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<< obscures, municipales et politiques autant que ju« diciaires, faut-il reconnaître le modèle du jugement « par jurés, ou, comme d'autres l'ont voulu, l'origine << du gouvernement représentatif? Ce sont des questions << auxquelles nul homme de bonne foi ne hasardera de << répondre d'une manière absolue » (1).

Je n'insisterai donc pas davantage sur la théorie des compurgateurs ni sur la doctrine hégélienne de Gundermann. Outre que l'examen critique de ces systèmes se prête difficilement à une analyse aussi succincte que celle que j'ai l'honneur de vous présenter, j'ai hâte d'arriver au système personnel de M. Brünner.

II.

M. Brünner considère l'inquisitio franque, cette procéduré extraordinaire que l'on rencontre dans les sources de la période carlovingienne, dans les ordonnances rendues par Charlemagne et Louis le Débonnaire, comme contenant véritablement le germe du jury moderne.

Ainsi, le but qu'il s'est proposé est de prouver que le droit normand a emprunté au droit franc les dispositions juridiques qui paraissent avoir concouru à la formation du jury et qui, transportées en Angleterre, y ont atteint leur plus complet développement. Nous avons donc à envisager le jury à trois époques et sous trois législations bien différentes: d'abord, sous la forme de l'enquête franque; ensuite, à partir de Henri II, sous la forme de la recognitio ou de jury de

(1) Forsyth, Hist. of trial by jury, p. 92.

244.

Palgrave, R. a P. I, - Rathery, Études historiques sur les institutions judiciaires de la Normandie, p. 6.

preuve, et, enfin, la transformation du jury de preuve en jury de jugement, laquelle transformation s'opéra en Angleterre.

Lorsque les Normands envahirent le sol de la Neustrie, ils y trouvèrent en vigueur le combat judiciaire, usité dans toute l'Europe pour la décision des causes criminelles où le point de fait était ambigu. « Mais, << s'il dut arriver fréquemment que l'humeur violente << des hommes d'armes recourût aux moyens de cet << errement expéditif, il dut se faire aussi que, dans << certaines causes, on préférât les lenteurs protectrices << d'une justice régulière» (Le Cerf, Archipel normand, p. 148 ).

Les mœurs des conquérants devaient nécessairement s'adoucir et s'amalgamer avec celles des vaincus, le jour où les rois de la mer se firent agriculteurs et propriétaires fonciers, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Ils conservèrent certainement quelques Coutumes scandinaves; mais il est plus que probable qu'ils adoptèrent les lois des peuples soumis. Comme on l'a fait remarquer (1), l'organisation féodale ne comportait guère, partout où elle avait pénétré, de diversité en ce qui touchait aux principes fondamentaux de hiérarchie sur lesquels elle reposait. Les Normands eurent à s'appliquer la loi des fiefs, les codes salique et ripuaire, les constitutions carlovingiennes, la division des sujets en différentes classes et l'ordre général des successions (2). Rollon était trop politique pour bouleverser brusquement la législation des vaincus, et ses descendants ne se firent pas faute de recourir au système de la preuve

(4) Pardessus, Mémoire sur l'origine des Coutumes. (2) Rathery, Études historiques, p. 2.

par témoins, qui fonctionnait en même temps que l'enquête (1).

Mais le formalisme de cette preuve par témoins, qui était la procédure ordinaire, était tel, qu'il arrivait souvent que l'équité était lésée de la façon la plus manifeste. On voulut remédier à cet état de choses. Ce fut ainsi que l'usage s'introduisit d'en appeler au Roi (Reclamatio ad Regis definitivam sententiam), et surtout par l'inquisitio. Le Roi rendit alors la justice comme le préteur en droit romain, c'està-dire au nom de l'équité, ce qui résulte du texte suivant :

« Si quid vero tale esset quod leges mundanæ hoc in suis deffinitionibus statutum non haberent, aut secundum Gentilium Consuetudinem crudelius sancitum esset, quam christianitatis rectitudo vel sancta auctoritas merito non consentiret, hoc ad Regis moderationem perduceretur, ut ipse cum his qui utramque legem nossent, et Dei magis quam humanarum legum statuta metuerent, ita decerneret, ita statueret, ut..... ut lex sæculi merito comprimeretur, justitia Dei ser

varetur. >>

L'inquisitio ne fut donc pas l'extension de la preuve par témoins, comme on l'a cru, mais une réaction contre le formalisme rigoureux de cette preuve, et, en général, de toute la procédure, durant la PÉRIODE FRANQUE. Le droit d'inquisitio était alors une prérogative royale dans les procès avec des particuliers, car le Roi ne pouvait pas descendre en champ clos :

