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en passant, est la condition essentielle pour parler avec autorité d'un sujet dans lequel la chimie tient une grande place, il aurait été mieux préparé à faire la part équitable des actions du sol, et il n'aurait certainement pas soutenu que les grands faits de dispersion doivent être exclusivement attribués à l'état mécanique des détritus des roches, à l'exclusion de leur composition chimique. Comment, en effet, pourrait-on nier que celle-ci n'exerce une influence considérable sur la distribution naturelle des plantes? Supposons que dans un vaste territoire granitique dont le sol formé surtout de silicates terreux et alcalins, et ne contenant que de petites quantités de phosphates, de sels ammoniacaux et d'éléments calcaires, on sème les graines de toutes les plantes phanérogames qui composent la Flore d'une contrée, en ayant soin de placer chacune dans un milieu qui, sous le rapport physique, puisse lui convenir, les hygrophiles dans les lieux mouillés et arrosés, les xérophiles sur les coteaux secs, les unes sur les rochers, les autres dans les parties où la terre est profonde, et ainsi de suite. Qu'arrivera-t-il en supposant que, l'altitude, le climat et les diverses conditions physiques étant convenables, toutes les graines aient germé? Les nombreuses espèces qui ont besoin de recevoir de fortes proportions de chaux et de magnésie pour leur alimentation, après avoir consommé la provision de nourriture renfermée dans la graine, ne trouvant dans le sol que des quantités insuffisantes de l'élément dont elles ont le plus grand besoin après l'eau et l'acide carbonique, resteront chétives; plusieurs d'entre elles ne fleuriront pas; un grand nombre ne graineront pas et disparaîtront par conséquent du pays dès la première ou la seconde année.

Pendant ce temps, les espèces silicicoles, placées dans le terrain qui leur convient, auront prospéré, et peu à peu se seront emparé de tout l'espace. De cette lutte pour l'existence, de cette concurrence sans pitié, résultera nécessairement, au bout de quelques années, la disparition presque complète de toutes les plantes calcicoles.

Sous ce rapport, les plantes ne diffèrent pas des animaux ; la victoire reste toujours aux êtres les plus favorisés par les conditions naturelles.

Faisons le même raisonnement pour chaque catégorie de plantes, et nous arriverons à conclure que la Flore d'un pays est

forcément la résultante des actions climatériques et telluriques. De même que les Bananiers et les Citronniers ne peuvent pas vivre chez nous en pleine terre, de même on ne voit pas les plantes calcicoles se propager sur les terrains siliceux, les silicicoles sur les terrains calcaires, les halophiles ailleurs que sur les sols plus ou moins imprégnés de sel marin et enfin les nitrophiles restent toujours fidèles aux lieux riches en sels ammoniacaux ou en nitrates.

J'ai entendu souvent opposer à la doctrine physico-chimique que je soutiens l'exemple des jardins botaniques et horticoles dans lesquels on parvient, dit-on, à cultiver toutes les plantes dans le même sol. J'ai déjà expliqué plus haut, à propos de la terre de Bruyère, que les horticulteurs ont, depuis longtemps, constaté que cette prétention est inadmissible, et j'ajoute que si les directeurs de jardins botaniques et horticoles connaissaient mieux l'importance des conditions telluriques, on ne verrait pas chaque année un grand nombre des malheureuses victimes qu'ils couchent, malgré Cérès et malgré Flore, sur le lit de Procuste de leurs plates-bandes, refuser de fleurir, de fructifier, et même périr d'inanition dans un terrain fertile et bien fumé.

Au surplus, la plupart de celles qui survivent à ce traitement uniforme seraient incapables de se propager sur le sol des jardins botaniques, lors même qu'on leur laisserait toute liberté à cet égard.

J'estime donc qu'il serait déraisonnable de vouloir étudier dans un jardin les lois de la Géographie botanique, et je prends la liberté de rappeler à mes contradicteurs, qui se plaisent à tirer leurs armes de cet arsenal, que jamais on n'a vu aucun naturaliste aller étudier les mœurs des animaux sauvages dans les ménageries où certains dompteurs tiennent enfermés dans des cages les lions, les tigres, les panthères, les jaguars, les ours bruns et blancs et autres bêtes féroces qu'ils montrent au public pour gagner leur vie.

Il est temps de clore cette longue discussion. Il me resterait encore à vous montrer comment les données chimiques sont confirmées et corroborées par l'examen des conditions minéralogiques qui président à la distribution naturelle des plantes; mais j'ai déjà mis votre patience à une trop rude épreuve, et je ne me sens pas le courage de vous demander d'entendre le

développement de la volumineuse statistique que j'ai dressée. Toutefois, j'espère que ma démonstration, bien qu'incomplète, aura suffi à vous prouver que la terre n'est pas, pour les plantes, un simple support destiné à leur donner de l'eau et un point d'appui, mais qu'elle est encore une véritable nourrice, dans le sens le plus étendu de ce mot, puisque non-seulement elle cède à ses nombreux enfants une partie de sa propre substance, mais encore puisqu'elle permet à chacun d'eux de choisir, par un instinct irrésistible, les matières nutritives nécessaires à son alimentation.

C'est donc avec raison que Lucrèce, dans son poëme de la Nature des choses, après avoir énuméré les bienfaits de la Terre, s'écriait :

Quare etiam atque etiam maternum nomen adepta
Terra tenet merito.

SÉANCE DU 27 JANVIER 1876

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
Correspondance:

M. SAINT-LAGER donne lecture des passages suivants d'une lettre que lui a adressé M. Ant. Magnin:

LICHENS DE LA VALLÉE DE L'UBAYE

A la dernière séance, j'ai informé la Société du résultat de mes études sur les Lichens récoltés par M. Boudeille; je complète aujourd'hui ces renseignements en donnant des détails plus explicites sur les espèces rares que M. Boudeille a découvertes dans les environs de la Condamine (Basses-Alpes).

