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Effet des sels d'ammoniaque.

Tous les sels d'ammoniaque qui ont été essayés produisent l'inflexion des tentacules et souvent du limbe de la feuille. Le phosphate paraît être le plus puissant des sels d'ammoniaque. L'immersion d'une feuille dans une solution de ce sel assez faible pour que chaque glande n'en puisse absorber que 1/19760000 de grain (000000328), suffit pour provoquer l'inflexion complète des tentacules.

Ce n'est pas l'absorption d'une si minime quantité de sel d'ammoniaque par une glande qui doit nous étonner, car tous les physiologistes admettent que les plantes absorbent par leurs racines les sels d'ammoniaque que leur amènent les eaux de pluie. On sait aussi que 14 gallons d'eau de pluie (56 litres) contiennent un grain d'ammoniaque (0g0647); mais ce qui est vraiment merveilleux, c'est qu'une si petite quantité de ce sel, absorbée par une glande, puisse lui communiquer une excitation assez forte pour se faire sentir dans toute la longueur d'un tentacule et lui faire parcourir un angle de 180°.

Effet de divers autres sels et acides.

Quant aux autres sels, sur 51 qui ont été essayés, 25 ont provoqué l'inflexion plus ou moins prompte des tentacules, et les 26 autres n'ont pas produit d'effet sensible.

Dans les sels, la nature de la base paraît avoir plus d'importance que celle de l'acide. Ainsi, tandis que les sels de soude provoquent l'inflexion des tentacules, les sels correspondants de potasse ne produisent le plus souvent aucun effet. C'est, d'ailleurs, la conclusion à laquelle sont arrivés tous les physiologistes qui ont étudié l'effet des sels sur les animaux.

Effet des acides.

24 acides ont été essayés; quoique fortement étendus d'eau, ils ont impressionné énergiquement les glandes du Drosera.

La plupart d'entre eux, même des acides organiques, sont des poisons pour la plante. Cela est d'autant plus étonnant, que le suc de beaucoup de plantes contient un acide.

Effet de certains poisons alcaloides et autres substances et vapeurs.

L'acétate et le sulfate de quinine, le citrate de strychnine, la

nicotine, la digitaline, agissent plus ou moins fortement sur les glandes et les tuent; le nitrate de quinine, l'atropine, la vératrine, la colchicine, la théine, sont des agents tout à fait inoffensifs.

Plusieurs de ces alcaloïdes, qui agissent fortement sur le système nerveux des animaux, ne produisent aucun effet sur les Drosera. On peut en conclure que l'extrême sensibilité des glandes, ainsi que le pouvoir qu'elles ont de transmettre une influence aux autres parties de la plante n'est pas due à la présence d'un élément analogue à la substance nerveuse des ani

maux.

Les vapeurs de camphre, de chloroforme, d'alcool, d'éther sulfurique et nitrique, tuent les plantes soumises pendant un certain temps à leur action.

Au début de l'expérience, elles provoquent quelquefois des mouvements rapides et spasmodiques dans les tentacules.

Sensibilité des feuilles.

Le siége de la sensibilité des feuilles paraît être dans les glandes des tentacules. Toute influence venant des glandes se transmet au travers du tissu cellulaire, et non le long des vaisseaux fibro-vasculaires. Après s'être assuré de ce dernier point par plusieurs expériences, l'auteur supposa que plus les cellules étaient allongées, plus l'impulsion devait se transmettre rapidement. C'est ce qui arrive, en effet, et ce qui nous explique pourquoi toute influence venant des glandes parcourt plus rapidement les tentacules que le limbe et se transmet aussi plus vite dans le sens de la longueur de la feuille que dans le sens de sa largeur.

Si un tentacule reçoit une impulsion de sa propre glande, son inflexion a toujours lieu dans la direction du centre de la feuille.

Il faut excepter les tentacules les plus courts, c'est-à-dire ceux du centre de la feuille, qui ne s'infléchissent jamais quand ils sont directement excités.

Si l'impulsion est communiquée par une glande aux tentacules environnants, tous, même ceux du centre, s'infléchissent avec précision vers le point d'où leur vient l'impulsion, quel qu'en soit le siége.

Jusqu'à présent, on ne sait rien de positif sur le mécanisme

du mouvement et sur la nature du moteur; cependant l'hypothèse qui s'accorde le mieux avec les faits observés serait que l'agent qui produit l'inflexion doit être le même que celui qui produit l'agrégation. Cet agent agirait non seulement sur le protoplasma contenu dans les cellules, mais même sur les parois des cellules dont les molécules se contracteraient en amenant l'inflexion du tentacule.

Autres espèces de Drosera.

Six autres espèces ont été étudiées, savoir les Drosera anglica, intermedia, capensis, spathulata, filiformis, et binata; bien que les feuilles diffèrent toutes plus ou moins, quant à la forme, les unes des autres, toutes sont organisées à peu près de la même manière pour capturer les insectes. A côté de ces espèces, sur lesquelles l'auteur a fait des expériences, divers observateurs ont aussi constaté que d'autres espèces, telles que les Drosera pallida, sulphurea, lunata et trinervis, « ferment rapidement leurs feuilles sur les insectes ». (Gardener's Chronicle, 1874.)

Dionea muscipula.

Une autre Droséracée, la Dionea muscipula, est une des plantes les plus curieusement organisées pour capturer les insectes. Elle porte des feuilles toutes radicales, divisées en deux lobes distincts, portés sur un pétiole foliacé.

