Page images
PDF
EPUB

une matière qui, introduite dans un être vivant, y éprouve une série d'élaborations et de transformations chimiques à la suite desquelles ses molécules deviennent partie intégrante de l'organisme qui les a reçues.

Ainsi le phosphate de chaux est un aliment pour les animaux vertébrés, car il est indispensable à l'accroissement de leur squelette ainsi qu'à la nutrition du cerveau, de la moelle épinière et des nerfs, auxquels il fournit le phosphore nécessaire à la formation des graisses phosphorées que ces organes doivent contenir pour l'accomplissement de leurs importantes fonctions.

Le sel marin et le fer sont aussi des aliments pour les animaux, car tous deux entrent dans la constitution du sang et jouent un rôle dans les phénomènes chimiques qui ont lieu dans ce liquide nourricier.

Les animaux inférieurs n'échappent pas à la loi générale en vertu de laquelle les matières minérales concourent avec les substances organiques à l'accomplissement des actes de la nutrition. La plupart des mollusques, les polypiers, les madrépores et les infusoires se recouvrent d'une carapace composée de carbonate de chaux représentant un squelette extérieur.

D'autres, les polycystinées et les spongiaires ont un test entièrement siliceux. L'appétit si clairement manifesté par ces êtres placés au bas de l'échelle animale pour telle ou telle particule minérale, est d'autant plus remarquable que les silicivores et les calcivores vivent dans les mêmes eaux et que chacun d'eux sait y trouver les aliments qui lui conviennent, si minime que soit la quantité dissoute dans l'eau.

les

Les particules minérales ne forment qu'une faible partie de l'alimentation des animaux, laquelle se compose pour une part plus considérable des matières organiques fabriquées par plantes à l'aide des substances minérales que celles-ci puisent dans le sol.

Au surplus, il importe de remarquer que les aliments minéraux ne sont pas tirés directement du sol par les animaux; les carnivores les reçoivent des herbivores, ceux-ci des plantes qui leur servent de pâture; seul, le végétal, premier anneau de la chaîne des êtres vivants, est en communication immédiate avec la terre, réservoir commun des matières minérales.

L'alimentation des plantes est exclusivement minérale, ainsi

qu'on va le voir par l'examen successif des composés qui servent à la nutrition végétale et qui sont :

1° La Potasse. Les roches feldspathiques qui forment la majeure partie de l'écorce terrestre, contiennent cette base combinée à l'acide silicique et associée au silicate d'alumine ; j'appelle kaliphiles les plantes dans lesquelles la potasse existe en quantité prépondérante; on les appelle quelquefois aussi silicicoles, parce qu'elles vivent de préférence sur les terrains dans lesquels dominent les silicates alcalins et terreux. Il importe de bien comprendre que cette expression silicicoles désigne un habitat et ne signifie pas que les plantes ainsi nommées se nourrissent particulièrement de silice. Les végétaux exclusivement silicivores sont peu nombreux et appartiennent surtout aux familles des Équisétacées et des Diatomées, comme nous le verrons plus loin.

Parmi les plantes kaliphiles, je citerai particulièrement le Genêt à balai, les Bruyères, la petite Oseille (Rumex acetosella), la Digitale pourprée, la grande Fougère (Pteris aquilina), et la plupart des espèces qui vivent sur les granits, les gneiss, les micaschistes, les porphyres, les grès et autres roches composées de silicates alcalino-terreux; comme ces mêmes silicates entrent pour les deux tiers ou au moins pour la moitié dans la composition des marnes qui sont, au point de vue agricole, la partie la plus importante des formations calcaires jurassiques, crétacées ou tertiaires, on ne sera pas surpris de constater la présence de quelques plantes kaliphiles ou silicicoles sur les marnes riches en silicates. Souvent aussi ces marnes contiennent des rognons siliceux qui, après la désagrégation des marnes, forment à la surface du sol une couche toute remplie de silex, ainsi que je l'ai déjà expliqué dans un article précédent (1).

Parmi les plantes cultivées qui enlèvent le plus de potasse au sol, je citerai : la Vigne, la Betterave, les Navets, l'Absinthe et les Tubercules de la Pomme de terre (dans les tiges et les feuilles c'est, au contraire, la chaux qui prédomine).

Suivant Nobbe, qui a fait de nombreuses expériences sur le rôle physiologique des composés potassiques, l'intervention de ces derniers serait indispensable pour que la chlorophylle puisse

(1) Ann. de la Soc. botan. de Lyon, 3o année, no 2, p. 83.

produire l'amidon, principe immédiat si répandu dans l'orga

nisme végétal.

2° La Soude. Cette base, le plus souvent à l'état de chlorure, remplace la potasse dans l'alimentation des plantes qui vivent dans les eaux marines, comme les Fucoidées, les Zosteracées, ou de celles qui habitent les rivages maritimes, comme la plupart des Atriplex, les Suæda, Salsola, Beta et plusieurs Chenopodium, etc.

On donne le nom de halophiles (1) aux plantes qui aiment les eaux plus ou moins riches en chlorure de sodium.

