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à M. Brunner l'occasion de passer en revue l'organisation de la curia ducis ou cour ducale, ses analogies avec la curia regis, les attributions du grand sénéchal, du vicomte, des vicaires ou centeniers, la composition de l'Échiquier, la juridiction de la capitalis justitia, devenue en Angleterre chief justice, l'institution des barones errantes ou justitiarii itinerantes; enfin, il trace rapidement, et d'une manière tout au moins instructive, un tableau de l'organisation judiciaire sous les ducs, ses transformations sous les Plantagenets, jusqu'à la réunion du duché au royaume de France.

La diversité des opinions soulevées par l'étude de cette question est telle, qu'il me sera peut-être permis de les énumérer brièvement, afin de faire mieux comprendre en quoi la thèse de M. Brünner est nouvelle.

L'opinion la plus répandue est celle qui fait du jury une institution anglo-saxonne. C'est là une opinion populaire de l'autre côté de la Manche. La tradition veut que le roi Alfred ait créé le jury, ou l'ait perfectionné, en fixant le nombre des jurés, ou en rendant quelque disposition législative analogue (1).

(1) Ethelwolf (Edelulfus, in « coronationibus Regum in Walteri Corpore juris germanici antiqui, tom. III, p. 245, nominatus), pater Alfredi, Juditham Caroli Calvi filiam, egregiæ ambitionis et ingenii magni fœminam in matrimonio duxerat, et illis temporibus consuetudo inter Angliam et Franciam frequens videtur fuisse. Alfredus igitur, haud dubie imperii administrandi artis bene peritus, si quid in institutis Caroli Magni imitatione dignum atque Angliæ conditioni idoneum invenit, id procul dubio in patriam suam transtulit..

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Ad dignitatem regiam promotus est 873.

Alfredus autem eo, sed quem cum Roma habebat, commercio non solum ad scripta classicæ antiquitatis obtinenda haud dubie utebatur, verum etiam eumdemtestes synodales » juris canonici cum mutationibus idoneis in curias laicas introduxisse veri non dissimile. Papa

Forsyth prétend, au contraire, que le jury était inconnu aux Saxons, et s'appuie sur ce fait qu'il n'apparut en Angleterre qu'un siècle après la conquête (1). Il rejette également la théorie de l'importation normande, par la raison que, à ses yeux, le jury normand ne serait qu'une copie maladroite du jury anglais.

Une autre opinion fait remonter la genèse du jury aux populations bretonnes ou gaëles, qui occupèrent pendant longtemps une partie de l'Angleterre. Philips (On juries) et Probert (The ancient laws of Cambria, 1823, Pref.) ont avancé cette hypothèse. Probert entre à cet égard dans les détails les plus circonstanciés et les plus intimes. Ce serait un évêque du pays de Galles, Asser Manevensis, dont la légende a fait l'esprit familier du roi Alfred, qui aurait attiré son attention sur les avantages de la législation gaële et l'aurait engagé à lui faire cet emprunt.

Quoi qu'il en soit, c'est encore la théorie des origines germaniques et anglo-saxonnes qui a réuni les plus nombreuses adhésions. Une tradition célèbre attribue à Odin, qui conduisit les Germains en Europe, la création du jury. Nicholson (2), Bacon (3), Montesquieu, Blackstone (4) et Savigny, pour d'autres raisons moins mytho

Johannes IX synodos episcopales (Caroli Magni missorum judiciis omnino similes) non modo in imperio, in quo longe antea exstiterant, sed etiam totum per orbem christianum institui jussit (Reynolds, De vera judicii juratorum origine, natura et indole, Heidelberg, 1842).

(1) Hist. of trial by jury, p. 92.

(2) Nicholson, Præf. de jure feudali veterum Saxonum ad Wilk leg. anglo saxon, p. xi et seq.

(3) Discourse on the laws and government of England.

(4) Comm. IV, ch. xxi, III, ch. xxx11: But certain it is that the juries were in use among the earliest saxon colonies..... Hence it is

logiques, se sont rattachés à l'opinion qui fait du jury une institution commune aux Angles, Saxons, Danois, Suédois, Norwégiens, Islandais, etc., et, en général, aux populations riveraines de la mer, qui la portèrent en Bretagne. En effet, les continuelles invasions et colonies de peuples de race germanique, qui eurent lieu depuis le temps du roi Canut jusqu'à la conquête de Guillaume, sans être une preuve absolue, ne peuvent que confirmer cette supposition.

