Page images
PDF
EPUB

<< suyvis tant pour mes affères que pour ceux d'aultruy, << lesquels se seroient trouvés avecques les myens ung • chacun jour, moys et an ainsi qu'il apparaîtra cy« après. »

L'auteur qui, d'après un acte authentique, vivait encore en 1576, a probablement continué ce journal après 1563; mais, jusqu'ici du moins, on n'a pas retrouvé d'autres manuscrits que ceux dont nous nous occupons. M. Tollemer avait d'abordeu la pensée de les publier en leur entier. Un examen rapide lui démontra que l'entreprise serait assez considérable, assez coûteuse et ne répondrait peut-être pas à l'attente d'un public qui ne compterait qu'un petit nombre d'érudits. On conçoit, en effet, qu'une série d'environ 4,000 notes écrites au courant de la plume, sans ordre, et dont beaucoup se répètent ou sont dépourvues d'un intérêt réel, serait loin d'offrir une lecture attrayante à ceux qui y chercheraient autre chose qu'un élément d'étude et de travail.

Cette double considération décida l'auteur du livre à adopter un système de mise en œuvre qu'il nous décrit ainsi :

« J'ai commencé par étudier toute la diversité des « faits contenus dans le manuscrit; j'ai noté avec soin « les ressemblances et les différences qui pouvaient se « remarquer entre eux et je suis ainsi arrivé à former « plusieurs groupes, parfaitement distincts, des mille << éléments qu'il renferme. Chaque groupe m'a fourni « la matière d'un article spécial. Dans tous ces articles, « je me suis fait une loi de reproduire aussi littéra« lement que possible, non-seulement la pensée, mais « même la phrase, la façon de dire de l'écrivain, de << telle sorte que chacun d'eux est le résumé fidèle de << son opinion personnelle sur les points divers que « j'ai essayé de mettre en lumière et le plus souvent, « dans son propre langage. »

Grâce à cette méthode dont l'application exigeait de longues recherches, une persévérance à toute épreuve et un rare esprit d'analyse, nous devons à M. Tollemer un livre extrêmement curieux, rédigé avec une verve toute normande, plein d'aperçus nouveaux sur le siècle le plus dramatique de notre histoire et d'autant plus précieux que publié par fragments dans le Journal de Valognes, du 17 février 1870 au 20 mars 1872, il n'a été tiré sous forme de volume, qu'à un très-petit nombre d'exemplaires et qu'avant peu d'années il sera devenu à peu près introuvable.

[ocr errors]

Il nous serait impossible, même dans un article étendu, de passer en revue les nombreux chapitres qui composent le Journal du sire de Gouberville; nous nous contenterons d'en signaler rapidement les points principaux.

Les premières recherches de l'auteur ont pour objet le nom et la famille du gentilhomme campagnard. Il y a dans cette partie des indications, qui seront trèsutilement consultées, sur la formation et sur les variations des noms. La facilité avec laquelle on en changeait au XVIe siècle rend fort difficile l'établissement des généalogies. Ainsi, dans la famille Picot, alliée à presque toutes les familles du Bessin, le nom patronymique n'était porté par personne; chacun de ses membres prenait ou laissait à sa fantaisie tantôt le nom d'nne terre, tantôt le nom d'une autre. Cela favorisait singulièrement les usurpations et n'était pas sans quelque inconvénient à une époque où être noble ne flattait pas seulement l'amour-propre, mais pro

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

gén hon

sitio des

[blocks in formation]

curait certains priviléges dont l'un des plus appréciés était l'exemption de la taille. A des intervalles indéterminés, le gouvernement du roi envoyait dans les provinces des commissaires chargés de vérifier les titres et de ramener à la condition plus modeste de roturier ceux qui avaient tenté d'en sortir. Au mois de novembre 1555, le Cotentin fut visité par le président de Mendreville et le procureur général de la Cour des aides à Rouen. Il y eut beaucoup de condamnations à des amendes qui s'élevèrent parfois jusqu'à six années du revenu. Gilles de Gouberville soutint victocieusement l'épreuve; il justifia que dès 1463 Guillaume Picot, son ancêtre, figurait sur le registre des nobles de la vicomté de Bayeux.

