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Saint-Michel était l'une des plus belles et des plus nobles je n'ai jamais vu le Mont-Saint-Michel, mais je me représente ce monument, où la prière est en quelque sorte immobilisée et perpétuée au milieu de l'océan et des tempêtes; la pensée de Dieu, l'infini, la prière, sont là, supportant, bravant les attaques quotidiennement répétées des vents et des flots. C'est là, Messieurs, un monument unique, incomparable. Quand nous avons appris qu'il était menacé de ruine, nous avons d'abord cherché ce que nous pouvions faire par nous-mêmes, pour le conserver. Nous avons réclamé ensuite le concours du gouvernement, et nous avons reçu de lui un bon accueil. Le directeur des BeauxArts, M. Charles Blanc, a obtenu qu'on allouât un crédit de 45,000 fr. pour commencer les travaux de conservation, pour empêcher les progrès de la ruine. L'évaluation de l'ensemble des travaux de restauration s'élève à un million, il faudra un million pour conserver et restaurer efficacement le monument.

J'ai eu aussi une autre idée. Jadis l'Angleterre a eu souvent grande envie du Mont-Saint-Michel, elle l'a souvent attaqué, jamais conquis, grâce à la résistance des chevaliers et des moines; j'ai pensé qu'aujourd'hui elle nous prêterait volontiers son concours pacifique pour la restauration d'un monument qu'elle admire toujours et qu'elle n'envie plus. J'ai des amis en Angleterre; je me suis adressé à eux, entre autres à un homme éminent dont le nom ne vous est certes pas inconnu, à M. Wilberforce, évêque de Winchester, qui vient de mourir d'une chute de cheval. Il m'avait promis son bon vouloir. J'en ai demandé autant à d'autres homines considérables, au comte Stanhope, à M. Reeve, directeur de la Revue d'Édimbourg. J'ai la confiance que

nous trouverons, dans l'Angleterre en paix avec la France, une amicale et généreuse assistance. L'œuvre sera longue, très-longue; dès aujourd'hui la ruine menace. Un homme qui a fait honneur à notre pays et à notre temps, philosophiquement un grand penseur et un grand écrivain, politiquement un grand sage, M. Royer-Collard, parlant devant la Chambre des députés pour défendre la Chambre des pairs héréditaires, disait: C'est assez de ruine, Messieurs, reposons-nous. Nous aussi, nous en sommes là, nous avons vécu, nous vivons au milieu des ruines, n'en faisons plus, n'en souffrons plus, n'en permettons plus. Au moins que les ruines des monuments s'arrêtent. Nous pourrons, j'espère, avec les secours que nous attendons, sauver le monastère du Mont-St-Michel; c'est un exemple à donner, donnons-le.

Je cherche une idée que j'avais dans le cœur en entrant; je ne veux pas parler de politique, mais nous le sentons tous, nous sommes en présence d'un grand inconnu. Personne ne peut dire ce qui sera en France dans dix ans. Devant cet inconnu, appliquons-nous à garder, à préserver ce qui reste de nos lois, de nos mœurs, de nos monuments. Donnons un exemple de stabilité; le pays le comprendra et en profitera.

Je ne voudrais pas finir en parlant de ruines; la France a passé par de nombreuses et terribles épreuves; elle y a beaucoup souffert, longtemps langui, elle en est toujours sortie victorieuse. Elle a surmonté les épreuves du XVIe siècle, celles du XVIII, elle surmontera celles du XIXe siècle. Il y a dans la nation française une puissance de vitalité, une élasticité inépuisables. Elle semble douée, permettez-moi le mot, du don de la résurrection. Ne nous berçons pas d'il

lusions, mais ayons confiance; les illusions perdent les peuples, les espérances les sauvent; ne nous livrons ni au découragement, ni aux chimères. Si nous parvenons à propager cette disposition, non-seulement dans notre Société des Antiquaires (elle n'en a pas besoin), mais dans notre pays, nous nous sauverons et nous le sauverons.

RÉSUMÉ DE L'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ

DURANT L'ANNÉE 1872–1873,

Par M. E. CHATEL, secrétaire.

