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Mais les mouvements les plus curieux que l'on puisse obser ver sont ceux des Droséracées, des feuilles bilobées de la Dionée et des poils glanduleux du Drosera rotundifolia. Ces mouvements, joints aux propriétés de la sécrétion visqueuse des glandes, font de cette petite famille une des plus intéressantes du règne végétal, au point de vue physiologique.

Roth, sur la fin du dernier siècle, Milde, Groënland, Trécul, J. Scott et principalement Nitschke, ont étudié les mouvements des poils planduleux du Drosera.

Hooker, dans une note lue, en 1874, à l'Association Britannique de Belfast, parla le premier de la propriété digestive de la sécrétion des glandes du Drosera; mais l'ouvrage le plus complet qui ait été publié jusqu'à ce jour, sur cette question, est dû à M. Ch. Darwin. Cet ouvrage, de 450 pages, intitulé « insectivorous Plants », a fait sensation dès son apparition, à cause de l'importance des faits qu'il révèle; il est à désirer que nous en ayions bientôt une bonne traduction française, que tous ceux qui s'occupent de l'étude des plantes, et même les simples curieux, liront avec intérêt.

En attendant, l'auteur, dans une charmante lettre, m'autorise à présenter à la Société botanique de Lyon un résumé de ses principales observations. Le plan que j'ai à suivre m'est tout tracé, car je n'ai qu'à résumer les chapitres les uns après les

autres.

Drosera rotundifolia.

J'extrais littéralement du livre de M. Darwin une partie de la description des feuilles du Drosera rotundifolia.

.

« Cette plante porte de cinq à six feuilles étalées plus ou << moins horizontalement, mais quelquefois verticalement. Ces << feuilles sont ordinairement un peu plus larges que longues; « leur face supérieure est couverte de poils glanduleux ou tentacules, comme je les appellerai, à cause de leur manière d'agir

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<< J'ai compté ces poils sur trente et une feuilles, et j'ai << trouvé que leur nombre est, en moyenne, de 192 sur cha<cune; quelques-unes en portaient jusqu'à 260, tandis <que d'autres n'en avaient que 130. Chaque glande est << entourée d'une grosse goutte d'une secrétion extrêmement visqueuse, que la chaleur du soleil active, et qui a fait don

<<ner à la plante son nom poétique de Sun-dew (rosée du soleil) (1).

Les tentacules de la partie centrale du limbe sont courts; << ils se tiennent droits, et ont leurs pédicelles verts. En se rappprochant des bords du limbe, ils deviennent de plus en « plus longs et plus inclinés en dehors, et leurs pédicelles sont << colorés en pourpre. Ceux de la circonférence se projettent en « dehors dans le même plan que le limbe, ou, plus souvent, << sont considérablement réfléchis. La base du pétiole porte << aussi quelques tentacules, et ce sont les plus longs de tous, << car ils ont quelquefois jusqu'à un quart de pouce de lon« gueur.

« Sur une feuille portant 252 tentacules, le rapport entre << les plus courts, c'est-à-dire ceux dont les pédicelles étaient << verts, et les plus longs, c'est-à-dire ceux dont les pédicelles << étaient pourpres, est de 9 à 16.

« Les tentacules sont constitués par un pédicelle semblable « à un poil délié portant une glande à son sommet. Le pédi<< celle est un peu aplati, et il est formé de plusieurs rangs de « cellules allongées, remplies d'un fluide pourpre et d'une ma<< tière granuleuse. Les plus longs tentacules portent cepen« dant deux zones vertes : l'une, immédiatement au-dessous « de leur glande, et l'autre, un peu plus large, à la base. Des < vaisseaux spiraux, accompagnés d'un tissu vasculaire sim« ple, se ramifient sur les vaisseaux du limbe et pénètrent jusque dans les glandes.

«

<< Plusieurs physiologistes éminents ont discuté sur la na<ture de ces appendices ou tentacules, et se sont demandé << s'ils devaient être considérés comme des poils (trichomes) ou « comme des prolongations du limbe de la feuille. Nitschke a « démontré qu'ils renferment tous les éléments propres au << limbe de la feuille; et le fait qu'ils renferment un tissu vas<culaire paraissait appuyer cette croyance, mais on sait main<< tenant que les trichomes peuvent avoir aussi des vaisseaux. » Mouvement des tentacules au contact des corps solides. Les poils glanduleux, ou mieux tentacules (pour me servir

(1) Je fais remarquer que le mot Rossolis, nom français du Drosera, est formé des mots latins ros et solis, qui ont exactement la même signification que Sun-dew. - L. Grenier.

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de l'expression de l'auteur), sont doués de la faculté de se mouvoir lorsque leurs glandes sont mises en contact avec une matière organique et même inorganique. Quand un insecte se pose au centre du limbe, il est immédiatement retenu par la sécrétion visqueuse des glandes. Celles-ci transmettent l'excitation qu'elles ont reçue aux tentacules les plus voisins, qui la transmettent, à leur tour, de proche en proche, et dans tous les sens, jusqu'aux tentacules de la circonférence; au bout d'un temps plus ou moins long, tous les tentacules sont rigoureusement infléchis sur le corps excitant, que les glandes inondent de leur sécrétion.

Si un insecte adhère seulement à quelques unes des glandes des tentacules extérieurs, ceux-ci s'infléchissent d'abord, et portent leur proie aux tentacules les plus voisins, qui agissent de même à leur tour, de sorte qu'en peu de temps l'insecte se trouve porté au centre du limbe.