Dans leur position naturelle, ces deux lobes forment entre eux un angle de 80° environ; et, dans cette position, il ressemblent assez bien à un piège à rats.

Les bords de ces lobes sont garnis de forts aiguillons qui se projettent en dehors, comme les tentacules extérieurs d'une feuille de Drosera. La face supérieure de chacun de ces lobes porte trois filaments doués d'une excessive sensibilité, car le moindre attouchement, pratiqué sur l'un d'eux, suffit pour causer la fermeture rapide et instantanée des lobes, qui s'appliquent l'un contre l'autre en tournant autour de la nervure médiane, comme si elle était munie d'une charnière.

L'organe du mouvement paraît être la nervure médiane, qui est forte et saillante en dessous.

Cependant on peut s'assurer que l'impulsion se transmet, quoique plus lentement, à travers les deux lobes. Il suffit d'en

lever un morceau du bord de l'un d'eux, et d'exciter ensuite les filaments; les lobes s'appliquent l'un contre l'autre ; mais celui qui est entier, ne rencontrant pas de résistance dans l'endroit correspondant à la partie enlevée de l'autre lobe, continue son mouvement bien au-delà de la ligne moyenne.

Non-seulement les lobes, mais même les aiguillons marginaux s'infléchissent et s'entrecroisent dès que les lobes sont arrivés à une certaine distance l'un de l'autre, fermant ainsi le passage à la proie qui tenterait de s'échapper avant que le contact des lobes soit parfait.

M. Darwin a répété, sur cette plante, les mêmes genres d'expériences que sur le Drosera rotundifolia, et il est arrivé aux mêmes conclusions, savoir que les feuilles du Dionea sont douées de la faculté de se mouvoir, de digérer au moyen d'un suc propre les substances azotées, et d'absorber le produit de cette digestion. Ces deux genres diffèrent cependant quant à leur manière de capturer les insectes. Les glandes de Dionea ne sécrètent que pendant l'acte de la digestion; dans leur état normal elles sont parfaitement sèches, et rien ne retiendrait la proie qui tenterait de s'échapper, si ce n'était la rapidité avec laquelle les deux lobes se ferment.

Aldrovanda, Drosophyllum, Roridula et Byblis.

On peut appeler l'Aldrovanda vesiculosa une Dionée aquatique en miniature.

Cette plante est totalement dépourvue de racines et flotte librement dans les eaux.

Stein découvrit, en 1873, que les feuilles bilobées de cette plante, qui sont ordinairement fermées en Europe, s'ouvrent cependant sous l'influence d'une haute température, et se referment subitement lorsqu'elles sont excitées.

L'auteur s'est assuré qu'elles peuvent alors capturer les insectes et qu'elles sécrètent un liquide qui digère les substances azotées.

Le Drosophyllum lusitanicum est une plante assez rare, que l'on trouve seulement dans le Portugal, selon M. Tait, sur une colline sèche, près d'Oporto, où elle croît abondamment.

Selon le même observateur, les feuilles du Drosophyllum sont couvertes d'insectes capturés par la sécrétion des glandes. Ce fait est bien connu des habitants du pays, qui se débarrassent

des mouches en tenant de gros paquets de cette plante suspendus dans leurs habitations, et qui l'appellent pour cette raison gobe-mouches ».

Les feuilles du Drosophyllum portent deux sortes de glandes, les unes pédicellées qui sécrètent constamment, et les autres sessiles, qui ne sécrètent que quand elles sont excitées.

Les glandes pédicellées peuvent être comparées aux tentacules des Drosera, avec cette différence qu'elles n'ont pas la faculté de se mouvoir; mais ce désavantage est largement compensé par l'abondance de la sécrétion dans laquelle s'embarrassent les insectes, qui se traînent alors d'une glande à une autre, jusqu'à ce qu'ils tombent suffoqués.

Pour compléter ses recherches sur les Droséracées, M. Darwin se procura des échantillons des deux autres genres connus de cette famille; les genres Roridula et Byblis, originaires, le premier du cap de Bonne-Espérance, le second de l'Australie.

Les recherches de l'auteur n'ayant pu être faites que sur des échantillons d'herbier, il n'a pu arriver à des résultats bien concluants.

Cependant il s'est assuré que ces plantes sécrètent, et, par analogie, il pense que cette sécrétion possède la même propriété que celle des autres genres de cette famille.

Conclusions.

Les six genres composant cette famille ont donc été observés, et tous capturent les insectes, les genres Drosophyllum, Roridula et Byblis à l'aide de leur sécrétion seule, le genre Drosera à l'aide de la sécrétion et du mouvement des tentacules, et enfin les genres Dionea et Aldrovanda par la fermeture des lobes de leurs feuilles.

De plus, il est certain que la sécrétion de ces plantes contient un acide et un ferment analogue à la pepsine, ce qui en fait un vrai suc digestif capable de dissoudre les matières azotées dont la plante fait son profit en les absorbant.

On a sans doute lieu de s'étonner qu'une famille entière de plantes subsiste par l'absorption de matières animales au moyen. des feuilles; mais dans le règne animal, nous avons un exemple d'un fait aussi anormal; les Crustacés rhizocéphales ne se nourrissent pas par la bouche comme les autres animaux, puisqu'ils sont dépourvus d'intestin, mais ils vivent en ab

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