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IXe siècle jusqu'à la mort de Henri Ier, roi d'Angleterre. Il a été imprimé trois fois par Camden, à Francfort, en 1603; par notre Du Chesne; enfin, par l'abbé Migne, dans sa Patrologie (tome CXLI), où il n'a fait que reproduire, et assez souvent altérer, l'édition déjà si incorrecte de Du Chesne.

Là n'est pas, d'ailleurs, le plus grave inconvénient de ces éditions, qui ont été, je m'empresse de le reconnaître, fort utiles en leur temps. Camden et Du Chesne ont copié et publié les premiers manuscrits mis à leur disposition. Camden en a vu un, Du Chesne deux ou trois; or, il en existe vingt-cinq ou trente aujourd'hui encore, sans compter ceux qui ont été perdus et détruits depuis le temps où vivaient les deux savants hommes que j'ai nommés. L'étude de ces manuscrits révèle l'existence d'interpolations considérables, si considérables, qu'elles constituent de nouveaux ouvrages, publiés, à de longues années d'intervalles, par des auteurs différents. Relever les erreurs causées par le défaut de distinction entre ces interpolations et le texte primitif serait impossible. Rien de plus important que d'y mettre un terme, en publiant une édition où l'on séparera nettement l'œuvre de Guillaume de celle de ses continuateurs.

On ne nous a pas attendus pour s'apercevoir du fait que je signale. L'abbé des Thuilleries, en 1723, les éditeurs du Recueil des Historiens de France, les auteurs de l'Histoire littéraire ont publié à ce sujet de judicieuses remarques et restitué à Robert de Torigni le huitième livre de notre texte. Mais c'est de nos jours que M. L. Delisle, dans un passage de sa notice sur O. Vital (p. LXXIII), a déterminé l'importance et la valeur de chacun des manuscrits de Guillaume de

Jumiéges, les a ramenés à de certains types et a tracé la ligne directrice de l'édition que je prépare sous ses yeux. M. Dufus-Hardy, dans le t. II du Catalogue des manuscrits relatifs à l'histoire d'Angleterre, n'a eu qu'à reproduire les conclusions de notre savant maître. J'ai déjà vu et collationné dix manuscrits. Ce travail exige beaucoup de soin, l'interpolation ne consistant parfois qu'en un mot, en un nom que Guillaume n'a pas connu ou n'a pas osé citer, et que ses interpolateurs ont remis à sa place. Ces interpolations ont été elles-mêmes interpolées; il y en a aussi qui ont été modifiées, corrigées par leurs auteurs.

Je voudrais dire encore que je crois avoir découvert le nom d'un de ces interpolateurs; mais il est toujours imprudent de se prononcer avant d'avoir fait toutes ses recherches. Je ne renvoie pas, d'ailleurs, nos confrères à une lointaine échéance. Dans six mois, je serai prêt pour la publication, et je souhaite qu'elle soit digne du bienveillant accueil fait à cette première et trop rapide communication.

Jules LAIR.

Extrait d'une lettre de M. Le Conte à M. E. Chatel, secrétaire de la Société.

Gavray, 5 juin 1872.

MONSIEUR LE SECRÉTAIRE,

Il ne s'agit pas seulement, je le sais, d'être admis à faire partie de la Société ; elle attend et elle a le droit d'attendre autre chose: elle doit compter sur la coopé

ration de chacun de ses membres pour continuer son œuvre, qui déjà a rendu de si nombreux, de si importants et de si éminents services.

La contrée que j'habile est, par le fait, de toute la Normandie, celle qui renferme le plus de monuments historiques, sans parler des monuments religieux, tels que cathédrale, abbaye, etc.; chaque village, pour ainsi dire, avait un château fort, muni de ses vieux donjons, son vieux manoir. Mais, pour décrire tous ces monuments et faire l'historique de tous ces châteaux, il faut une plume plus exercée que la mienne; je me bornerai donc à recueillir le plus de renseignements qu'il me sera possible, le plus de notes que je pourrai trouver, pour les livrer à des hommes plus expérimentés et plus compétents que moi; trop heureux, du reste, si je pouvais ainsi, dans une mesure, bien faible, sans doute, arriver à mettre en lumière certaines parties encore obscures de ma contrée.