Mais le mouvement d'inflexion ne se borne pas aux tentacules avec lesquels l'insecte s'est trouvé en contact, il se communique dans toutes les directions jusqu'au point opposé du limbe, et bientôt tous les tentacules sont infléchis et embrassent leur proie aussi exactement que si elle s'était d'abord posée au centre du limbe.

Cependant il est arrivé qu'une toute petite mouche, qui avait été capturée par une glande de la circonférence, provoqua l'inflexion des tentacules voisins; mais le lendemain l'insecte était mort, et les tentacules de l'autre moitié du limbe n'avaient pas changé de position.

Non-seulement les insectes vivants, mais tous les corps provoquent l'inflexion des tentacules. Des fragments de charbon, de verre, de papier, de liége, etc., ont été essayés et ont produit, quoique plus lentement, les mêmes résultats.

Si, au moyen d'un objet pointu, on frappe de petits coups sur les glandes centrales, celles-ci communiquent l'impulsion aux tentacules extérieurs, qui alors s'infléchissent.

Il n'en est pas de même si on excite directement les tentacules de la circonférence par les mêmes petits chocs, car alors on ne voit se manifester aucun signe de sensibilité.

De grosses gouttes d'eau, tombant sous forme de pluie, ne produisent aucun effet sur les tentacules.

On comprend que l'insensibilité de la feuille dans les deux

cas ci-dessus a sa raison d'être; car comme la plante est constamment exposée à la pluie et au frottement des grandes herbes agitées par le vent, si les tentacules obéissaient à ces influences, ils seraient continuellement infléchis sans profit pour la plante. Non-seulement les tentacules mais le limbe entier de la feuille peut s'infléchir et prendre la forme d'une coupe. Des gouttes de lait et de nitrate d'ammoniaque sont les meilleurs agents à employer pour obtenir ce genre d'inflexion. Au bout d'un temps plus ou moins long, les tentacules infléchis finissent par reprendre leur position naturelle. Quant au temps nécessaire pour l'inflexion complète des tentacules, il est très-difficile de le déterminer, car il varie suivant l'âge de la feuille, son état, le temps qui s'est écoulé depuis qu'elle n'a pas été excitée, et la nature des substances mises en contact.

Le mouvement le plus prompt qui ait été observé est celui d'un tentacule excité par une particule de viande crue. En dix secondes, ce tentacule avait changé visiblement de position. En 2 min. et 1/2, il avait parcouru un angle de 45°; il était à angle droit 5 min. plus tard; et enfin, au bout de 10 min., la glande atteignait le centre du limbe. En 17 min. et 1/2, ce tentacule avait donc parcouru un angle de 180°.

Des expériences nombreuses prouvent que les tentacules restent plus longtemps infléchis sur les matières organiques et azotées que sur les autres.

Coagulation du protoplasma dans les cellules des tentacules.

Si on examine les tentacules d'une jeune feuille n'ayant jamais été excitée, on voit que les cellules du pédicelle sont remplies d'un liquide pourpre et homogène. Ces mêmes tentacules examinés quelque temps après l'excitation des glandes présentent un aspect tout différent; leurs cellules, au lieu d'être remplies d'un liquide pourpre et homogène, contiennent des masses de diverses formes d'une matière pourpre et granuleuse, suspendue dans un liquide incolore.

Ces masses observées au microscope affectent les formes les plus variées. Tantôt le contenu d'une cellule est réuni en une seule masse, qui, au bout de quelques minutes, se divise en deux ou plusieurs parties plus ou moins égales, tantôt presque rondes, tantôt très-allongées, qui se réunissent de nouveau.

Ces changements peuvent s'observer pendant tout le temps que dure la coagulation.

Quelle que soit la cause qui produise ce phénomène, il commence toujours dans les glandes, puis il descend dans les pédicelles.

La coagulation est indépendante de l'inflexion; car, si des feuilles sont placées dans une forte solution de carbonate d'ammoniaque, les tentacules sont comme paralysés; ils ne s'infléchissent pas, et cependant l'aggrégation se manifeste. D'un autre côté, plusieurs acides causent une forte et prompte inflexion sans provoquer la coagulation. Celle-ci a lieu sous l'influence de causes très-diverses, savoir: par des attouchements répétés sur les glandes, par la simple pression de petites particules mises en contact avec les glandes, par la section des tentacules immédiatement au-dessous des glandes, par l'absorption de différents liquides par exosmose, et enfin par un certain degré de chaleur.

Au bout d'un certain temps, les petites masses de protoplasma se dissolvent, et les cellules sont de nouveau remplies du même liquide pourpre et homogène.

Dans le cas de non inflexion des tentacules, il suffit d'immerger les feuilles dans de l'eau distillée ou dans de l'alcool étendu d'eau pour provoquer la dissolution du protoplasma.

Contrairement à ce qui a lieu pour la coagulation, la dissolution commence dans les pédicelles et se termine dans les glandes.

Puisque des causes si diverses produisent le même résultat, il y a lieu de supposer que la matière contenue dans les cellules est dans un état si instable que le moindre trouble suffit pour changer son état moléculaire comme il arrive à certains composés chimiques.

Que ces changements soient provoqués directement ou indirectement par un stimulus reçu des autres glandes, ils sont transmis de cellule en cellule, causant soit des granulations, soit la dissolution du protoplasma.

Effet de la chaleur sur les feuilles.

Les feuilles du Drosera paraissent résister à une température plus élevée que celles des autres végétaux.

L'auteur affirme en avoir vu résister à une immersion de

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