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sans autre autorité que celle de la tradition. Ces constitutions-là ne peuvent jamais être absolument mauvaises et injustes, parce qu'elles sont la manifestation d'une société, rudimentaire, si l'on veut, mais au milieu de laquelle la Providence a une place et une direction. La domination féodale est née de la conquête; elle représentait la loi du plus fort : c'était, dans le fief, la servitude des vilains, des mainmortables et des serfs ; dans l'ordre de la croyance religieuse, l'intolérance armée; dans l'ordre des faits sociaux et économiques, la prédominance de la propriété territoriale et, par suite, l'avilissement indéfini de tous ceux qui ne participaient pas à cette espèce de propriété ; dans l'ordre des faits intellectuels, elle représentait l'immobilité et la routine. Mais est-ce là tout le moyen-âge, et peuton oublier que les grandes maximes de droit public contenues dans les droits des vassaux en matière de justice, d'impôt et de protection mutuelle, ont fondé, dans les limites de chaque fief, une tradition de liberté politique et d'égalité civile, dent les classes déshéritées devaient, avec le temps, réclamer le bénéfice? Il me semble que ces grands faits ont parfois échappé à l'auteur du mémoire dont j'ai l'honneur de vous entretenir. Je lis avec regret, à la page 77: « Il faut se rappeler qu'originairement les filles des serfs avaient été soumises à un droit odieux, que les seigneurs prélevaient sur elles la première nuit de leurs noces. » Je ne pense pas qu'une telle loi ait jamais été établie, malgré la pièce de Beaumarchais et les deux documents cités par M. Seimbre: d'où l'on peut conclure qu'il est dangereux de chercher à trop prouver. Ces taches, très-clair-semées du reste, n'ôtent rien à la solidité de l'Essai sur la fondation des bastides; elles

le ponctuent seulement de couleurs un peu vives. Je ne sais pas si les études historiques de M. l'abbé Tisserand et si le compte-rendu de M. Pontmartin auraient obtenu une grande faveur auprès de la Société archéologique de Toulouse; mais je suis presque sûr que le mémoire de M. Curie-Seimbre n'aurait été accueilli qu'avec quelques réserves par la Société des Lettres, Sciences et Arts de l'arrondissement de Grasse. LAUNAY.

Études comparatives et classification des édifices religieux du Midi de la France antérieurs au XI® siècle, par Henri Révoil, architecte diocésain. Paris, Morel, 1870.

L'auteur, dans ce travail, qui est une suite à un volume plus important, établit que les Sarrasins ont respecté beaucoup de monuments que l'on croit détruits, et il démontre, par l'examen des chartes et des documents historiques, que des parties importantes d'édifices avaient été respectées. La cathédrale d'Aix, notamment, est un des exemples sur lesquels il s'appuie. De plus, par l'étude des signes lapidaires et des différents genres de taille de pavement, il démontre de la façon la plus complète que les arts n'ont pas sommeillé dans le Midi depuis l'époque romaine et que, plus heureux que nous, le Languedoc et la Provence n'ont pas eu, comme notre Normandie, à renouer des traditions rompues, lorsque, les terreurs de l'an 1000 passées, une inévitable renaissance s'opéra dans les arts. L'auteur, par cette étude consciencieuse, nous soulève un coin du voile qui nous cache l'histoire de notre art national.

Vous serez heureux d'admettre M. Révoil parmi vos collègues. L'étude du roman méridional fera ressortir pour vous un fait important. Puisque cette étude montre une fois de plus qu'au XIe siècle le Nord de la France, berceau de l'architecture nationale, a été obligé de tout inventer, le génie français a su créer un art nouveau, lors de la construction des basiliques qui couvrent notre pays, et le génie normand a, lui aussi, apporté l'une des pierres angulaires de ce beau monument qui s'appelle l'architecture ogivale.

LAVALLEY-DUPERROUX.

Complainte de Guillaume Longue-Épée, éditée pour la première fois par M. Jules Lair.

M. Jules Lair a rendu un service inappréciable à l'histoire normande en restituant à notre plus vieil annaliste la confiance et l'autorité qu'il mérite, et qu'il fut cependant de mode de lui dénier.

La critique est le sel de l'histoire; son absence entraînerait la rapide corruption des notions historiques; mais il ne faut abuser de rien, et surtout il ne faut pas que les doutes systématiques faussent et détruisent la science.- En toutes choses, la vérité suffit, et l'hypercritique est un danger, comme le scrupule.

C'est le propre de la demi-lumière d'amplifier les obstacles et d'exagérer les difficultés sur les points obscurs. Les premiers critiques, irrités de s'être quelquefois laissé tromper par des pièces vingt fois remaniées, finirent par craindre toujours d'être pris pour dupes. Leur fâcheuse préoccupation dégénéra en système et en un parti pris de doutes et de négations.

Leur école trop servile a abouti à une réforme de l'histoire, qui en est réellement la destruction; l'imagination malade de Niebuhr ou de Strauss mène les esprits en des duperies plus fâcheuses que la confiance exagérée dans les récits des apocryphes ou dans les généalogies troyennes elles-mêmes.

Il faut chercher la vérité, et non pas chercher le doute; il faut mettre la lumière en évidence, et non pas l'étouffer sous de nuageuses objections. La conciliation de textes en apparence contradictoires est un service bien plus avantageux à la science que la constatation stérile d'une obscurité et surtout que l'exagération, qui conclut d'une objection à une négation. M. Jules Lair l'a victorieusement démontré dans sa belle étude sur Dudon de St-Quentin, et notre Compagnie s'est associée à son œuvre en la couronnant.

Voilà qu'une découverte récente est venue appuyer la thèse de notre savant confrère et confirmer à nouveau la véracité, jadis si contestée, de notre vieil annaliste. M. Lair publie aujourd'hui une complainte évidemment contemporaine du duc Richard Ier, à qui elle est dédiée. Elle a été découverte par M. Gaston Paris dans un manuscrit du Xe siècle appartenant à la bibliothèque de Clermont-Ferrand; et, bien que le copiste l'ait évidemment mutilée, elle compte néanmoins encore douze couplets, de six vers chacun, y compris le refrain. Si elle ne révèle aucun fait nouveau, elle apporte du moins un témoignage formel et incontestable à l'exactitude des détails fournis par Dudon sur la mort tragique de notre vieux duc.

Cette antique épave de la tradition immédiate et populaire étaye l'histoire d'une parole contemporaine. M. Lair rend donc un vrai service en faisant con

naître ce document qui, jadis, se chanta chez nous pour honorer la mémoire d'un prince regretté, comme déjà s'y récitaient les legenda des offices religieux et comme s'y chantent encore les hymnes qui nous gardent la mémoire de nos premiers apôtres.

C'est œuvre de vrai savant que de faire reconnaître la véracité des vieux instruments de nos annales, plutôt que de suivre les errements des prétentieux dénicheurs de saints; c'est le fait d'une science plus mûre et plus complète, et l'on peut dire avec raison que celui qui enseigne conformément à l'autorité de la tradition mérite mieux d'être écouté que celui qui ne sait apprendre qu'à douter.

G. LE HARDY.

IV.

NOTES ET COMMUNICATIONS.

A Monsieur E. Chatel, secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie.

Paris, 28 novembre 1872.

MONSIEUR ET CHER CONFRÈRE,

Je viens tenir ma promesse de vous donner quelques détails sur l'édition de l'ouvrage de Guillaume de Jumiéges par moi préparée en ce moment.

Comme vous le savez, ce texte, si important pour notre histoire, comprend le récit des événements accomplis depuis les invasions normandes de la fin du

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