On ne saurait également passer sous silence les affirmations du plus ancien historien des nations du Nord, Saxo-Grammaticus, qui vivait au XIIe siècle en Danemark. Cet écrivain, en parlant du roi Regner Lodbrog, dont il existe un chant de mort célèbre parmi les anciennes poésies scandinaves, prétend qu'il institua que toute contestation serait soumise au jugement de douze pères de famille, approuvés des parties, sans admettre aucune allégation ni de la part du plaignant, ni de la part du défendeur; il crut que, par le bienfait de cette loi, les procès téméraires seraient diminués et qu'il y aurait une garantie suffisante contre les calomnies des méchants. Ducange, Gloss., v JURATA.

Saxonis Grammatici historia Danica. 1839, t. I, 1. IX, p. 447. «Ut omnis controversiarum lis........... duodecim patrum judicio mandaretur, instituit. — Cujus legis beneficio temeraria litium contractione summota, improborum calumniæ sufficienter obviatum existimans, arma in Britanniam erexit. »

Ce passage de l'historien danois est reproduit par

that we may find traces of juries in the laws of all those nations which adopted the feodal system as in Germany, France and Italy.

Hichesius, qui prétend retrouver l'institution duodecemvirale du roi Regner Lodbrog (1r moitié du IX siècle) dans les hommes de caution. Une dissertation, sous forme de lettre, insérée dans son Thesaurus linguarum septentrionalium, n'a pas peu contribué à mettre cette idée en circulation et à faire considérer le jury comme étant d'origine normande : opinion reproduite plus tard par divers auteurs et, enfin, portée à la tribune de l'Assemblée nationale, dans sa séance du 31 mars 1790, par M. Goupil de Prefeln.

L'obscurité qui règne sur les caractères légaux du jury ancien a permis de rechercher jusque dans la législation romaine les traces de notre institution moderne. Quelques romanistes ont voulu considérer comme des jurés les judices jurati, ou selecti, désignés par le préteur. Certes, nous n'avons pas la prétention de monopoliser cette expression en faveur du jury anglais; mais on est trop disposé à tirer d'une dénomination commune la conséquence inexacte que le jury anglais et les jurati de l'ancienne Rome sont identiques.

Après le droit romain, le droit canon les conclusions du savant traité de M. Mohls sont, en effet, que la procédure usitée pour les décisions synodales en matière ecclésiastique aurait été le prototype du jury.

L'énumération de ces systèmes ne serait pas complète, si j'omettais d'indiquer l'hypothèse de Meyer (1), qui place le berceau du jury en Asie, et particulièrement dans l'empire fondé par les Croisés à Jérusalem; de ce que les Assises de la cour des bourgeois contien

(1) Meyer, Esprit, origine et progrès des institutions judiciaires.

nent souvent l'expression jurati, il en déduit que ce furent les Croisés qui, à leur retour d'Orient, rapportèrent le jury en Angleterre ;

Celle de M. Ambroise Buchère, qui (Étude historique sur les origines du jury) déduit le principe fondamental du jury de la participation des bourgeois et échevins, scabini, aux jugements en matière civile, criminelle et pénale; nous voyons, en effet, les échevins de Caen prendre la qualification de bourgeois jurés et conseillers jurés; cette dénomination se retrouve en Allemagne pour désigner, autrefois, des juges et officiers municipaux; tantôt ils connaissaient des contestations litigieuses et tantôt ils se bornaient à l'administration des affaires de la commune ;

Enfin, cette prétention des jurisconsultes russes d'avoir retrouvé les sources de notre institution moderne dans leur plus ancien document juridique, le Prawda Iaroslaw, d'après lequel les voleurs ou coupables qui nient doivent être traduits devant douze pères de famille; mais, si l'Empire russe a été fondé par les Normands, ainsi que cela paraît très-possible, on peut considérer cette disposition comme ayant été introduite par eux, et alors la question n'aura pas fait un pas.

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J'énumère, sans m'y arrêter, les tribunaux de communauté des Goths (by laws), en latin bellagines, les næmdas ou ernannte scandinaves les bauren gericht teutoniques, les courts leet et hundred courts anglosaxonnes, sur lesquels il me semble que l'on doive adopter sans crainte l'opinion émise par M. Rathery.

« Sans doute, ces juridictions de famille et de clan, « ces assises de voisins ou de paysans avaient un ca«<ractère populaire qu'on ne saurait leur méconnaître. a Mais, dans leurs attributions très-diverses et très

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