Le Solorinella asteriscus est une espèce créée par le lichénologue Anzi (1), pour un joli cryptogame blanc-cendré, à thalle découpé en forme d'étoile, supportant une apothécie centrale, immergée, noire, ressemblant assez à celle des Solorina; la dénomination spécifique d'asteriscus rappelle la forme étoilée du thalle. Anzi l'a trouvé sur le sol des terrains calcaires, près

(1) Catalogus lichenum quos in provincia sondriensi et circà NovumComum collegit Martinus Ānzi, in 8o, Novi-Comi, 1860, p. 37.

de Medesimo, à la partie supérieure de la région du Mugho, c'est-à-dire, vers 2300m d'altitude. L'échantillon de M. Boudeille provient des environs de la Condamine (1400m).

Le Gyalolechia Schistidii, récolté par M. Boudeille sur les Schistidium apocarpum couvrant les rochers qui avoisinent le Châtelard-Condamine (1400), est aussi une espèce créée par Anzi (1); cette plante peut cependant rentrer en partie dans le Lecidea luteo-alba var. muscicola (p. p.) de Schorer (2). Elle se reconnaît à son thalle jaune-vitellin, lorsqu'il est apparent, mais il est souvent presque nul; les scutelles de la même couleur sont d'abord réunies en forme de verrues, puis planes à marge concolore. De loin, on pourrait prendre ce Lichen pour le Peziza leucoloma; mais un examen même superficiel ne permet pas cette confusion. Anzi l'a trouvé vivant exclusivement sur les touffes de Schistidium apocarpum croissant dans les localités calcaires des environs de Bormio (vallée de l'Adda), à l'altitude moyenne de 1,200m. Cette espèce, comme la précédente, est assez rare pour qu'elle ne soit représentée dans l'herbier du Muséum que par un seul échantillon, récolté par Anzi et donné par M. Nylander. M. Boudeille m'en a adressé un certain nombre, ce qui prouve qu'elle n'est pas rare au Châtelard-Condamine (3); j'en joins un exemplaire à cette lettre.

Dans la séance de vendredi dernier, M. Van-Tieghem a fait à la Société botanique de France une communication sur un nouveau genre de Mucorinées, le g. Absidia, remarquable par la courbure en arcade que décrivent ses filaments. M. VanTieghem a pu observer toutes les phases de développement de ses espèces (A. capillaris, septata et reflexa); dans la phase asexuée, le mycelium qui naît d'une spore produit bientôt un rameau qui se recourbe en arc parabolique, et de la partie convexe duquel part un bouquet de sporanges; à ce premier arc, viennent s'en ajouter d'autres de même forme. Les appareils reproducteurs sexués se développent lorsqu'on étouffe la végétation du mycelium: on voit alors apparaître des zygospores qui diffèrent peu de ceux des autres Mucorinées. Leur germi

(1) Anzi, loc. cit. p. 38.

(2) Schoerer, Enumeratio, p. 147.

(3) Il n'en n'est pas de même du Solorinella, que je n'ai pas retrouvé dans les échantillons de M. Boudeille; tout ce que j'ai reçu de lui depuis n'est que le Lecanora verrucosa déformé.

nation peut s'effectuer d'après trois modes différents, suivant que le zygospore se trouve placé à la surface du substratum, dans le substratum, mais près de la surface, ou à une plus grande profondeur; dans ce dernier cas, le zygospore donne naissance à des filaments qui produisent directement d'autres zygospores, sans passer par la phase intermédiaire de filaments à sporanges asexués.

L'Alternance des générations n'est donc pas nécessaire, et, pour M. Van-Tieghem, la diversité des appareils reproducteurs n'est que la conséquence de la différence des milieux (1).

A propos de l'Ambrosia dont il a été question à la séance du 16 décembre (voir page 40), je trouve dans le Bulletin de la Société botanique de France (Revue, 1875, p. 78) l'analyse d'un article publié par M. Ascherson dans la Botanische Zeitung (1874, no 48), dans lequel l'auteur signale l'introduction, constatée déjà sur plusieurs points de l'Allemagne, de l'Ambrosia artemisiafolia originaire de l'Amérique du Nord; cette espèce, vue déjà depuis une dizaine d'années, avait été prise pour l'A. maritima de la région méditerranéenne.

L'auteur de l'analyse ajoute que les botanistes anglais ont remarqué, depuis quelques années, sur plusieurs points de leur flore, un Ambrosia regardé tantôt comme l'A. maritima L., tantôt comme l'A. peruviana Willd.; ce dernier, à peine distinct de l'A. artemisiafolia, est probablement la même espèce que l'Ambrosia d'Allemagne.

Il y aurait lieu de s'assurer si l'Ambrosia trouvé dans le Beaujolais est le même que celui qui envahit l'Angleterre et l'Allemagne à la façon de l'Erigeron canadense.

Communications :

1° M. THERRY fait passer sous les yeux des Sociétaires un grand nombre de Lichens admirablement préparés, et donne sur les Cladonia et leurs nombreuses formes des détails qui ont vivement intéressé l'auditoire.

2o M. GACOGNE donne lecture du compte rendu suivant : EXCURSION D'UN BOTANISTE DANS LA VALLÉE SUPÉRIEURE DE BARCELONNETTE, par M. Gacogne.

Le botaniste lyonnais qui veut visiter la vallée de l'Ubaye a

(1) Bull. de la Soc. bot. de France. 1876, p. 56.

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