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l'Eure, au pays du Perche, entre Verneuil et Nonancourt, s'élevait encore, il y a une vingtaine d'années, le beau château de Courteilles.

Jacques-Dominique Barberye, marquis de Courteilles, conseiller d'État, ambassadeur, l'un des six intendants des finances, le fit bâtir, au milieu du dernier siècle, sur les ruines d'un vieux donjon féodal, dont les princes furent connus au moyen-âge. Le célèbre normand Matthieu, peut-être Antoine-Michel Carpentier ou Lecarpentier, le constructeur du Palais-Bourbon et de l'Arsenal, en fut l'architecte. Son aspect était grandiose, mais, semblable en cela à celui d'une foule de châteaux élevés au XVIIIe siècle, sans originalité. Comme le château voisin de La Ferté-Vidame, élevé par le même artiste et aujourd'hui en ruines, il était en partie construit en briques avec encadrements de pierre. On lui avait donné la forme d'un fer à cheval. Sur le fronton du pavillon central apparaissaient sculptées les armes du fondateur.

M. R. Bordeaux visita cet édifice à l'automne de 1849. La notice qu'il lui consacre dans l'Annuaire de l'Eure retrace son état à cette époque.

Les appartements n'offraient rien de bien curieux au point de vue historique. La salle à manger, avec son gigantesque poële de faïence blanche, et la chambre à coucher de Madame de Mortemart, fille du marquis de Courteilles, qui avait consacré vingt années de patience à l'orner de fines broderies à l'aiguille répétant partout le même dessin, méritaient d'être signalées. On y voyait encore, dans de beaux salons, quelques marbres curieux, notamment des chambranles de cheminée qui tous n'ont pas péri, de jolis portraits des membres éminents de la famille, de fines peintures de Chardin et d'Oudry, des lustres à pendeloques de cristal, enfin

aussi fait graver une inscription sur l'autel de la chapelle en l'honneur de son neveu, Ernest d'Aumont, mort au champ d'honneur, et édifier, dans les massifs des jardins, de petites rotondes en souvenir de ses parents défunts. Le château de Courteilles fut vendu à des spéculateurs et détruit l'année même de la visite de M. R. Bordeaux.

II.

La vaste église de St-Antonin d'Épaignes, dans l'arrondissement de Pont-Audemer, ne se recommande pas par une haute antiquité. Sa construction ne remonte guère au-delà de la Renaissance; mais elle n'en mérite pas moins la visite du touriste et de l'archéologue. De belles verrières, sur l'une desquelles s'épanouit le glorieux blason de la vieille Normandie, ornent dans sa partie méridionale d'assez élégantes fenêtres de gothique flamboyant. La voûte en bois de la nef est émaillée d'une foule de curieux écussons appartenant, selon toute probabilité, aux personnes et aux corporations qui contribuèrent à son établissement; on distingue à leurs insignes ceux des tailleurs et des bouchers. Mais ce qui attire surtout l'attention dans ce moderne édifice, c'est une gigantesque statue de saint Christophe, dont la tête touche au sommet de l'église. La tradition, qui attribue à ce bienheureux une taille démesurée, et la croyance populaire, qui lui reconnaît le pouvoir de sauver de tout péril pendant un jour celui qui a été

assez heureux pour l'apercevoir, expliquent sa représentation dans ces proportions colossales.

Deux ou trois statues de ce genre, dont celle de Verneuil, fort réussie comme travail, existent encore dans le département de l'Eure; on en remarque également une assez moderne dans l'église de St-Trophime, à Arles. Il y en avait beaucoup au moyen-âge, le culte de saint Christophe étant fort répandu, notamment en Espagne. La sculpture, la peinture, l'imagerie à l'envi reproduisaient la stature immense de notre bienheureux; son gigantesque portrait se voyait dessiné jusque sur les murailles des maisons. Le colosse de la cathédrale d'Auxerre, qui ne fut démoli qu'en 1768, mesurait plus de neuf pieds de haut. Dans celle de Séville, Perez de Alesio en peignit une de 9 mètres d'élévation, et sur la façade d'une des vieilles églises de Florence, se dressait peinte également une figure du même saint, grande de plus de 20 pieds. A Paris, Hippolyte Flandrin a introduit une fort belle représentation de saint Christophe dans sa frise de St-Vincentde-Paul. Notons en passant qu'une énorme statue de ce géant, que la tradition proclame avoir porté l'EnfantJésus sur ses épaules, existait autrefois à l'entrée de la Notre-Dame, mais qu'elle fut détruite en 1784 sur l'ordre même du chapitre.

M. R. Bordeaux reproduit, dans sa notice, la légende de saint Christophe, si élégamment versifiée par M. Barillot, et raconte comment sa vigueur et sa taille extraordinaires contribuèrent à lui assurer la palme du martyre.

III.

Ce fut au commencement du XV⚫ siècle que la pensée

ciations, qui paraissent avoir été instituées à l'imitation de celles existant antérieurement à Rome, et qui ne manquent pas d'une certaine analogie avec les compagnies de pénitents du midi, se répandirent rapidement en Normandie et jusque sur les confins de l'Ile-deFrance et de la Beauce. Aujourd'hui, on en compte encore quelques-unes dans les diocèses de Rouen, d'Évreux, de Séez, et dans l'ancien diocèse de Lisieux; on n'en signale plus dans ceux de Bayeux ni de Coutances.

M. R. Bordeaux a recueilli quelques détails sur la vie de ces associations. Les confréries de charité étaient organisées sous l'égide de l'autorité paroissiale, et leurs cérémonies avaient lieu dans les églises; leur mission, par elle seule, leur interdisait l'usage de chapelles particulières. Les confrères avaient l'habitude de se faire représenter sur les vitraux et les tableaux des édifices religieux des peintures les reproduisant se remarquent, en effet, dans un certain nombre d'églises, notamment dans celles de Conches, de Pont-Audemer, de Quillebœuf, de Saint-Pierre de Lisieux, etc. Leur trésor était bien souvent somptueux: on y admirait des croix d'argent délicatement ciselées, renfermées dans des étuis artistement façonnés, de curieux jetons de même métal, des registres enluminés, comme à la Couture de Bernay, de fines miniatures, enfin de superbes livres d'évangiles, appelés majestés et dont la reliure était enrichie d'ornements magnifiques.

ils s'appliquent, sont encore en usage dans certaines parties du diocèse d'Évreux. Ordinairement, en tête des agréés, est représenté un frère en costume de cérémonie. Les charités de Sainte-Marthe, près Conches, et de Canappeville, font lithographier des pièces de ce genre d'un volumineux format, au haut desquelles l'artiste a figuré une brillante procession de toute la confrérie.

Les confréries de charité avaient des dignitaires : l'antique, le prévôt, l'échevin, etc.; aujourd'hui, ces honneurs paraissent tombés en désuétude. Le costume des associés se compose presque partout d'une longue robe à bandes de couleurs variées, mais où dominent le noir, le blanc et le rouge. Quelques-unes de ces robes sont entièrement noires et relevées par une bordure écarlate; ainsi accoutrés, les frères ressemblent à s'y méprendre à des professeurs de droit en petite tenue. Un rabat et une toque complètent l'uniforme. Dans beaucoup d'églises, une chapelle est spécialement réservée à la charité. Pendant les offices, ses membres font des quêtes pour leur œuvre. Au moment de l'élévation, ils entourent l'autel, un cierge allumé à la main. Leurs processions embellissent les cérémonies du culte. Lors des inhumations, une somme d'argent est réservée, dans certaines localités, pour les besoins de l'association.

Les agrégations dont nous parlons ont beaucoup

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