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singault, Liebig, Fresenius, Magnus, Kuhlmann, Lawes, Wiegmann et Polstorf, de Salm-Hortsmar, Is. Pierre, G. Ville et plusieurs autres chimistes et agronomes distingués, nous ont fourni la démonstration directe et irrécusable de la nécessité indispensable des matières minérales pour l'acte de la nutrition des plantes.

J'emprunte à M. G. Ville, qui a vulgarisé ce genre de démonstration, le tableau suivant, dans lequel sont indiqués les résultats de huit expériences de culture dans un sol artificiellement composé de diverses manières.

Un même poids de grains de froment a été semé en même temps dans huit pots contenant chacun une terre de composition parfaitement connue. Le poids de la récolte a été calculé pour un gramme de grains de froment.

NATURE DU TERRAIN.

1 Sable quartzeux calciné. . .

20 Même sable additionné de charbon.

3. Même sable additionné d'amidon et de glucose

4o Même sable additionné de carbonate de chaux, de phosphate de chaux et de magnésie, de sulfate de potasse et d'ammoniaque.

POIDS DE LA RÉCOLTE. 6 gr.

6

6

25

5. Même mélange que le précédent moins le carbonate de chaux..

18

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9

6o Même mélange moins les sels ammoniacaux et le carbonate de chaux .

7 Sable quartzeux additionné seulement de phosphate de chaux et de magnésie. .

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8

Dans les trois premières expériences, les plantes sont restées chétives et ont péri avant d'avoir produit ni fleurs ni fruits; dans la quatrième, la végétation a parcouru toutes ses phases et s'est montrée aussi belle que dans une bonne terre additionnée de fumier de ferme; dans les cinquième, sixième et septième, on a observé la décroissance successive des produits à mesure qu'on supprimait un ou plusieurs des sels minéraux.

Ces expériences de laboratoire ont été confirmées par les résultats obtenus à la suite d'essais faits en grand sur des champs naturellement peu fertiles. Je ne veux pas entrer ici dans le détail de ces expériences, bien connues de toutes les personnes qui se tiennent au courant du mouvement de la science agronomique, ni discuter l'application que M. G. Ville a voulu faire à la pratique agricole de ces données de physiolo

gie expérimentale. J'ai déjà expliqué, à propos de l'acide carbonique, que M. G. Ville ne s'était pas rendu un compte exact des effets du fumier.

J'ai reproché aussi aux formules d'engrais chimiques préconisés par M. G. Ville, de s'éloigner des conditions naturelles et économiques par le choix de sels très-solubles et coûteux. Enfin j'ajoute ici que si tous les agriculteurs voulaient mettre en pratique les conseils du célèbre professeur, les phosphates, les sels de potasse et d'ammoniaque, dont la production est naturellement très-restreinte, atteindraient, en raison de l'abondance de la demande, des prix exorbitants qui obligeraient bientôt les agriculteurs à renoncer à leur emploi pour revenir à l'antique fumier, lequel est et demeurera probablement longtemps encore la base principale de toute exploitation agricole. Il est bien entendu, d'ailleurs, que l'action du fumier devra être aidée par les engrais minéraux qu'on peut se procurer à bas prix, comme la chaux, la marne, le plâtre, les cendres, les faluns, les résidus de fabrique, le noir animal et même les os et les phosphates fossiles, lorsqu'on peut s'en procurer à des conditions avantageuses. N'oublions pas que l'agriculture n'est pas seulement une science, mais encore un commerce, et que, par conséquent, dans la pratique, on ne doit jamais perdre de vue la balance à établir entre le prix de vente et le prix de revient.