Ce n'est pas seulement dans les eaux et sur les rivages de la mer qu'on observe les plantes halophiles, on les trouve encore dans l'intérieur des continents, partout où existent des sources salées, notamment dans le Puy-de-Dôme et aussi près des salines du Jura, de la Meurthe, Palatinat rhénan, Hesse, Nassau, Westphalie, Hanovre, Brunswick, Thuringe, Mansfeld, Gallicie, Hongrie, Espagne, ainsi que dans les steppes salées de la Sibérie et de l'Afrique.

Voici la liste des principales espèces halophiles signalées dans les stations que je viens d'énumérer. J'ai exclu de cette énumération les espèces asiatiques qui ne se retrouvent pas en Europe. Atriplex hastata var. salina.

Ranunculus Baudoti.
Spergularia media.
Lepidium latifolium.
Frankenia pulverenta.

[blocks in formation]

laciniata.

crassifolia.
littoralis.

rosea.

Salsola kali.

soda.

Suæda maritima.
fruticosa.

Rumex maritimus.
Ruppia maritima.
Kochia prostrata.
scoparia.

Obione portulacoides.

Chenopodium maritimum.

rubrum var. crassifolium.

Hordeum maritimum.

Glyceria distans.

Polypogon maritimum.

Eluropus littoralis.
Glyceria festucœformis.

L'existence d'espèces halophiles dans les terrains de l'intérieur du continent qui sont arrosés par des sources salées, est un fait capital dans la question qui nous occupe. Thurmann, qui a soutenu avec un remarquable talent la doctrine de l'influence physique des terrains, ne peut s'empêcher de reconnaître que l'influence chimique du sel marin est de la plus complète évidence. >

M. Alph. de Candolle admet aussi de la manière la plus formelle l'influence chimique du sel marin et des autres sels trèssolubles.

Tous deux refusent aux sels insolubles ou peu solubles une action chimique capable d'influer sur la distribution géographique des plantes.

C'est vraiment une chose singulière de voir des savants aussi distingués que ceux que je viens de citer, prendre la solubilité des corps comme mesure de leur énergie chimique. Certes, les poisons agissent bien incontestablement par les réactions chimiques qu'ils exercent sur les organes des êtres vivants, et cependant on en connaît plusieurs qui sont classés parmi les sels insolubles, tels sont le protochlorure de mercure, les iodures de mercure et d'argent, l'arséniate de cuivre, le réalgar, l'orpiment, le cinabre, la céruse, et plusieurs autres qu'il serait trop long d'énumérer et qui possèdent, même à la faible dose de quelques centigrammes, une action toxique des plus dange

reuses.

Les personnes qui n'ont pas fait des études chimiques pratiques et approfondies se font généralement une fausse idée de la prétendue insolubilité des corps, laquelle, en réalité, n'est qu'une solubilité relative. Si, par exemple, le phosphate de chaux est un corps insoluble, comme le croient beaucoup de gens, comment pourrait-il pénétrer à travers le filtre à mailles très-serrées des radicelles végétales et ensuite arriver aux animaux pour former leur squelette, dont il compose 64 parties sur 100.

En tenant compte des enfants, on peut admettre que le poids moyen du squelette humain est de 4 kilog., représentant environ 2 kilog. 560 de phosphate de chaux; il résulte de là que les trente millions de citoyens français possèdent une quantité de ce sel dit insoluble, exprimée en poids par les chiffres suivants: 76,800,000 kilog.

Voulez-vous savoir quelle est la quantité des matières minérales enlevées au sol par les plantes cultivées ? Consultez le tableau suivant, emprunté aux ouvrages de M. Boussingault, dans lequel sont indiqués, d'un côté, le genre de récelte, de l'autre, le poids des cendres obtenues après incinération :

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Il faut remarquer que ces matières minérales étaient contenues dans le sol à cet état qu'on appelle insoluble. On comprend aisément que si les roches étaient aussi facilement solubles dans l'eau que le sont les engrais chimiques de M. G. Ville, il y a longtemps que l'écorce terrestre des continents aurait été dissoute par les eaux pluviales et entraînée à la mer. Toutefois, cette insolubilité n'est point absolue, et je crois que les chimistes feraient bien d'insister, plus qu'ils ne font dans leurs livres et dans leurs cours, sur le sens précis qu'il faut attacher au mot insoluble, et de prévenir leurs lecteurs et auditeurs que l'insolubilité dont ils parlent est relative à l'eau pure, et non à l'eau plus ou moins chargée d'acide carbonique et de sels ammoniacaux, laquelle, dans la terre arable mélangée de détritus végétaux et de fumier, jouit du pouvoir de dissoudre les corps insolubles dans l'eau distillée.

Si les chimistes avaient été plus clairs et plus explicites sur cette question, nous n'aurions probablement pas entendu soutenir que les sels solubles, comme le chlorure de sodium et les sels ammoniacaux, exercent, sur la dispersion naturelle des plantes, une action chimique des plus évidentes, mais que les matières insolubles du sol, étant dépourvues d'une activité chimique suffisante, ne peuvent agir que par leurs propriétés physiques.

Avant de quitter la question du sel marin, je veux combattre l'erreur dans laquelle sont tombés un grand nombre d'agronomes et de chimistes distingués, relativement au rôle

« PreviousContinue »