Les objets d'art qui font en partie aujourd'hui l'ornement de nos musées étaient également assez répandus dans cette contrée; mais ils ont été tellement recherchés et collectionnés, que ceux qui se rencontreraient aujourd'hui ne devraient être considérés que comme de rares épaves qui ont pu échapper aux investigations des amateurs, ainsi que des spéculateurs.

Parmi ces objets, il en est un pourtant qui, dans nos campagnes, se trouve parfois relégué dans un grenier ou dans le fond d'une cave obscure : c'est le bahut. On le méprise, parce qu'il a pour lui les années; on veut du neuf; les formes variées qu'il revêt ne conviennent plus: singulier contraste avec les goûts du moyen-âge !

Il n'était pas de chambre alors qui ne possédât ce

meuble; il formait à lui seul, avec le lit et l'armoire, tout l'ameublement de l'appartement du riche, comme du plus humble particulier; souvent même, il tenait la place de l'armoire. En recourant aux actes anciens, stipulant les conventions matrimoniales entre époux, rarement on trouve la mention de l'armoire; toujours celle du coffre ou bahut s'y rencontre : il servait à renfermer le linge, les habits, les objets précieux et même des trésors; il servait de table et même de lit; le marchand se tenait en face et l'avare dormait dessus. En un mot, on l'employait bientôt à tous les usages.

On rapporte que l'épitaphe de Tristan l'Ermite, gentilhomme de Gaston d'Orléans, qu'il composa luimême, était ainsi conçue :

« Je fis le chien couchant auprès d'un grand seigneur,

« Je me vis toujours pauvre et tâchai de paraître ;

« Je vécus dans la peine, espérant le bonheur,

« Et mourus sur un coffre, en attendant mon maître. »

De simple qu'était la forme du bahut, dans le principe, il ne tarda pas à devenir un objet de luxe, surtout lorsque l'intérieur des appartements commença à être décoré de boiseries, de tentures ou de tapisseries; la forme simple et primitive ne pouvait plus convenir : c'est alors que la sculpture remplaça, sur les panneaux, les cuirs peints et gaufrés qui les recouvraient auparavant.

Ce n'est que vers le commencement du XIVe siècle que les panneaux formés d'ais épais et aplanis seulement furent remplacés par des panneaux assemblés et embrévés dans des montants et des traverses.

Je possède en ce moment un bahut, ou plutôt le

panneau principal d'un bahut (le surplus ayant beaucoup souffert), qui doit dater de la fin du XIV• siècle ou du commencement du XVe.

Ce panneau a 0m, 84° de longueur sur 0m, 50c de largeur. Le sujet représenté sur ce tableau l'est d'une façon assez originale; le mérite de l'art, à dire vrai, y fait défaut, comme à tous les autres ouvrages de menuiserie de l'époque; il a cependant sa valeur.

Il s'agit du fruit tentateur présenté à Adam, qui se laisse séduire par les grâces et les attraits d'Eve. On les aperçoit l'un et l'autre debout auprès de l'arbre fatal; le serpent est enroulé autour du tronc de cet arbre, ou plutôt je devrais dire qu'il l'était, car il n'est plus en relief, et l'on ne voit qu'une sorte de spirale d'une nuance beaucoup plus blanche que le reste du panneau, ce qui indique la destruction entière de cette partie.

Ève vient de cueillir la pomme et la présente à son mari, qui, tout en paraissant hésiter à enfreindre la défense divine, finit par accepter le fruit qui lui est offert.

L'enceinte où se trouvent les auteurs du genre humain est comme une enceinte fortifiée, dont l'entrée est confiée à la garde d'un ange; de chaque côté, et en dehors, se trouvent deux autres anges, qui, comme deux sentinelles vigilantes, publient avec éclat, si l'on en juge par les efforts qu'ils semblent faire en soufflant dans la trompette qu'ils tiennent, toute l'indignation qu'ils éprouvent à la vue de l'infraction de la défense divine et de la gravité de la faute commise.

Le tableau aurait pu assurément être plus complet; sans doute, l'attitude d'Adam et d'Ève est représentée sous une forme un peu rudimentaire; sans doute, la

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