(1) Il ne faut risquer de donner tort à Dieu, que lorsqu'on ne peut pas faire autrement. «Saint-Christienity ne soffre que Dieu soit pertiels à tort, si l'on peut avoyder autrement (Hornes, Myrror of justice).

quia Rex non pugnat nec alium habet campionem quam patriam (1). Peu à peu, cette prérogative fut étendue à certaines personnes morales, telles que des églises, des communautés religieuses, mais surtout, et avant tout autre, en faveur du fisc. Les évêques, les missi dominici y recouraient régulièrement, selon qu'ils le jugeaient nécessaire, particulièrement en faveur des veuves, des orphelins et des mineurs : <<< De omni re..... undecunque necesse fuerit, tam de justitiis nostris quamque justitiis ecclesiarum Dei, viduarum, orphanorum, pupillorum et ceterorum hominum inquirant et perficiant (Pertz, XCVIII, § 21, § 19). L'enquête était également usitée dans les contestations entre juifs et chrétiens. Enfin, les simples particuliers purent se faire délivrer, en s'adressant au Roi, le mandat ou l'ordre écrit d'enquête, l'indiculus inquisitionis. Il n'est pas sans intérêt de donner un aperçu de la procédure suivie sous les rois francs. Le demandeur portait plainte au Roi et devait exposer le sujet de ses griefs, soit qu'il eût été volé, blessé ou troublé dans une possession quelconque. Il demandait à faire assigner son adversaire devant les tribunaux royaux et obtenait alors l'indiculus commonitorius, dont voici un exemple, adressé à un évêque :

<< Fidelis noster, ad præsentiam nostram veniens,

(1) Bracton, 142b, § 11. Dans les affaires civiles, le Roi n'était pas forcé de se faire défendre par un champion. Il arriva cependant, å la fin du XIIIe siècle, que le roi d'Angleterre se servit de la formule du duel judiciaire : « Nostre Seynur le Rey porta bref de dreit ver E. Le Mortimer et Jone, sa femme. Ceo vos mustre nostre Seynur le Rey, par H. de Lowyere, son serjant. Ke cy est..... si il le veut dedire, prest de averrer pur le Rey.....

suggessit nobis eo quod villa aliqua..... quod ad eodem de parte illius pervenire debuerat, post vos reteneatis indebite et nulla justitia vobiscum ob hoc possit consequere » ( de Rozière, 431).

Vient ensuite, après l'exposition du fait incriminé, l'ordre hypothétique de faire droit à la demande : « Propterea præsentem indiculum ad coronam beatitudinis vestræ direximus ut..... si taliter agetur antedicto illo de suprascripta villa legibus revestire faciatis.»>

Quelquefois la restitution ainsi ordonnée était opérée, et, dans ce cas, l'affaire en restait là. Mais il fallait prévoir le cas contraire, et la clause suivante, insérée à la fin du bref, citait le défendeur directement devant le Roi :

<< Certe si nolueritis et aliquid contra hoc habueritis quod obponere vosmetipsi per hunc indiculum commoniti..... nunc ad nostram veniatis præsentiam ipsius lui ad hoc dando responsum (de Rozière, 431).

L'indiculus commonitorius, de justitia facienda, de judicio evindicato, et, enfin, l'indiculus inquisitionis avaient donc pour objet de soustraire les affaires contentieuses au rigorisme de la procédure ordinaire, pour les soumettre à une décision plus expéditive, en même temps que plus équitable.

L'origine du jury se manifeste ainsi, au civil comme au criminel, non pas comme jury de jugement, mais comme jury de preuve. Bien différente est la mission actuelle du jury: les jurés sont aujourd'hui des juges: les témoins sont mis en leur présence et tous les moyens de conviction leur sont fournis, afin qu'ils puissent prononcer, sur le point de fait, le verdict qui servira de base à la condamnation. Le jury doit être dans l'ignorance préalable des faits et écarter

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