Il résulte donc de tout ce qui précède, que les plantes se nourrissent exclusivement de substances minérales. D'ailleurs, il est aisé de comprendre que, puisque leur rôle dans la nature est de fabriquer la matière organique, ce serait un singulier cercle vicieux s'il fallait pour cela qu'elles trouvent dans l'air et dans le sol des composés organiques tout préparés. Bien loin qu'il en soit ainsi, nous savons, au contraire, d'une manière certaine, que, par l'absorption et la décomposition de l'eau, de l'acide carbonique et de quelques sels en petit nombre dont vous avez entendu la nomenclature, les plantes, avec l'aide de l'ami soleil, savent fabriquer toute une longue série de produits organiques, depuis la cellulose, l'amidon, les sucres, les essences odorantes, jusqu'aux huiles grasses, au gluten, à l'albumine et à la caséine végétale qui servent à l'alimentation de l'homme et des animaux, et enfin jusqu'aux alcaloïdes, dont plusieurs, comme la strychnine, la solanine, la vératrine, sont d'horribles poisons.

Vous avez entendu parler de ces alchimistes qui passaient leur vie à essayer de transformer les métaux vils en or et en argent. Ils n'ont jamais atteint leur but; mais qu'est-ce en comparaison de cette prodigieuse transmutation opérée tous les jours sous nos yeux par l'organisme végétal qui, au moyen d'un peu d'eau, d'acide carbonique et de quelques sels, sait fabriquer cette innombrable quantité de composés organiques dont la variété excite toujours un vif étonnement chez le naturaliste philosophe qui compare la simplicité des moyens avec la grandeur des résultats.

Plus j'y réfléchis et moins je parviens à comprendre comment des hommes, très-savants d'ailleurs, ont pu mettre en doute l'influence chimique du sol sur la végétation, ou du moins la subordonner aux actions physiques. Parmi les auteurs qui ont soutenu cette opinion, Thurmann est, sans contredit, celui qui a mis au service d'une mauvaise cause le talent le plus réel et le plus incontestable (1).

Pourtant, à la fin de son livre, il semble s'être aperçu qu'il a fait fausse route; car, au moment de passer en revue les faits de dispersion signalés par les divers observateurs qui se sont occupés de la corrélation des espèces végétales avec le sol, il fait l'aveu suivant, qu'il a soin de souligner: « Nous ne prétendons pas que l'action chimique des roches sous-jacentes soit nulle sur l'acte de la végétation; mais nous croyons avoir établi que, dans notre champ d'étude, les grands faits de dispersion ne sont pas l'effet de l'influence chimique du sol, mais celui de l'état mécanique des détritus des roches sous-jacentes. »

Thurmann ajoute : « Il peut se faire que la silice, l'alumine, la magnésie, le carbonate de chaux, etc., exercent, soit généralement, soit dans certains cas, une action particulière sur la végétation et ses produits, ou favorisent même le développement et la présence de certaines plantes, mais si cela a lieu, les preuves doivent en être recherchées ailleurs que dans les grands faits de dispersion, qui ne montrent aucun rapport avec la qualité chimique des roches sous-jacentes. »

L'exposé des faits que j'ai eu l'honneur de vous présenter correspond exactement au desideratum exprimé par Thurmann.

(1) Essai de phytostatique appliqué à la chaîne du Jura et aux contrées voisines. Berne, 1849, ch. xvIII, p. 350.

En effet, laissant de côté les faits de dispersion et leur interprétation, j'ai cherché ailleurs, c'est-à-dire dans les données fournies par la physiologie végétale et par l'expérience agricole les preuves de l'action chimique de la potasse, de la soude, de la chaux et de la magnésie, de l'oxyde de fer, et aussi des acides carbonique, chlorhydrique, silicique, phosphorique et sulfurique qui forment, avec les bases susdites, les combinaisons salines nécessaires à l'alimentation des plantes.

On sait maintenant ce qu'il faut penser de l'assertion étrange émise par l'illustre Aug. Pyr. de Candolle dans son article sur la théorie des assolements, assertion reproduite avec complaisance par Thurmann: « La supposition que les plantes d'une famille se nourrissent de certains sucs qui leur sont plus favorables et laissent intacts ceux qui seraient nutritifs pour les espèces d'une autre famille est purement gratuite toutes les plantes tirent du sol l'eau avec les matières dont elle est chargée, sans aucun choix. »

On a vu précédemment que, contrairement à l'opinion de de Candolle, il est parfaitement démontré que chaque espèce choisit dans le sol les aliments chimiques qui lui conviennent et refuse même souvent d'absorber la moindre parcelle de certains composés dont le sol est abondamment pourvu, le sel marin, par exemple.