ce

Notre gentilhomme était l'aîné de sept frères et sœurs égitimes qui demeuraient presque tous en Basse-Normandie. Il avait de plus, et ce détail de mœurs faciles est ■ noter, quatre frères et sœurs naturels qui habitaient chez lui; il les appelle : sa demi-sœur Guillemette et es demi-frères Noël, Jacques et Symonnet; Hernier était son favori et son inséparable compagnon. Le personnel des domestiques était nombreux; il était le neuf hommes et de cinq femmes. Les gages les plus élevés ne dépassaient pas 4 livres par an pour es premières, et 9 livres pour les seconds; ils desendaient jusqu'à 50 sous, presque toujours on y joutait un objet de toilette ou quelques livres de lin our les femmes, et un ou plusieurs agneaux, une énisse ou une certaine quantité de sarrazin pour les

ommes.

Le lecteur, une fois mis ainsi au courant dela compoition de la maison, voit passer sous ses yeux et dans Les paragraphes séparés, les diverses matières sur lesquelles l'auteur a groupé les notes consignées dans le journal; il est successivement renseigné sur les monnaies très-nombreuses (il y en avait 35 types différents, français et étrangers) qui avaient cours dans le Cotentin, - sur les meubles, les vêtements, la table avec les aliments: le pain, la viande, le gibier, le poisson, les épices, le cidre, le vin, etc., etc.

Dans ces chapitres, nous voyons à chaque page se rallumer, pour ainsi dire, le foyer domestique de nos vieux normands; - œuvre qui ne pouvait être accomplie que par l'un d'eux; que par celui qui, sans songer à écrire pour les générations à venir, notait les plus intimes, et, au point de vue de ses contemporains, les plus insignifiantes circonstances de la vie rurale.

Ainsi, pour prendre quelques exemples entre beaucoup d'autres, nous savons que sous les derniers Valois, le luxe des vêtements avait atteint un point extrême. Eh bien! le Journal du sire de Gouberville confirme ce fait. Il nous apprend que jusqu'au fond du Cotentin les étoffes les plus communément en usage étaient le velours, le satin, le camelot de soie, le taffetas à gros grain, les fourrures, sans oublier le tissu populaire, en usage général encore aujourd'hui, le droguet qui n'était autre, probablement que la fine brunette de St-Lo, dans laquelle le héros du roman d'Antoine de La Sale se faisait tailler des chausses brodées et une robe noire fourrée de « martres sibelines. >>>

Dans un autre ordre d'idées, une note du 23 février 1554, nous révèle l'existence à Cherbourg, d'une association burlesque que jusque-là, si nous ne nous trompons, on n'avait rencontrée qu'à Rouen et à Evreux : - la confrérie des Cosnards ou des Cornards. Dans ces deux

[blocks in formation]

dernières villes, le chef de la confrérie prenait le titre d'abbé; à Cherbourg c'était un bailli. - En 1554, le bailli des Cosnards était un nommé Guillaume Simon, fabricant de meules de moulin et fournisseur du manoir du Mesnil-au-Val.

Ailleurs, nous retrouvons la fouace de Bayeux et de Caen, et le simenet de Valognes.

En 1559, nous voyons paraître dans la basse-cour du manoir un coq et une poule d'Inde, alors que nous lisons partout que le premier dindon importé d'Amérique par les Jésuites figura au festin des noces de Charles IX, en 1570.

Pour les chasseurs, le chapitre relatif au gibier offre également un vif intérêt. La grande forêt et les marais qui couvraient la majeure partie de la presqu'île renfermaient de nombreuses variétés d'animaux. Le gros gibier à poil n'y manquait pas et plusieurs oiseaux qu'on y trouvait en ont disparu. Nous citerons une espèce de très-forte bécasse désignée sous le nom de vitecoq et dont les habitudes régulières servaient en quelque sorte d'horloge; on disait, pour indiquer une certaine heure de la journée, il était « vol de vitecoqs. »

Les moyens de chasse étaient variés aussi. Les armes à feu étaient fort appréciées, quoique le maniement en fût encore très-incommode. Le demi-frère Symonnet était un tireur d'arquebuse ou de haquebutte renommé. Cependant l'arbalète avait été conservée grâce à sa légèreté et surtout à sa discrétion. L'ordonnance d'Orléans du mois de janvier 1560 était sévère, en effet, pour les porteurs d'arquebuse. On en devine la raison : - l'atmosphère politique et religieuse était chargée de tempêtes; le vent soufflait

« PreviousContinue »