entreprend pas sur la royale et séculière, non plus que la royale sur l'ecclésiastique, il convient de savoir que les matières de correction de mœurs qui tombent en discipline ne peuvent être traitées devant les juges séculiers. >>

Nous ne savons pas quelle eût été l'opinion du bailli d'Auxois sur l'application de tous ces grands principes à la cause portée devant lui. Le différend ne reçut pas de solution judiciaire, mais fut tranché d'autorité par le gouverneur de la province, ainsi qu'on le voit par une note que nous trouvons inscrite à la suite du plaidoyer :

« Cette affaire fut décidée par l'authorité d'Henry de Bourbon, premier prince du sang, gouverneur de Bourgogne, lequel réintégra l'accusé dans le Mespart, à condition qu'il y feroit service à l'ordinaire et suivant le statut, le priva de ses fruits et distributions pour le temps du décret de son absence, après que les partyes furent par luy ouyes, sçavoir les sociétaires par messire Edme Lemulier, leur advocat et conseil ordinaire, et l'accusé par messire Jacques Coppin, advocat au bailliage d'Auxois, où la cause estoit pendante. »>

Les notes qui concernent le droit criminel

plus

multipliées ont conservé peut-être aussi plus d'intérêt. Presque toutes ont été rédigées pour constater la manière de voir de l'auteur à l'occasion de jugements rendus par lui en sa qualité de bailli. Ce contact perpétuel du fait donne à l'observation un caractère de précision qui, sans cela, eût pu lui faire défaut. Lemulier ne jette pas de lueurs inattendues sur cette législation confuse, qui touchait encore à la barbarie par bien des côtés; il ne nous étonne jamais par des aperçus originaux, mais, dans cette revue des causes célèbres des bailliages de Semur et de Ragny, il fait preuve de science, d'exactitude et de pénétration. Au milieu de tous ces exposés ayant trait au fonctionnement de lois, bien différentes de celles qui nous régissent aujourd'hui, il en est un que nous devons tout spécialement signaler. Il constitue, en effet, un document des plus curieux pour l'histoire de la sorcellerie en Bourgogne au XVIIe siècle. Lemulier l'a inscrit sur son registre aux mots : prêtres vaudois et vaudois sorciers. Nous y voyons notamment qu'en 1635, toutes les communautés du bailliage se livrèrent avec une ardeur passionnée à la poursuite des sorciers.

« Cette même année, écrit-il, les sorciers furent courus par toutes les communautés, et plusieurs accusés, convaincus et exécutés à mort. »

Une plus vive ardeur de répression se manifesta au cours de l'année 1644, pendant laquelle, à cause de la gelée arrivée aux vignes, les sorciers furent de nouveau attaqués et recherchés.

Ainsi qu'il est facile de le voir par les notes qu'il nous a laissées sur ce point, malgré son bon sens habituel, Lemulier partageait les erreurs et les préjugés de son époque. Les variations les plus étranges dans

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