Je ne quitterai pas ce sujet sans parler de certains faits, bien connus en agriculture, qui donnent une nouvelle démonstration de l'influence chimique du sol. Je veux parler de la jachère et des assolements

La décomposition, qui rend les particules minérales du sol solubles dans l'eau et absorbables par les radicelles des plantes, se produisant avec lenteur, il arrive nécessairement que, sauf dans le cas de certaines terres exceptionnellement fertiles, on est obligé de laisser la terre épuisée par une ou plusieurs récoltes successives se reposer pendant quelques années, jusqu'à ce que les éléments minéraux du sol aient eu le temps de subir la décomposition qui les amènera à l'état dans lequel ils peuvent être absorbés par les racines des plantes. Ce repos accordé à la terre est ce qu'on appelle la jachère.

Si l'on veut supprimer la jachère, on est obligé de restituer à la terre, sous forme d'engrais, tout ce que les récoltes antérieures lui ont enlevé. Mais cette culture continue et intensive

exige l'emploi de capitaux assez considérables et une connaissance approfondie de la composition du sol, ainsi que de la nature et quantité des déperditions qu'il a éprouvées.

Il existe encore un troisième système qui, tout en supprimant la jachère ou en diminuant sa durée, exige moins d'engrais et de dépenses que le précédent : c'est le système des assolements, qu'on appelle encore rotation des cultures (1).

Après le Froment, par exemple, ou après toute autre plante qui absorbe beaucoup de composés azotés, siliceux et phosphatés, on peut, sans addition d'engrais, obtenir une récolte de Trèfle, lequel emprunte au sol surtout de la chaux et de la potasse. L'art des assolements est fondé entièrement sur la connaissance des matières minérales que chaque plante prend à la terre. Il est vrai qu'il était connu depuis longtemps des agriculteurs et que la chimie est venue seulement en donner la théorie.

Je défie mes adversaires de donner de l'utilité de la jachère et des assolements une explication qui ne soit pas fondée exclusivement sur les considérations chimiques que j'ai exposées.

Aug. de Candolle, qui n'aimait pas les interprétations chimiques, a bien essayé d'expliquer la nécessité de la jachère et des assolements, en disant que chaque plante excrète par ses racines des sucs nuisibles aux individus de même espèce, qui peuvent être inoffensifs pour des plantes d'espèce différente; cette opinion est actuellement unanimement rejetée et n'appartient plus qu'à l'histoire des erreurs scientifiques.

Nous avons vu, plus haut, que Thurmann, malgré sa répugnance manifestée par les réticences et les réserves de son langage, admet que l'action chimique des roches sous-jacentes sur la végétation n'est pas nulle. Si Thurmann avait eu des connaissances chimiques précises et complètes, ce qui, soit dit

(1) Les anciens connaissaient bien la nécessité de la jachère et l'utilité des assolements. Virgile (Géorg. lib. I, vers 71) fait la recommandation suivante: « Après la coupe du blé, laisse ton champ épuisé se reposer et durcir, sinon, l'année suivante, sème les Vesces et les Lupins là où tu auras récolté le Froment. C'est ainsi que la terre se repose par le changement des récoltes. >>

Xénophon, dans ses Économiques, Varron et Columelle, dans leurs écrits relatifs à l'agriculture, ont aussi parlé de la jachère et des assolements.

Pline (lib. XVII, cap. 9) savait très-bien que les Lupins, les Fèves et les Vesces, loin d'épuiser la terre fatiguée par la récolte du blé, l'engraissent lorsqu'on les enfouit avant qu'ils n'aient grainé.

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