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société contemporaine. Nous avons vu sa part prépondérante dans la renaissance des études archéologiques, dans la préservation et la restauration des anciens monuments. Celle qu'il convient de lui attribuer dans le perfectionnement des méthodes agricoles n'est pas moins essentielle.

Et d'abord, par le retentissement de ses fondations, n'a-t-il pas contribué pour beaucoup à ce retour à la vie des champs que l'on peut signaler aujourd'hui, chez un grand nombre de familles influentes? Son idéal, en effet, était évidemment de voir la plupart des grands propriétaires fixés sur leurs domaines, loin de l'oisiveté des villes, travaillant sans relâche au perfectionnement moral et matériel des populations qui les cultivent, en même temps qu'ils en multiplient les produits par des capitaux plus abondants et des procédés plus ingénieux. L'exemple d'un grand peuple voisin, dont nous envions l'esprit pratique et les institutions durables, est là, en effet, pour montrer combien le goût des classes dirigeantes pour les occupations de la campagne est fécond en résultats heureux.

Mais l'influence salutaire de notre fondateur sur les progrès de l'agriculture française ne s'est pas montrée seulement dans les châteaux; elle a débordé, on peut l'affirmer, jusqu'au seuil des chaumières. N'est-ce pas lui, en effet, qui, le premier, comme créateur de l'Association normande, a stimulé, par des récompenses décernées avec éclat, le zèle des habitants des campagnes pour la plus utile de toutes les industries? Les primes de toute sorte, attribuées aux agriculteurs et à leurs auxiliaires les plus indispensables, ont augmenté et amélioré la production de la manière la plus complète. Je sais que le gouvernement et les administra

tions publiques ont, sur tous les points du territoire national, marché sur les traces de M. de Caumont par l'institution des concours régionaux, par l'établissement de comices agricoles multipliés. Mais toutes ces créations ont été conçues sur le modèle des siennes propres; et l'honneur qui leur est dû ne saurait, sans injustice, ne pas lui revenir pour une part très-notable.

Dans une autre sphère exclusivement scientifique, nous trouvons également l'initiative évidente de M. de Caumont. L'Institut des provinces une fois constitué par ses soins, il avait compris que cette institution, bien que destinée à réagir contre la prépondérance excessive de Paris, avait besoin cependant, au moins à certains moments, du grand jour de la capitale, pour obtenir un centre d'action, comme aussi une publicité, dignes d'elle. De là les conférences de la rue Bonaparte qui précédèrent de plusieurs années les réunions actuelles de la Sorbonne durant la semaine de Pâques, qui en sont une imitation manifeste.

L'imitation, en effet, parut si complète que, lorsque ces réunions officielles furent établies pour la première fois, beaucoup de bons esprits blâmèrent le ministre dont elles émanaient. Il existait, d'après eux, un danger des plus graves à voir ainsi l'autorité publique décourager les initiatives généreuses, en s'appropriant immédiatement celles d'entre elles que le succès était

venu couronner.

M. de Caumont n'associa jamais sa voix aux réclamations de ce genre formées par ses amis. La modestie charmante, qui faisait comme le fonds de sa nature, l'a toujours prémuni contre toute polémique où sa personnalité se fût trouvée en jeu. Dévoué avant tout au bien de sa patrie, il était, on peut le dire, heureux de

s'effacer, dès là que les idées de perfectionnement social qu'il avait rêvées trouvaient autour de lui, fût-ce par d'autres mains que les siennes, une réalisation. assurée.

Cependant cette auréole, cette popularité qu'il n'a jamais cherchées, ne lui ont fait défaut, ni pendant sa vie, ni après sa mort. Son nom, pendant qu'il vivait, était connu et honoré dans l'Europe entière. Nul ne peut ignorer quel douloureux retentissement a fait éclater, de tous côtés, sa fin prématurée.

Il appartenait surtout aux habitants de l'ancienne Normandie, en particulier à ceux de la ville de Caen, dont il avait porté le nom bien loin de nous, d'honorer une mémoire aussi glorieuse. Ses concitoyens n'ont pas manqué à ce devoir. Il y a quelques jours à peine, l'administration municipale de notre cité, sur la généreuse proposition de son chef, vient de donner le nom vénéré de Caumont à celle des rues de la ville qui contient le double musée de la Société des Antiquaires de Normandie et de la Société française pour la conservation des monuments. Que nos magistrats reçoivent les remercîments de la Compagnie au nom de laquelle j'ai l'honneur de parler, pour cette mesure şi pleine de convenance et d'à-propos.

La Société des Antiquaires de Normandie, en effet, se fera toujours un devoir impérieux de professer pour son fondateur un respect filial. La séance présente ellemême, solennelle entre toutes, comptera parmi les hommages rendus à cette mémoire glorieuse. Ma voix, je le sens, aura, dans le présent, un retentissement bien faible; elle sera vite oubliée dans l'avenir. Mais longtemps dans notre province, toujours respectueuse pour les grands caractères et les nobles destinées, on

se rappellera les paroles élevées et magistrales par lesquelles le plus grave, le plus illustre de nos historiens, en caractérisant l'influence exercée par la Société des Antiquaires de Normandie, a par cela même honoré la mémoire de M. de Caumont, son fondateur.

QUELQUES VERS DE CIRCONSTANCE,

Par M. Julien TRAVERS.

Cette Société, j'étais à sa naissance :
Pour l'âge du témoin ayez de l'indulgence,
Et dites par égard : « La parole est aux vieux ! »>
Pour peu que j'en abuse, arrêtez-moi, Messieurs.

Faut-il qu'à tout plaisir l'amertume se mêle!
Caumont n'est plus, Caumont, l'antiquaire modèle ;
Lui, notre guide à tous, lui, notre fondateur !
Un demi-siècle entier, fier initiateur,

De l'art il révéla les merveilles divines,
A la destruction arracha nos ruines,

Et conquit nos respects aux débris du passé.
Il tomba plein d'espoir encor, jamais lassé,
Montrant aux successeurs la route poursuivie,
Et léguant en exemple une admirable vie.

Imitons-le, Messieurs: il fonda, conservons ;
Enflammés par son œuvre, à son œuvre ajoutons.
C'est aux jeunes surtout, ici, que je m'adresse,
Aux jeunes, pleins d'ardeur, et devant qui se dresse,
L'image du travail dans ce noble vieillard,

Savant historien, consommé dans son art,

Qu'inspire le génie en sa docte retraite,
Guizot, dont la présence est pour nous une fête,
Guizot, qui dès longtemps sourit à nos essais,
Et pour nos pas futurs fait encore des souhaits.

Merci, merci, grand homme !... A la reconnaissance Crois, malgré les ingrats dont tu flétris l'offense, Et pardonne à mes vers, hommage insuffisant.

Des vœux, et je me tais : des vœux dans le présent Pour l'austère Guizot, l'illustre octogénaire ! Des vœux dans l'avenir pour Guizot centenaire !

1er décembre 1873.

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