MONSIEUR LE DIRECTEUR (1),

MESSEIGNEURS (2),

MESSIEURS ET HONORÉS CONFRÈRES,

Parler immédiatement après M. Guizot c'est faire acte de présomption ou plutôt d'abnégation; mais le devoir est le devoir, et c'est le cas ou jamais de rappeler la vieille devise de notre Société : « DEX AIE » (Dieu aide), et fais ce que dois.

Aux termes des statuts de la Compagnie, art. 20, c'est hélas ! au Secrétaire qu'incombe l'honneur, plus périlleux aujourd'hui que jamais, de prendre la parole après le Directeur, pour rendre compte des travaux,

(1) M. Guizot.

(2) Mgr Hugonin, évêque de Bayeux et Lisieux, et Mgr Bravard, évêque de Coutances et Avranches.

des découvertes, des relations scientifiques, de tous les actes, en un mot de tout ce qui constitue l'histoire de la Société depuis la dernière séance annuelle.

La triple condition de cet exposé est d'être tout à la fois fidèle, rapide, rapide surtout et complet (ce dont je me garderai bien), car qui le sait mieux que votre secrétaire :

« Le secret d'ennuyer est celui de tout dire. »

Aussi, pour éviter, autant que possible, ce péril extrême devant une telle assemblée, pour lui épargner, dans une juste mesure, une inévitable fatigue, autant que pour ménager votre modestie, je confierai le soin de vous louer aux lecteurs, qui s'empresseront de chercher vos travaux dans nos Mémoires et notre Bulletin.

Je puis, du reste, restreindre mon rôle à celui de simple nomenclateur sans faillir à mon devoir, puisque vous avez confié à la plume exercée de M. le professeur Cauvet le soin de rappeler tous les titres que M. de Caumont, notre fondateur et le propagateur de l'archéologie en France, s'est acquis à la reconnaissance du pays entier et à celle de notre cité, dont l'une des rues vient d'être illustrée de son nom. Mon rapport ne sera donc qu'un simple compte-rendu.

Le premier acte de notre Compagnie a été de constituer son bureau, dans la séance administrative du 22 novembre 1872.

La Société des Antiquaires de Normandie, fondée en novembre 1823, par M. de Caumont, voulant célébrer dignement son cinquantième anniversaire, a pensé que, pour donner à cette fête de famille tout l'éclat qu'elle comporte, elle devait confier la présidence de cette séance à l'homme qui a été le pro

moteur des études historiques en France, et dont le nom illustre, l'honneur de notre pays, rallie les opinions les plus divergentes dans un même sentiment de sympathique vénération.

Et comme, par une faveur spéciale de la Providence, M. Guizot conserve la santé de l'âge mur, l'énergie de l'âme et par-dessus tout le feu sacré de l'amour du vrai et du beau, la Conpagnie a eu confiance en son bon vouloir et l'a nommé, pour la deuxième fois, son Directeur pour l'année de son jubilé, se souvenant de la séance qu'il avait présidée en 1838.

Après ce long intervalle de 35 années, la Société est d'autant plus heureuse de ce bienveillant patronage qu'elle a entrepris une œuvre plus importante que jamais.

J'aurais eu, en effet, Messieurs, à vous entretenir de ce qui a fait la préoccupation constante de chacune de nos séances, de cette saisissante « merveille » du Mont-St-Michel que l'on admire d'autant plus qu'on la contemple plus souvent et de plus près; mais nous avons la bonne fortune d'avoir parmi nos confrères les plus autorisés pour en parler pertinemment, le sagace éditeur des chroniques de Dom Huynes et de Dom le Roi, M. le conseiller Eug. de Beaurepaire, qui, voisin et bon voisin du Mont-St-Michel, ne le perd jamais de vue durant les vacances de la Cour.

Aussi, lorsque notre dernier directeur, Mgr Bravard, à bout de ressources, mais non de courage ni de sacrifices de tous genres, de temps, d'argent et de santé même, se vit dans l'impossibilité de sauver tout seul de la ruine les pierres sacrées de la basilique aérienne, lorsque, ne se pouvant résigner au désolant spec

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